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La guerre du langage

Publié le 12 novembre 2010 par Achigan
Je vis et j'ai vécu dans les derniers mois des expériences foudroyantes sur la puissance du langage. Comprenez-moi bien : personne n'a besoin de me convaincre du pouvoir créateur et parfois destructeur des mots. Mais je vous avoue expérimenter des révélations sur leur constitution, de ce genre de découverte qui vous font repenser bien des choses.
Les mots ne sont que des outils à faire dire. Ils ont le sens que nous nous accordons à leur donner, mais ce sens n'est pas intrinsèque. On s'aperçoit qu'aisément ces mêmes mots sont aisément dissociable de leur sens. Que ce que l'on nous apprend à la petite école n'est peut-être que fabulation ou qu'une artificielle entente dans un groupe. Il suffirait donc qu'un désaccord se marque pour que tout le système du langage soit remis en cause.
Encore là, cela est peu plausible. La société s'organise autour de ces préceptes et en changer la nature voudrait nécessairement dire mettre à bas la société, la plonger dans le chaos. On a l'expérience d'une parcelle de ce chaos lors de la mise en place de réformes qui touchent le langage.
Or, il se trouve que pour vivre en groupe, il faut absolument que cette entente, implicite par l'éducation commune, demeure fonctionnelle. Il faut, pour organiser un travail commun, partager le même langage.
Le langage est un système complexe qui organise la vie de tous les jours dans ses détails les plus quotidiens, mais qui organise également les domaines les plus spécialisés. Dans ces mêmes recoins des spécialités, que ce soit en art ou en science, la langage peut prendre des allures de litige. Parce que si l'on considère généralement que la science et l'art sont naturellement aux antipodes, il n'en est pas toujours le cas et qu'au sein même des diverses branches de l'art ou de la science, il peut exister des combats déchirants, des luttes fratricices sur le no man's land du langage.
Dans la spécialité, en art plus particulièrement, le langage doit se plier et se tordre pour se coller à des préceptes, pour définir l'indéfinissable. Le langage devient un code établi par consensus des spécialistes et ce code se transforme à la mesure des ajouts et des modifications à ce langage différent, parlé seulement par les praticiens et les théoriciens oeuvrant au sein de cette dite spécialité. 
On constate alors que le même mot dans la bouche d'individus issus de plusieurs sphères d'activités prend des acceptions diverses et parfois contradictoires. Le langage qui sert donc à la notation, à la traduction des principes de la spécialité devient alors une chasse-gardée et génère un hermétisme, un trésor accessible aux seuls initiés.
Qu'arrive-t'il alors si des spécialistes de deux domaines différents sont appelés à travailler de concert ? Est-ce qu'un premier système langagier trouve son écho dans le deuxième ? 
Voilà un point qui m'intéresse tout particulièrement, étant au prise depuis des mois avec échantillon de ce chaos des langages. Michel Foucault qui s'est intéressé énormément au sujet, proclame que le langage n'est pas, comme on le croit habituellement, une traduction de la réalité, mais bien une construction de réalité abstraite. Que les mots ne sont pas innocents et qu'ils portent, lorsqu'employé pour décrire un sujet, une charge énorme. 
Que ces mots génèrent des vérités et que ces vérités nous apparaissent vraies parce qu'elles sont conforme aux engrenages systémiques, voilà qui me trouble particulièrement. Si l'on y pense, ce que je proclame comme une vérité n'est en réalité qu'une vérité-tronquée, qu'un assemblage d'une perception humaine influencée par mon éducation et le système duquel je suis issu, avec l'observation que je porte sur un sujet, traduite plus ou moins habilement (mais certes artificiellement), par le biais du langage.
Le biais de l'observateur rend donc impossible le constat d'une vérité, sauf si elle émerge par un consensus. Cette vérité nouvelle demeure néanmoins fabriquée. Cette nouvelle conception du langage pour décrire un sujet a d'ailleurs bouleversé le regard que l'on porte désormais sur l'Histoire, n'étant plus, après ces idées, qu'un assemblage d'innombrables perceptions subjectives et de constructions sociales.
Tout n'est que fabrication ! Tout n'est que construction humaine ! Comment alors rallier des domaines disciplinaires différents lorsqu'ils s'affairent à un travail commun ? Par l'explication et l'enseignement de la construction du système langagier de l'autre, sans doute. Par un intérêt et une curiosité mutuelle, certainement. Par des liens forts tissés entre des concepts issus de chaque discipline pour en tirer les points communs et les divergences, pour les faire émerger et en comprendre la source, assurément. 
Pour qu'une spécialité travaille en harmonie avec une autre spécialité, il faut donc construire un nouveau langage qui soit commun aux deux. Il faut s'attarder à comprendre la construction langagière de l'autre autour des principes de sa spécialité. 
Tout en sachant toujours qu'il y a aliénation de la vérité et que nous sommes pris irrémédiablement à la verticale de notre temps (pour ainsi dire que notre point de vue demeure irrémédiablement le notre et que les autres points de vue de d'autres temps sont inaccessibles, ou accessibles seulement par l'imagination, construction de toutes pièces de notre propre système de réalité).
Ceci dit, il me vient une autre pensée sur le langage inspirée d'une biographie de Voltaire que je lis à présent. Voltaire en son jeune âge était déjà révolté contre les systèmes oppresseurs de sa réalité. Il ne savait que trop l'influence qu'exerçait le monde politique sur la vie sociale et sur les arts, et l'influence que subissait à son tour le système politique par les soupirs d'ingérence de l'Institution religieuse. 
Pour vilipender à loisir le clergé, Voltaire utilise une astuce du langage que l'on retrouve dans ses correspondances avec le Roi de Prusse Frédéric II, lui aussi irrité par le Vatican. Il crée une scission artificielle avec un mot : Infâme. Ce mot vient à désigner dans ses correspondances les membres du haut-clergé au pouvoir vers 1750 à Paris. 
Ce simple mot, cette désignation artificielle d'une partie de l'Église comme L'Infâme, revient à l'idée de Foucault que le langage ne sert qu'à créer artificiellement des sujets. L'Infâme est raillé dans les correspondances, dans les pièces de théâtre, dans toute la littérature de Voltaire comme une forme abominable que prend la religion. 
Cette astuce fascinante permet à Voltaire de conserver son statut de piété, de vénérer les préceptes religieux, de se soustraire à la censure, mais d'en qualifier les portes-étendards d'abomination !
Voici donc toutes la finesse du langage. Parfois beauté, parfois saccage, quelquefois boulet de canon dans la gueule, il suffit de bien le comprendre, mais de se rappeler souvent qu'il ne veut rien dire...   

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