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Des hommes; Laurent mauvignier

Par Sylvielectures
Des hommes; Laurent mauvignierSans crier gare, ce livre parle, dans un flot quasi ininterrompu de monologues intérieurs et de dialogues tronqués.
Les paroles, celles qui se disent et celles qui se pensent, sont  enchâssées dans une forme à quatre temps, qui commence un après midi pour finir le lendemain matin.Elles disent les difficultés à exprimer ce qui fait honte, elles expulsent parfois  des vérités enfouies : "La vérité, c'est l'humiliation," (p.187)Elles tentent de se frayer un chemin acceptable et audible pour parler d'une guerre dont on disait qu'elle n'en était pas une."...comment on avait renoncé à croire aussi que l’Algérie, c’était la guerre, parce que la guerre se fait avec des gars en face alors que nous, et puis parce que la guerre, c’est fait pour être gagné alors que là, et puis parce que la guerre c’est toujours des salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n’y en avait pas, c’était des hommes, c’est tout, et aussi parce que les vieux disaient c’était pas Verdun, qu’est ce qu’on nous a emmerdés avec Verdun, ça, cette saloperie de Verdun, combien de temps ça va durer encore, Verdun, et les autres après qui ont sauvé l’honneur et tout et tout alors que nous, parce que moi,.."( p.228-229)
De pauvres mots qui accompagnent de tristes bougres depuis qu'ils ont 20 ans et qu'ils ont été appelés. Ce roman parcourt la longue onde de choc du traumatisme causé par la guerre d'Algérie à travers le destin brisé de quelques individus. Il traque les silences et met en lumière une question, la seule qui vaille et qui harcèle les protagonistes au point de les empêcher de vivre :
"Quels sont les hommes qui peuvent faire ça. Pas des hommes qui font ça. Et pourtant. Des hommes." (p.201)La peur qui vrille le ventre, les sueurs froides, le dégoût, l'effroi, l'ennui, la faim, les brimades, les lâchetés, personne ne veut en parler. On montre les photos de groupes, les paysages ensoleillés, on raconte son voyage...
"Il va voir la mer et il pense aux premiers mots qu'il écrira à Solange. Il se dit qu'il parlera de la taille du bateau, un bateau tellement grand, dira-t-il, qu'on ne serait pas loin d'y mettre tous les habitants de La Bassée. Pourtant il ne parlera pas des regards autour de lui, de l'étrange silence qui s'engouffre dans les regards et, sur le bateau, avec eux, avec l'air froid qui cingle, la présence de la peur.
Mais il pourra parler des mouettes, des remorqueurs qui s'agitent autour, comme les mouches avec les chevaux et les vaches en été ; et il ne parlera pas de cette crispation, cette panique, soudain, dans les regards, les corps tendus, les gestes plus lents, souffles retenus, quand, plus fort que les voix et les cris des quelques hommes sur les quais et plus fort aussi que ceux des mouettes qui planent au-dessus de leurs têtes comme les petits avions de guerre qu'il a vus une fois aux actualités, au cinéma, plus fort encore, oui, jusque dans la gorge, dans la tête, impossible de le dire, encore plus de l'écrire, pensera-t-il, ni à Solange ni à personne, quand sous ses pas quelque chose ressemble à un tremblement, un mouvement, des voix et le vent, et les mouettes, il perçoit un coup plus long et plus fort il lui semble, jusqu'au fond de son être, jusqu'à en avoir les mains moites et pour une fois croiser le regard livide d'un autre appelé qui, comme lui, comme eux, sait que dès cet instant toute sa vie sera perforée de ce coup de sirène qui annonce le départ."
La peur est omniprésente dans ce livre et elle engendre le silence des hommes.Le courage de l'auteur réside sans doute dans la hardiesse dont il fait preuve pour lever le voile qui recouvre cette progéniture honteuse. 
Ce roman a reçu les Prix des libraires , Prix Virilo, et Prix InitialesLe site de l'auteur, La revue de presse sur le site des éditions de Minuit, Un entretien éclairant avec l'auteur à regarder et à écouter sur Interlignes, (curiosphère.tv)La critique de Martine Landrot pour Télérama,Celle de Baptiste Liger pour L'Express, de Philippe Lançon pour Libération, de Sabine Audrerie pour La Croix, ou de Jacques-Pierre Amette pour Le Point, Hecate a détesté, C'est un gros gros coup de cœur pour Aurore, Pickwick a été pris à la gorge,Reka a eu du mal,  Mapero a aimé,Un livre poignant oppressant et magnifique pour  Nicole Volle,  Alain en parle,  C'est un livre remarquable pour Brize, Sébastien Fritsch a refermé ce livre admiratif.

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