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Fastes brefs - octobre 1/2

Par Villefluctuante
    MEDUSES

Entre New-York et Boston. On roule dans le noir,dans le brouillard. La route est longue, l'espace immense, tout est noir. Autour de nous lesénormes voitures américaines bondissent mollement comme des éléphants de mer. Aux abords des villes surgissent des publicités violemment éclairées, des bandeaux luminescents suspendus par de hautes potences métallique que l'on devine à peine dans le ciel noir. Nourriture. Voitures. Téléphones. Services divers. Aussi les "convicts" en photo avec le fameux "WANTED". Un violeur et une femme recherchée pour meurtre s'intercalent avec les pizzas, le real estate, les vacances aux caraïbes, la bière Bud Light, les compléments alimentaires qui font maigrir, le site de rencontres en ligne. Tout est mis sur le même plan, exposé bien à plat dans la même lumière, le même graphisme. Ultimement, une publicité pour la publicité occupe les panneaux vacants. Le vide n'existe pas, ne doit pas exister dans un environnement pareil. On traverse tout cela comme dans un rêve, un cauchemar. On traverse dans le noir dans ces étranges voitures à la fois lentes et rapides, on happe silencieusement ces lumineuses méduses d'information, on n'est plus que rétine et vitesse à la manière du capitaine Bowman en route vers Jupiter dans son vaisseau, rétine hallucinée. L'impression d'irréalité ne diminue pas à mesure qu'on entre dans l'alpha et l'oméga d'un monde si furieusement matérialiste qu'il en devient fantastique. Toute cette violente nature est tenue à distance par un imaginaire plus violent encore, un ordre plus impérieux, un mythe plus étrange. Ce n'est pas seulement qu'il ne reste plus que les choses, les produits qui semblent vivre leur vie propre en dehors de nous. C'est qu'il ne reste plus que leur trace, leur image, leur artefact de méduse qui flotte dans le brouillard noir. Tout, chaque chose est réduite à son résidu sec d'information, si finement diffusée et grainée qu'on a désormais affaire à un plancton d'information que l'on happe, que l'on gobe presque inconsciemment en lieu et place du monde. Mais c'est ça le monde. C'est ce que nos branchies humaines peuvent filtrer du monde.

LES PHALENES

Chaque chose était posée dans une petite nuée d'espoir réfléchi et vorace, et eux régnaient sur ça, il me regardaient avec leurs yeux de Bambi, avec leurs yeux de phalènes à ceci près que les lumières autour d'eux étaient candides elles aussi, il me regardaient avec déférence, avec effroi, avec amusement, et nous parlions je crois, et nous riions, et nous échangions précautionneusement des éléments de langage, des mots, des idées, des souvenirs peut-être que nous glissions poliment sur le formica, que nous nous passions un peu timidement avec comme des poignées pour les saisir,  mais non, ce n'est pas possible me disais-je si bois moi seul sera ivre, et personne ne comprend ce moment comme eux, et les lumières et les cris sur le boulevard veule sont pour eux, cette promesse, et non, nous ne sommes pas dans la même nuit.

CARREFOUR

C'est le jour où je ne crois plus en rien, où plutôt, où tout se disloque brutalement à la fenêtre; le je et le croire misérablement vaincus, repartent en déroute sous l'œil du Rien rieur. La station de métro, en bas, crache ses êtres étrangement bidimensionnels, noirs, pliés. Les voitures escaladent la rue en glissant sans effort, en tanguant légèrement comme des vaisseaux soyeux. On imagine les conversations, les diodes, le soir, le couple, la radio. Et je fixe toute chose comme à travers une brume stupide. Et j'attends patiemment quand tout le reste de ma vie s'offre vacant. En bas, tout attend inventé, d'invisibles rouages tournent, d'invisibles crans me scandent.

CODE INCONNU

Une longue file se forme devant la machine qui émet des sons désapprobateurs et l'angoisse de chacun naît du fait que, malgré l'attente relativement longue, on n'ait pas assez de temps pour comprendre, pour se faire une idée de ce qu'y se passe, et surtout de ce qu'il faudra faire devant la machine quand ce sera son tour. Il n'y a rien à faire d'autre, en vérité, que subir la pression de la colonne, de l'attente, de la machine. On pavoise, on raille avec son voisin. Et quand vient son tour quand il est temps d'obéir aux petites diodes impérieuses et aux bips exaspérés, il y a ce mur des regards dans son dos, d'une densité de loups où la peur de l'individu se mêle au plaisir de la meute. On va, on tape sur l'écran alors que l'intelligence mouline comme un écureuil fatigué et piteux, on s'acquitte de sa petite épreuve, penaud quand survient une agente elle aussi au bord de la crise de nerfs, on ramasse ses emplettes soudain curieusement honteuses sous le scan des regards et des lecteurs laser, on ose à peine un sourire de connivence avec le suivant et on s'éclipse, serrant son sac en plastique, bien en peine de trouver une contenance. Ah civilisation, société, souvenirs: salles de classes, salles de bals, salles d'armes, on rentre, on rentre tous la tête basse, qu'est-ce qu'on mange ce soir.

LE RIDEAU

Oui, nous connaissons la règle, mais c'est plus fort que nous. Devant nous le rideau fait le monde et nous nous sommes devant à regarder, à éprouver. On ne touche à rien, on ne s'appesantit sur rien, on ricoche, on accélère dans les reflets, on reflète même avant eux, on anticipe: c'est le sens. Nous avons les mots et les images, cela glisse luminescent, facile et élégant sur l'écran. La maille souple, de rêves tissée, de chimères établie, est notre monde. Aussi malheur, malheur à celui qui perce, qui creuse, qui file la maille. Qu'y a-t-il de l'autre côté?

FRAGMENT

Il ne nous sera pas donné de profiter du monde. Nous ne verrons ni les brumes, ni les vapeurs du matin, nous ne saurons pas les mystères. Faussaires nous sommes. Toujours nous devons fabriquer en nous, ou entre nous, un double du monde ravaudé d'images et de mots, d'affects et de sensations: et nous présentons cela plein d'espoir en face du vrai. Jamais ça ne coïncide. Partout nous voyons des hommes. Nature, animaux, ciels: même le rien nous en faisons de l'homme. Aussi, cette infrastructure que nous traînons partout comme un invisible cadavre. Ces choses que nous fabriquons pourtant pièces à pièces et qui peu à peu finissent par constituer un nouveau monde, que toujours nous ne voyons pas.

JPD


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