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Remaniement et G20 : le grand théâtre de Nicolas Sarkozy

Publié le 16 novembre 2010 par Juan
Remaniement et G20 : le grand théâtre de Nicolas SarkozyC'était la semaine de tous les dangers, celle du « Grand Remaniement », la mise en place d'une « équipe de combat » pour gagner le scrutin de 2012. Sur ses objectifs, il faudra attendre mardi soir. Sarkozy a promis de parler à la télévision. Ce weekend, il a choisi ses ministres, un gouvernement à peine resserré, truffé de RPR bon teint autres fidèles de Sarkofrance. Les centristes font la gueule, le ministère de l'identité nationale est supprimé, l'écologie est rabaissée. Déjà, les déçus et les virés se plaignent.
Mais Sarkozy, lui, veut toujours faire croire qu'il va sauver le monde et la France au G20.
Le théâtre des passations de pouvoirs
Tout au long de l'après-midi, les passations de pouvoir se sont succédées. La plus pathétique fut celle du ministère du Travail. « J'ai payé le prix de cette réforme » a commenté un Eric Woerth amer, évoquant la loi sur les retraites. Il s'est aussi permis de rappeler quelques réformes majeures conduite avec son équipe dès la constitution du ministère du Budget et des Comptes Publics, comme ... la lutte contre la fraude (sic !). Des trémolos dans la voix, Xavier Bertrand, exfiltré de l'UMP faute de résultats, a aussi joué l'émotion, « celui qui quitte ce ministère est mon ami. » « L'homme qui quitte ce ministère a été injustement attaqué. »
La passation la plus rapide fut celle au ministère du Développement durable. Vers 15h20, Jean-Louis Borloo a remis les clés de son ministère à Nathalie Kosciusko-Morizet, nouvelle promue, sans un mot de discours public pour l'occasion, sans un regard pour les journalistes. La guerre avec Fillon serait ouverte, tempête dans un verre d'eau à droite. Dans la cour du ministère, on se croyait dans un film.
Au ministère de la Défense, le démissionnaire/démissionné Hervé Morin, souriant, a reçu Alain Juppé, crispé. Le maire de Bordeaux n'a pas résisté à la tentation ministérielle, malgré sa promesse, en 2008, de rester à temps plein à Bordeaux (« le contexte a évolué ») . Hervé Morin partit sans discours. « J'attachais peu d'importance à l'ordre protocolaire », répondit Juppé à un journaliste lui demandant s'il avait insisté pour être numéro deux. « Je n'ai pas envie de voir la gauche gagner en 2012.» Juppé est revenu pour la campagne de Sarkozy en 2012. C'est dit.
L'éternel éditorialiste Christophe Barbier, de l'Express, se demandait lundi sur France 5 si Jean-Louis Borloo serait à même d'organiser un « Grenelle du Centre ». On glose sur une éventuelle recomposition du centre-droit, déçu par la droitisation du (dernier ?) gouvernement Sarkozy, sur les risques que Nicolas Sarkozy a pris pour 2012. A peine parti de son ministère, Jean-Louis Borloo a promis une réunion des centristes, non avoir confié au Monde son dépit (« C’est comme l’Allemagne avec le football : à la fin, c’est toujours le RPR qui gagne »), François Bayrou lui a tendu la main, Hervé Morin applaudit, Jean-Marie Bockel s'en félicite. Cette diversion centriste ne fait pas illusion. Au soir du second tour, le centre-droit vote ... à droite.
Les reniements du remaniement
Evidemment, un remaniement fait des déçus, et suscite quelques interrogations. Celui-là témoigne d'un très relatif affaiblissement de Sarkozy, mais surtout de quelques reniements supplémentaires.
1. L'identité nationale n'est plus un ministère. Il y a un an, presque jour pour jour, le 2 novembre 2009, Eric Besson lançait un grand débat, une opération explicitement électoraliste qui a fini par échouer avec la débâcle des élections régionales. Le 30 juillet dernier, Sarkozy croyait encore bien faire avec son discours de Grenoble, son équation simpliste immigration égale insécurité. Echec... et mat. L'espace d'un été, la France s'est mise à dos la Commission de Bruxelles, le Conseil de l'Europe, la papauté et la cote de popularité est restée scotchée dans les 30%. Exit donc cette grande promesse d'un ministère de l'identité nationale !
2. L'ouverture est terminée : Bernard Kouchner part épuisé et décrédibilisé, après un dernier voyage, ce weekend, en Afghanistan ; Fadela Amara est bien seule à croire que ses trois ans à jouer la militante des banlieues sans moyen ni discipline a servi à quelque chose : « je ne suis pas déçue. » Mais « il y a des promesses qui m'ont été faites et qui n'ont pas été tenues » a-t-elle commenté cet après-midi. Rama Yade pourra écrire un second livre (« Je ne retrouve pas ma liberté de parole, je ne l'avais pas perdue. En aucun cas, mon départ n'est une sanction »). Malgré ses efforts estivaux, Jean-Marie Bockel, ancien maire socialiste de Mulhouse passé à droite en mai 2007, ne sauve pas sa tête. Ses appels du pied, explicites, pour demeurer dans l'équipe gouvernementale, n'auront servi à rien : « c'est vrai que j'y ai cru », expliqua-t-il le lendemain, sur les ondes de RTL. « Clairement, nous avons un gouvernement qui marque une droitisation. »
3. Les conflits d'intérêt posent problème. Eric Woerth a bel et bien été politiquement disqualifié par l'affaire éponyme. On oublierait presque l'affaire Woerth/Bettencourt, le Premier Cercle et ses légions d'honneurs, les donations suisse et les conflits d'intérêts. Jusqu'au bout, Eric Woerth reste dans le déni.Il pourra se préoccuper de sa défense, maintenant que des juges vont se pencher sur les différentes affaires. Il est une autre affaire qui risque de s'éteindre. Vendredi dernier, la veuve Wildenstein est décédée. Elle avait attaqué son beau-fils Guy Wildenstein, autre donateur du Premier Cercle, l'accusant d'avoir détourné des milliards d'euros de la succession de son mari. Interpelé, Eric Woerth n'avait... rien fait.
4. Le développement durable n'est plus la priorité du moment. L'a-t-il jamais été ? Relégué en quatrième position au sein du gouvernement, le ministère est amputé de l'Energie et de la Mer. Une grosse part du Grenelle de l'environnement, lié aux économies d'énergie, lui échappent. Eric Besson, traître persévérant, pourra mettre en oeuvre la privatisation complète du marché de l'électricité. Les deux seuls « ministères d'Etat » sont la Défense et les Affaires Etrangères... Dans quel siècle vivons-nous en Sarkofrance ?
5. Sarkozy n'en a pas fini avec ses affaires. Le nouveau ministre de la Justice, Michel Mercier, était impliqué dans une affaire : un particulier avait porté plainte contre les conditions d'attribution du marché de Rhônexpress, un réseau ferroviaire mixte tram-train qui relie depuis août dernier le centre de Lyon à l'aéroport Saint-Exupéry. Le conseil général du Rhône, dont Michel Mercier en était le président depuis 1990, avait attribué l'affaire à Vinci pour 30 ans, une décision contestée. Une enquête préliminaire pour favoritisme avait été ouverte. Surprise, le parquet a prononcé un classement sans suite la semaine dernière, le 10 novembre, quelques jours avant le remaniement et la nomination de Michel Mercier comme Garde des Sceaux...
La diversion du G20
De l'Elysée, Sarkozy pouvait rager. Partout, on le décrit comme un piètre DRH de ses propres troupes, on commente son affaiblissement, le ratage complet de cette séquence démarrée en juin dernier. Mais chut ! Il se re-présidentialise ! Il a des préoccupations plus importantes que les affaires courantes du pays. Il assure « la présidence française des G20 et G8 » pour un an. Il est le président de « la cinquième économie du monde » ! Un peu de respect s'il vous plaît !
 
Dans son agenda, il a prévu de rencontrer le premier ministre grec (lundi), puis Dominique Strauss-Kahn (jeudi), puis de filer au sommet de l'OTAN à Lisbonne le lendemain. Mardi, il recevra un rapport sur « l'appropriation citoyenne des présidences françaises du G20 et du G8 », préparé par un député UMP du Gard, Jean-Marc Roubaud, pharmacien de profession et par ailleurs maire de Villeneuve-lez-Avignon (12 500 habitants).
Sur son blog, ce député de base n'est pas peu fier : « Pour un an, la France prend la présidence du G20 et c'est pour le Président Nicolas SARKOZY l'occasion de continuer à défendre, en plus de la coordination des politiques macroéconomiques et de la régulation financière, la réforme du système monétaire international, la volatilité des matières premières, notamment celles agricoles et la réforme de la gouvernance mondiale.» écrivait-il. « L'importance de ces sujets, qui jettent les bases de l'économie et du vivre ensemble du 21ème siècle, demande à ce que tous les Français soient associés à cette démarche. C'est ainsi que le Président de la République m'a confié la mission de relayer les propositions de la France auprès de nos concitoyens comme de collecter leurs attentes.» Collecter les attentes de nos concitoyens sur les prochains G20 et G8 ? De qui se moque-t-on ?
Primo, Sarkozy n'a pas eu les mêmes attentions pour ses réformes précédentes : pourquoi n'a-t-il pas demandé un rapport similaire sur les « attentes des Français » en matière de retraites ? Pourquoi refuse-t-il tout référendum sur sa propre réforme ?Après tout, on a dû voter sur un projet de constitution européenne incompréhensible en 2005...
Secundo, nul besoin d'être expert de la chose économique pour comprendre que les négociations en cours et à venir au sein du G20 sont d'ores et déjà bien compliqués. Sarkozy s'obstine à parler de moralisation du capitalisme - lui qui ne veut surtout pas moraliser les propres conflits d'intérêts de son clan en France - alors que Chine et Etats-Unis se bastonnent sur leurs monnaies et leurs déséqulibres financiers ou commerciaux. Qu'est-ce que vient faire, dans ce potage diplomatique peu ragoutant, cet obscur rapport d'un député du Sud de la France sur l'appropriation citoyenne des prochains G20 et G8 ? Rien. Absolument rien.
Mardi, vers 20h15, Nicolas Sarkozy daignera s'expliquer quelques instants à la télévision. Le lendemain, il invitera à déjeuner les députés UMP, à l'Elysée, et toujours aux frais des contribuables. Le même jour, Jean-François Copé prendra les rênes de l'UMP. Son équipe de combat, rétréci comme sa popularité, est prête.
Dominique Versini, la Défenseure des enfants, livre son dernier rapport avant la suppression de son poste : la France compte deux millions d'enfants pauvres. Il n'est pas sûr que Nicolas Sarkozy ait pris le temps de le lire...


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