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Raymond Devos : "Matière à rire - L'intégrale "

Par Manus

Etre grippée, flanquée en plus d’une angine, a finalement des avantages : depuis trois jours, entre 38 et 39 °, je tente, comme je peux, de m’occuper des devoirs de mes quatre poussins, tout en appliquant le minimum pour que la maison soit décente au retour de toute la famille.

Hier, en tournant les pages du cahier de poésie de ma fille de dix ans, je tombe sur un texte de Raymond Devos, après notamment ceux de Molière, Jammes, Verlaine, et bien entendu, La Fontaine.

Il se fait que le texte qu’elle devait étudier et mimer, m’a donné l’envie de rechercher l’intégrale de Devos que je savais avoir quelque part parmi mes livres, de ceux qui sont probablement couverts de poussière.

Me voilà du fond de mon lit, à goûter des textes faciles à lire, à défaut de n’être en mesure d’en parcourir de plus consistants.  A vrai dire, c’est tout ce qu’il me fallait, vu mon état de légume avancé.

J’ai pu redécouvrir la simplicité d’un homme, tourné résolument vers l’humour, fin, aux pitreries gestuelles et jongleries verbales émouvantes.

Au-delà de ces jeux de mots qui prêtent à sourire, c’est davantage l’ambiance, l’atmosphère, qui se dégagent de ces textes qui me touchent.  J’y perçois un homme – Belge ? Français ?  Belge, assurément – en quête de sens de la vie, en recherche de métaphysique, attiré par la philosophie, voire de la mathématique fondamentale (« trois fois rien, c’est déjà quelque chose »)

Plus loin encore, je ne peux m’empêcher de deviner un véritable cœur d’or tant son humour est dénué de méchanceté ou de cynisme grinçant.  Sur les quelques cinq cents pages parcourues, c'est une personne douce, incapable de rendre les coups au centuple, qui apparaît.  Il est, à mon avis, celui qu’on pourrait définir comme un « vrai » gentil.  Non pas le niais, mais bien une personne tendue vers l’altérité, alternant une vision acérée du monde avec une lucidité tendre, tant sur lui-même – il pratique l’autodérision avec une facilité déconcertante – que sur son environnement.

Un clown qui m’émeut, et dont je perçois la beauté d’âme par cet humour si juste, précis, même si parfois, à la longue, certains de ses sketches sont lassants.

Il y a chez lui, à le lire, à l’écouter aussi, une touche d’innocence, de pureté, et d’émerveillement dans le regard.

Il est préférable de  prendre le temps de les lire un peu de temps à autre, aller à la pêche, piocher au gré des humeurs un titre de sketch.

Cet humoriste attachant est né en 1922 à Mouscron, et est mort le 15 juin 2006 à Saint-Rémy-lès-Chevreuse.

Voici, un sketch parmi de nombreux autres, qui m’a fait sourire :

« Narcissisme »

Vous savez ce que c’est le narcissisme ? …

C’est se plaire, SE plaire !

Narcisse s’était épris de lui-même

en se contemplant dans l’eau d’une fontaine.

Et moi, j’étais chez ma marchande de chaussures…

En train d’essayer une paire de vernis…

Et en me penchant pour juger de l’effet,

Je me suis vu dans ma chaussure

Comme si j’y étais !

Elle réfléchissait mon image !

Comme de plus, la surface d’une chaussure

Est courbe… convexe…

Elle faisait miroir déformant !

Si bien que … selon que je m’approchais ou m’éloignais

Mon visage changeait de pointure…

(Selon que son visage s’approche ou s’éloigne de sa chaussure, ses joues se creusent ou se gonflent.)

Alors, fatalement, à un moment …

(il se fige à mi-chemin)

J’étais beau !

Alors là, je n’ai plus bougé !

Je suis resté là à me mirer dans ma chaussure.

Et plus je me mirais,

Plus je m’admirais !

Je trouvais que j’avais de beaux yeux.

J’ai dit à la vendeuse :

- Je crois que j’ai trouvé chaussure à mon pied

Elle m’a dit :

- Vous en avez de la chance !

Je lui dis :

- Oui, je suis verni !

J’ai payé et, sans même daigner jeter un regard

Sur la vendeuse, je me suis retrouvé dans la rue,

comme ça (il le mime) à marcher tête baissée…

Je ne pouvais plus me quitter des yeux !

Alors les gens qui me connaissaient :

- Comment ça va ?

- Ca va !

- Salut, toi !

- Salut !

Les badauds :

- Qu’est-ce que vous regardez ?

- Ca me regarde !

Les gens croyaient que je faisais du nombrilisme

Parce que c’est sur le trajet …

C’était bien du narcissisme…

Et de la plus belle eau !

Alors, les gens qui m’aimaient bien

Essayaient de me distraire :

- Regarde là-haut ! Il y a un ange qui passe !

(Rappel d’ « Un ange passe »)

Je répondais :

- Je sais ! Je le vois passer dans ma chaussure !

Les psychiatres ne sont penchés sur mon cas.

Ils sont venus regarder dans ma chaussure

Pour voir s’ils m’y voyaient,

Comme ils s’y voyaient aussi,

Ils s’y miraient !

Et plus ils s’y miraient…

Plus ils s’admiraient.

Ils finissaient par ne plus voir qu’eux-mêmes !

Alors, ils disaient :

- Il y a un tas de gens dans les chaussures de Devos, sauf lui !

Et un jour …

Quelqu’un m’a marché sur le pied.

Le lendemain, j’avais une tête comme ça !

(Geste à l’appui)

Un menton en galoche !

Je marchais à côté de mes pompes.

Là, j’ai dit :

- Ca suffit ! Terminé !

Je suis retourné voir la vendeuse, je lui ai dit :

- Mademoiselle, donnez-moi une autre paire de vernis,

Mais MATE !

Elle a chaussé ses lunettes…

Elle s’est penchée…

Et elle est restée là

À se mirer

Dans ma chaussure.

Et plus elle se mirait,

Plus je l’admirais !

Elle avait quelque chose d’un ange !

Depuis, on en se quitte plus d’une semelle…

Mesdames et messieurs…

Si vous m’entendez dire,

En regardant ma chaussure :

- Tu as de beaux yeux … tu sais ?

Ce n’est pas du narcissisme !

C’est de l’amour …

« L’intégrale de Raymond Devos » paru aux éd. Olivier Orban, 1991.

Pour d’autres ouvrages aux éditions plus récentes, à voir sur son site : Raymond Devos

P.S : une idée de cadeau de Noël , qui sait…

Savina de Jamblinne


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