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La salle de cinéma à l’ère du numérique : places et enjeux.

Publié le 19 novembre 2010 par Powanono

CinemaRexParis

En écoutant certains technophiles, la salle de cinéma serait le support dépassé de l’oeuvre cinématographique. Condamnée à la décrépitude, incapable d’interagir avec le spectateur, ne proposant pas une diffusion individualisée, celle-ci serait vouée à disparaître. Or tout au long de mon mémoire, j’ai pu constater que celle-ci occupe encore un rôle central dans le destin d’une oeuvre mais aussi dans le coeur des spectateurs se traduisant tant économiquement que socialement.

Ce billet pose donc une question : aujourd’hui, quelle est la place de la salle de cinéma aujourd’hui à l’aire du numérique?


Sémiologie d’une salle de cinéma : ancrage d’une notion culturelle

Salle cinema

Comment définir la salle de cinéma ? Cet endroit ne serait-il qu’un espace de diffusion parmi tant d’autres ou chaque espace de diffusion se charge-t-il de sens ? Que peut-elle représenter pour un spectateur ? Malgré la vision pessimiste du cinéma que nous avons mise en avant avec Edgar Morin. Nous ne pouvons nous contenter de ce point de vue qui se contente d’analyser l’objet cinéma à travers le prisme économique.

A contre courant, le Sémiologue Roland Barthes nous invite, avec ses mots, à l’étude de la salle en tant qu’objet faisant sens et contribuant au sens d’une œuvre cinématographique. C’est cette première approche qui nous fait comprendre que « aller au cinéma » ne signifie pas simplement « aller voir un film ». Bien que cette analyse soit datée et que l’auteur entretienne avec « l’objet cinéma » un rapport intime tant dans l’écriture de ses analyses que dans sa vie publique , elle demeure un point d’entrée pour changer de perception et se pencher plus attentivement sur la place particulière qu’occupe la salle de cinéma chez le spectateur de cinéma, actuellement.

Pour Roland Barthes, « aller au cinéma » n’a pas pour seul but d’aller voir une œuvre, pour lui

« sauf le cas d’une quête culturelle bien précise (…) on va au cinéma à partir d’une oisiveté, d’une disponibilité, d’une vacance. » .

La salle de cinéma, par sa disposition bien précise, diffuse l’œuvre dans une situation bien particulière quasi hypnotique : la salle noire.Cette salle plongée dans le noir gomme les irrégularités des personnes, rend absentes les mondanités. On peut s’en rendre compte en observant les positions décontractées des spectateurs. La salle impose la concentration aux personnes. Au contraire d’un lieu familier où la vision d’un film n’est pas une « sortie », une « aventure », la salle de cinéma semble être un « cocon cinématographique » .

Bien que l’article de Roland Barthes puisse être vu plus comme une déclaration d’amour à la salle de cinéma qu’une réelle analyse sociale, il nous pousse à voir ce lieu sous un autre angle et à poser de nouvelles questions. Comme le souligne le sémiologue « j’exige du film et de la situation où je vais le chercher » , remarque qui se corrèle avec le discours actuel des acteurs du secteur défendant les salles de cinéma et trouvant leurs appuis sur les dépenses réalisées ces dernières années dans l’aménagement de ces salles (multiplexe, numérique, grand écran, 3D, service annexe etc.).

La salle de cinéma est donc un lieu de diffusion particulier, au même titre que la diffusion nomade est, en ce moment, plébiscitée par certains acteurs et certains usagers. La salle de cinéma semble occuper une place particulière dans la consommation culturelle d’une œuvre cinématographique tant d’un point de vue économique, comme nous l’avons vu, que d’un point de vue social, que nous allons voir.

Le cinéma en France

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Bien que les entrées d’aujourd’hui soient deux fois inférieures à celles de 1947, le cinéma reste un des premiers loisirs culturels des français. Ce qui peut s’expliquer par le fait que

« le cinéma représente un lieu moins asservi aux normes imposées, que ne le sont par exemple, le théâtre et l’opéra » .

Le manque de norme est une constante que l’on retrouve tout au long de l’évolution du cinéma des années 1930 à aujourd’hui. Du cinéma de fête foraine à ces débuts, où chaque spectateur commente ce qui se passe à l’écran dans la salle, au multiplexe et au cinéma d’art et essai de maintenant où chaque spectateur se tait et commente le film après, avec ses amis, ses collègues ou encore sur Internet.


Bien que le comportement ait évolué, la salle de cinéma, a su ou a du, s’habituer aux changements de toute sorte au sein de la cité : changement régional, apparition de concurrence avec d’autres médias etc. De plus, celle-ci demeure toujours un lieu social fort lors d’une sortie culturelle où chacun est invité à partager son opinion lors du choix d’un film et après son visionnage . Pour le sociologue Emmanuel Ethis,

« L’histoire sociale du cinéma et de ses publics est inséparable de l’histoire de la construction, de la transformation, du déplacement, ou de la disparition de ses salles »

donc la salle de cinéma est inséparable de son aspect local.


Les salles de cinéma : en évolution ou en crise?

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Comme nous avons pu le voir, le cinéma et sa diffusion en salle ont connu de nombreux changements au fur et à mesure de leur histoire. Bien que le cinéma semble garder une place importante sur le marché des loisirs, la salle de cinéma voit son rôle évoluer.

La volonté de certains à la réduire en simple support de diffusion

Traitée dans la récente loi Hadopi, la salle de cinéma tend à devenir un simple lieu de diffusion (réduction de la chronologie des médias). Les discours véhiculés tant par le gouvernement actuel que par certains acteurs d’internet et des réseaux, et notamment les prestataires de VOD qui insistent sur le caractère dépassé de la salle.

Bien sur, comme nous l’avons vu, la salle de cinéma possède des conditions de diffusion propres qui ne peuvent être égalées. Toutefois la réduction de la chronologie des médias imposé par cette loi tend à nous faire penser que la salle de cinéma aura de moins en moins d’influence dans la diffusion et la réussite d’une œuvre cinématographique. Sensation renforcée par la grève des salles de cinéma contestant les changements qu’ils subissent .

La salle de cinéma : un support rentable au rôle crucial

Comme nous avons pu le voir, l’arrivée de nouveau support de diffusion de l’œuvre cinématographique a souvent remis en cause le cinéma. Même si la télévision a fait baisser la fréquentation du cinéma , celui-ci a pu survivre.Nous pouvons trouver différentes explications à cette survie.

Tout d’abord, car la diffusion d’œuvre cinématographique est le cœur de métier actuel de la salle de cinéma contrairement à Internet, la télévision ou tout autre support de diffusion.
De plus, le distributeur ne peut se passer du cinéma dans l’exploitation de son œuvre sur le long terme. Le corolaire entre le succès en VOD, en blu-ray et la diffusion à la télévision d’une œuvre cinématographique dépend de son succès en salle. Dès lors, même si la salle n’occupe plus la place centrale dans la cité, pour l’information et la communication par l’image filmée, elle constitue encore la meilleure exposition pour la valorisation d’une œuvre cinématographique. Comme nous le confie Jean Walker, rédacteur en chef de Côté Cinéma (magazine professionnel) :

« Le distributeur a un double discours puisque lui, il vend son film aux salles de cinéma mais il les vend aussi à la Télé, il les vend aussi en vidéo. C’est très transversal un distributeur. Aujourd’hui, la meilleure vitrine reste quand même la salle de cinéma. C’est très très rare qu’un film fasse un carton en salle et pas en vidéo. » .

Dès lors, « la complémentarité des supports l’a remporté sur la substituabilité » qui permet à la salle de cinéma de devenir un des éléments indispensables dans la rentabilité d’un film et dans la croissance du marché cinématographique.

Sources :

- BARTHES, Roland. En sortant du cinéma. In Communications n° 23. Paris : Éditions du Seuil, 1975

- ETHIS, Emmanuel. Sociologie du cinéma et de ses publics. Paris : Armand Colin Collection sociologie n° 128, 2005

- ETHIS, Emmanuel. La caisse du cinéma : quand il faut décider. In Communication et langages n°125. Paris : Armand Colin, troisième trimestre  2000

- ETHIS, Emmanuel. Cet art subtil du rendez-vous. In Communication et langages n° 154. Paris : Armand Colin, décembre 2007

- ETHIS, Emmanuel. Sociologie du cinéma et de ses publics. Paris : Armand Colin Collection sociologie n° 128, 2005

- ZOOM CINEMA. Grève dans les salles de cinéma ce mercredi [en ligne]. Paris : [Ref ; 03-11-2009]. Disponible sur internet : <http://www.zoom-cinema.fr/news/2009/11/3/greve-dans-les-salles-de-cinema-ce-mercredi/1879/>

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