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La Cie Carte Blanche au Théâtre de Caen dans le cadre des Boréales

Publié le 25 novembre 2010 par Dansez

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Le théâtre de Caen, en fête ce mardi 23 novembre 2010 : retour sur la compagnie norvégienne Carte blanche venue danser Uprising (2006) d’Hofesh Shechter, Fallen Behind Me (première française, 2010) de Christopher Arouni, et Love (2003) de Shalon Ayel, pour la 19e édition du festival des Boréales.

Retenons que la compagnie Carte blanche a été fondée en 1989, qu’elle est composée de quatorze danseurs, qu’elle alterne créations et reprises, développant sa renommée internationale par des collaborations ambitieuses avec des chorégraphes de renom et un nombre croissant de représentations à l’étranger. Comme pour le Ballet Cullberg déjà accueilli au théâtre de Caen, on appréciera dans la performance technique des interprètes de Carte blanche l’influence de Mats Ek, reconnaissable au raffinement athlétique de son style, fait de purisme néoclassique et, par filiation, de stylisation essentialiste empruntée à Kurt Jooss, chorégraphe de La Table verte (1932), dansée d’ailleurs par Birgit Cullberg, fondatrice du ballet qui porte son nom et mère de Mats Ek. Voici que défile sur les planches du théâtre de Caen un rouleau d’histoires de la danse… Mais dès à présent, annonçons que le politiquement correct et le joliment tourné basculent dans le bondissant ; et que l’action scénique de la danse théâtrale se resserre autour de l’action spectrale, étayant en corollaires geste dansé et regard poétique. Alors, que dire des poncifs que suggère une telle soirée de gala ?

Que penser aussi de l’influx du mouvement dansé s’il ne produit son effet, ce qu’a priori nul ne contesterait ? Questionnons cette danse contemporaine, virtuose, voire académique, en tant que succédané de ces débuts du XXIe siècle. Interrogeons la forme en prenant en compte son parcours à travers plus de trente ans d’évolution esthétique soutenue par une politique culturelle étatique, celle du Ministre de la culture Jack Lang sous la présidence de François Mitterrand dès 1981. De surcroît, confrontons danse classique, moderne, jazz, nouvelle danse française à ladite danse contemporaine qui occupe les hauts de l’affiche afin de focaliser ce qui confère à la danse le statut d’art du spectacle que personne ne met en doute - seule la question du langage se trouvant sujette à caution selon certains. Que dire de la coupure sémiotique qui lui est intrinsèque ? Cette notion échapperait-elle au champ du corps dansant ? Cette question du sens, le philosophe Daniel Bougnoux l’appréhende au sujet de l’art de la danse dans son article « Bis ! ou l’action spectrale. Noli me tangere ». Il soutient que, de toute évidence, « la danse exalte la double jouissance, contradictoire, du corps réel et de sa représentation », image du corps dansant participant, explique-t-il, de l’ordre indiciel et d’une réalité iconique toute incertaine.

A notre tour, jetons-nous dans l’interprétation du jeu dansé, mais à distance, depuis la salle de spectacle, et entrons dans la danse en nous laissant gagner par cette énergie nommée nexus que le philosophe José Gil assimile au désir aux prises avec sa réflexivité, sa finitude, son réel (« La danse, le corps, l’inconscient »). D’abord, en quoi l’art chorégraphique procède-t-il du discours ? Comment signifie-t-il, et au demeurant, pourquoi invoquer aussi le caractère prétendument asémantique de la danse ? Ces interrogations appelant leurs propres hypothèses de lecture, commençons en guise d’exemple par déterminer ce que sous-tend la pièce Love de Shalon Ayel ; considérons cette œuvre pour ce qu’elle n’est peut-être pas, tout en l’appréciant en vertu de ce que nous y projetterons au gré du travail inconscient de l’imaginaire et des processus d’affabulation qui y concourent.

Support d’inscription, le corps dansant ne fait sens que par les opérations d’une lecture de soi. Fatalement. Qu’elle soit de pure exécution et d’expression, la danse nous racontera toujours forcément quelque chose de nous. Ceci étant, quelle en est la solidité, la consistance, la substance ? Bien éclairé sera celui qui pourra l’expliquer. Mais pour l’instant, occupons-nous d’échafauder une pensée sur le supposé acte de parole, et soucions-nous de coconstruire un regard chorégraphique, à l’instar de ce que le sémiologue Roger Odin prône. Qu’en est-il du postulat selon lequel la danse serait considérée comme asémantique, illustration éloquente du principe narcissique de plaisir qui dicte sa loi à la société contemporaine ? Pourquoi la danse ne serait-elle pas aussi langage ? Elle est certes pratique corporelle, physique, athlétique, artistique, comme du sport, dit en chambre, ou plutôt atmosphérique comme de la musique, dite d’appartement - composition en suspens qu’Eric Satie souhaitait affleurant à l’oreille, comme  transparente, insignifiante, quasiment absente et cependant active, présente, si prégnante et subliminale, mais non sublimatoire ni même sublime, encore moins et plus que cela… Alors asémantique ? A quelle(s) danse(s) avons-nous assisté hier soir ? A celles de Hofesh Shechter, de Christopher Arouni, et de Shalon Ayel.

Les trois chorégraphes interprétés ce soir du 23 novembre 2010 par la compagnie Carte blanche participent-ils du constat de réalité qui se résumerait au mot « vide » ? Hormis Uprising dont l’argument traite des émeutes survenues en 2006 dans les banlieues, ce par quoi Hofesh Shechter affirme un point de vue engagé en faveur des laissés pour compte de la société de consommation et du monde urbain actuel, exceptée la dynamique de groupe de sept garçons à la plasticité et aux allures martiales, les deux autres pièces, Fallen Behind Me et Love présentent, elles, une vision plus caricaturale pour celle-ci, et plus conceptuelle pour celle-là, chacune des trois véhiculant néanmoins le même sens de l’abstraction, avec un travail de symbolisation très différent dans chaque cas. A voir progresser tous ces corps en des actions toutes plus démonstratives et spectaculaires les unes que les autres, émergent bientôt, du mouvement organique, d’autres considérations, plus  dramaturgiques. Il nous faut écarter l’irrecevabilité de notre première proposition concernant l’asémantisme de la danse. En nous référant à une pièce qui n’a pas été dansée le 23 novembre dernier mais qui le sera le 29 novembre prochain, reprise du ccncbn à la Halle aux Granges de Caen, comparons ces trois chorégraphies, Love tout particulièrement, avec Just to danse (Fatlam, 2010). Notons les prises de position des Fattoumi-Lamoureux, soucieux d’imprimer dans les consciences une responsabilité civile, publique et citoyenne, politique (cf. l’article paru à ce sujet, archivé dans notre blog).  Gratuite, la danse, parfois. Mais n’en faisons pas une loi comme nous allons tenter de le voir. D’ailleurs, l’ensemble du répertoire chorégraphique, quel qu’il soit, classique, moderne, jazz ou contemporain, tend à l’infirmer. Citons encore Just to dance en contrepoint aux badinages que les ridicules de la séduction font passer pour de l’amour dans le spectacle intitulé Love et qui appelle un rapide décryptage, tant le sujet joué est remarquable d’ennui et de platitude. Encore une fois, veillons à ne pas confondre l’objet et le sujet, ni l’énoncé et l’énonciation, distance et distanciation participant de toute composition artistique.

« Love » n’étant pas Amour, ni Eros, Thanatos, encore moins Agapè, la pièce de Shalon Ayel (Love, 2003) s’oppose en tous points à celle des Fatlam (Just to dance, 2010). Mais toutes les deux semblent s’interpeller comme des pièces inversées,  antithèses, contre exemples l’un de l’autre, tant au niveau des procédés de maillage à la jazz quand les danseurs se succèdent en solos, saisissant l’opportunité à la fois jouée et vécue pour s’ouvrir les uns aux autres à tour de rôles, qu’au niveau de la compréhension du monde restitué sous les feux de la rampe. Parler des hommes, c’est forcément revenir à Vénus et à Mars en même temps qu’à Psyché et Amour. Carte blanche au théâtre de Caen donc. Apprécions le talent des interprètes, magnifiques exécutants, mais revenons à Love. Comme cette pièce affiche ostensiblement son fun et son sexy - tout n’étant en elle que sex and sun, franchement très lovely ! Mais, in fine, tout cela se révèle peu excitant, toute autre approche pouvant passer pour nettement plus érotique en dépit des fantasmes de prêt-à-porter, fort éloignés du goût libertin ; on eût cependant aimé faire du Love de Shalon Ayel un délassement. Ce qu’il est probablement, pourquoi pas, malgré son monotone et en dépit de son prévisible. Tout, dans Love, se réduit au divertissement, sans ludisme hélas. Une distraction, une inconséquente sortie, un menu plaisir en forme de dérobade entre deux portes, entre deux tours de chant, sur la scène dévoyée des plaisirs bientôt démodés, indiscutablement, d’où l’hébétude des anonymes qui se réjouissent dans le récréatif du samedi soir, en état narcoleptique, l’euphorie en moins, désabusés, mécaniques et déprimants. Telle est la peinture vivante de ce tableau de genre, dansé avec assurance, avec arrogance, avec endurance jusqu’à ce que mort s’ensuive, petitement. Sous leurs faux-airs si peu sensibles, détachés de tout, de la vie, et cramponnés au up to day, dans leurs uniformes noir moulant et découvrant leurs beaux corps déshabillés, ils s’admirent eux, pas les autres, narcissiques, égotiques. Tels sont les héros postmodernes se profilant ici.

L’objet développé par Shalon Ayel eût-il été de décrire le cœur des choses d’aujourd’hui à l’heure du cynisme et de la désubstantialisation, alors oui, on considérera que la chorégraphe de la compagnie israélienne Batsheva y est parvenue, avec excellence même. Mais on peut douter d’une telle orientation épistémique. À force de ne voir que l’écorce évidée, l’absence, l’acte accompli sans saveur, sans amour, sans un soupçon de sentiment, sans émotion, sans flamme, et comme absent à soi, ces personnages incarnent la terreur que peut inspirer à un certain public le fait même de penser, machine infernale alimentée par le libre arbitre et la problématique du choix. Monte depuis les planches une vie sans état d’âme, ici dansée comme on s’agite dans les love party. C’est en substance tout l’art de Shalon Ayel qui lance ses propres dés sur ce tapis de danse, comme une boule qui ne pourrait rouler jusqu’à son point mort parce que nulle main ne l’y aurait auparavant engagée. Tout semble être métaphorique dans ces corps qui bougent et gesticulent en cadence, certes, mimant jusqu’au ridicule l’acte sexuel et les parades amoureuses, en se raccrochant aux clichés en vogue pour toute justification, authentification d’un profond manque de conscience en ce monde anéanti, dévastateur, tournant à vide, sans espoir de revenir à qui de droit : avortée… Alors, du point de vue discursif, l’artiste chorégraphique en appelle-t-elle au seul principe de réalité lorsqu’elle nous montre de la sorte la société de consommation ? Triste constat des choses, pesantes par leur propre corruptibilité, car sans consistance, sans regard, sans Moi, constat délesté, frivole et léger. On sort de Love avec en tête et dans chacune de ses fibres le sentiment que l’amour, c’est tout autre chose. Ce n’est sûrement pas l’action qui nous est stylisée par ces ondulations de dos, les danseurs donnant de la tête comme pour combler leurs besoins compulsifs, esclaves du coït dominateur au travers des coups de reins qu’ils reproduisent, adoptant les tics contagieux des pistes de danse et des discothèques follement libérées, furieusement dans le vent… On aura finalement identifié l’ironie de Shalon Ayel dans le réalisme à peine satirique de ce tableau, à l’acidité feinte, au regard plus froid que critique sur la réalité sociétale, sur nos mœurs.

En conséquence, que signifie pour un danseur le fait d’être tout simplement là, physiquement et nulle part ailleurs ? Est-ce cela être présent à soi-même ? Telle s’entendrait la musique, avec son leitmotiv éculé du to be or not to be. Si l’art de la danse consiste aussi à se rappeler les uns aux autres, ad memoriam, par le corps en tensions, il s’avère qu’une relation d’élection ne saurait se dispenser de mise en perspective, d’idées. Par quels moyens opère la profondeur de champ nécessaire au rêve ainsi qu’à la prise de conscience, son corollaire ? Une chose existe-t-elle au-dessus de tout le reste, et si oui, laquelle ? Les danseurs, quant à eux, comme chaque artiste et la plupart d’entre nous, estiment la valeur du geste créateur non au creux des apparences, mais au prix du combat relevé comme un défi contre la pesanteur. En conclusion, disons que cette chorégraphie offre la vision d’une danse d’anéantissement, le moi étant, restant et demeurant une action spectrale, ainsi que Daniel Bougnoux en témoigne, le corps dansant se partageant entre indicialité du vivant (la chair) et symbolique du Noûs (l’esprit), telle une chute.

La représentation du 23 novembre 2010, au théâtre de Caen, était donnée à l’occasion du 19e festival des Boréales (manifestation culturelle scandinave et baltique portée par le Centre régional des lettres de Basse-Normandie, à l’initiative de Eric Eydoux, son fondateur).

Revenons aux questions coordonnant le spectacle, les arts et les lettres, et focalisons-nous sur le jeu corporel afin d’appréhender cette réalité poétique qu’est la présence scénique. Espérant nous accorder au diapason du corps dansant, soyons attentifs à ce que la persona cherche à nous dire d’elle, du masque et de nous-même à travers ces multiples facettes du JE qui est un autre, disait le psychanalyste Jacques Lévine, alors que le danseur éprouve, d’après Pierre Legendre, la passion d’être un autre. Alertes, enlevées, avec tout l’art et la manière de la danse académique, comment ces figures dansantes se mettent-elles en selle ? Et que mettent-elles en scène ? Par quel feu relancent-elles aussi ce qui pourrait ressembler à une chanson de gestes ! Il est vrai que l’art moderne puis l’art contemporain s’offrent de répondre à la crise de la représentation que redouble le sujet en crise face à la faillite des institutions et au déficit des idéaux, les instances s’amenuisant, élimant la conscience politique du citoyen du monde ; que l’homme cybernétique est, comme le signale Daniel Bougnoux, mais aussi d’autres auteurs tels Paul Virilio, Bernard Steigler, Régis Debray ou Alain Badiou ; interrogeons à leur suite les limites de notre propre condition, notre contemporanéité, en ce tournant de millénaire, et pesons notre finitude. Intensité du jeu éludée, faute de n’être pas élucidée, n’est-il pas question de présence lorsque nous parlons de la vérité du sujet qui, en danse, se replie sur les qualités de corps en présence au monde ? Manifestement, la compagnie Carte blanche dispense beaucoup d’énergie par-delà la rampe de scène pour un public réceptif comme à l’accoutumée au théâtre de Caen. Mais la présence scénique ne se borne-t-elle qu’à la puissance de frappe d’un corps propulsé en élévation ? Tout laisse à penser que non, aux vues de l’histoire de la danse, des artistes tels Merce Cunningham et Kazuo Ono ayant dansé jusqu’à l’âge canonique des quatre-vingt-dix années pour le plus grand bonheur du public. Preuve est faite que l’art de la danse n’est pas synonyme de corps juvénile et athlétique. Aussi en revient-on à la catégorie psychologique de l’émotion, laquelle, en Gestalt théorie, se calque sur la forme qui lui imprime son état réversible.

Le répertoire d’Hofesh Shechter, de Christopher Anouri, et de Shalon Ayel a été Interprété avec brio par la compagnie Carte Blanche. Ses quatorze danseurs ont ravi le public caennais, en ravivant sans discontinuité une fin des fins que les galops et les promenades contrôlés en tous points ont agencé derrière l’écran béant du théâtre, lequel parfois pouvait échapper au vide, comme dans Uprising, puissant, intelligent, mené avec fermeté, le langage étant tout policé et fort symbolique, par-delà l’immédiateté des sensations, de l’expérience, des sentiments, des émotions. Soulignant l’action spectrale, la rampe de scène, dans certains cas, peut se réduire à de simples déplacements de points et de lignes (Fallen Behind Me, de Christopher Arouni), à de l’agitation ou à du remue-ménage (Love), faisant voler moins les corps que l’air comme poussière pour tout ensemble. Parfois, j’ai pu regretter les insuffisances du regard, se limitant à de l’exécution, même si, en règle générale, l’interprétation technique pouvait apparaître magistrale, cette compagnie de danse contemporaine venue de Norvège étant applaudie pour ses qualités  artistiques et académiques, tous styles confondus selon le fameux critère qui veut qu’un danseur classique aujourd’hui sache tout danser avec excellence - Carte Blanche correspondant à cette esthétique, remplissant  admirablement tous les univers poétiques, admirée pour son excellence, son brio, plus que pour le brillant de l’écriture poétique. Au demeurant, la création 2010 Fallen Behind Me de Christopher Arouni s’est attachée à un jeu de passation entre ce trio de femmes, imprimant avec douceur et assurance leur autorité dans cette géographie que la vidéo projetée sur le panoramique révèle être une forêt en montagne sous la neige, vision de forêts vierges à découvert fichant la scène dans ce cercle polaire. Cependant, nous avons pu déplorer quelques longueurs dans le travail de Christopher Arouni et de Shalon Ayel, à notre sens trop systématique, compassé, n’en finissant pas de chercher le sol et ses ancrages, joliment touché certes dans des poses parfaitement réalisées par ce trio féminin, trio gracieux mais quelque peu insignifiant par ailleurs ; quant aux compulsions pour l’autre chorégraphie, soubresauts du bassin et épaulements avec prises de pied à la main disloquées, ces fresques vivantes n’en finissaient pas, elles non plus, d’épuiser leur système, acrobatiques, mimant l’acte et n’en dérogeant pas, peu convaincantes pour le coup.
Uprising (2006) est solidement ancré dans le sol. Son jeu dansé s’exécute avec un magnifique moelleux, avec rebond, avec des bonds aériens, la saltation rappelant les pas de bravoure que le ballet classique affectionne tant. Cette danse contemporaine peut émouvoir en effet par son assise yiddish, se retournant par aimantation et par posture introvertie des épaules, comme dans Political mother (H. Shechter, 2010), le bassin logeant son centre de gravité le plus en bas possible, le regard indiquant une direction récurrente partant de la terre pour prendre l’espace avec une amplitude exceptionnelle, à la manière de Saburo Teshigawara comme dans Air (2003, création pour le Ballet de l’Opéra de Paris) y extrayant la charge, la puissance, ou l’énergie, qui permettra de décoller et de flotter en vols planés tout à fait extraordinaires. Furieusement contemporain, H. Shechter transfigure le hip hop actuel sans pour autant le châtrer. Battant, combattif, viril et guerrier, Hofesh Shechter domine totalement son sujet de prédilection, la chorégraphie de ligne en ses interstices et ses interlignes ; quant à son rapport à l’espace, il le structure par le biais d’une solide architecture constructiviste, bien qu’il n’y ait aucun décor, la scène étant dépouillée, spartiate, austère, à l’instar d’une forteresse volante de guerre. Les connotations vont bon train par les associations d’idées, par ricochets, le septuor de danseurs fuse et cisèle l’air, aiguillant tout l’air du temps qu’il catalyse, qu’il canalise comme pour s’évader de cette prison, la cage de scène, cage en miroir du réel enfermement, celui des cités, cages qui soudainement volent en éclat grâce à la tonicité de ces corps athlétiques, vaillants et généreux, et qui permettent à l’action poétique de respirer en pivotant comme girouette sous  tous les vents, vents autant que moteurs de la liberté. Chez Hofesh Shechter, j’aime l’ardeur, la fougue, la précision martiale, l’engagement, la construction architectonique des ensembles d’hommes étonnamment “Uprising” et d’une masculinité extrême sans machisme aucun, tout en confraternité, les tapes dans le dos rappelant les uns les autres aux bons souvenirs des uns des autres, avec sa part d’enfance irréductible, comme de bons copains. Etant dans une relation plus brute aux choses, sa danse n’est pas moins consubstantielle aux corps dansants dont l’organicité rend hommage à l’animal de meute qu’est l’être humain, et dont la corporéité de la présence rend probablement compte de la part divine appelée à rejoindre l’amour universel, en phase avec l’autre niveau de conscience grâce auquel l’espace-temps ne se vit qu’en conscience et au tréfonds.

Valérie Colette-Folliot, le 23 novembre 2010.

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Site internet du festival Les Boréales


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