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[Chronique] Absolute Dissent de Killing Joke

Publié le 28 novembre 2010 par Cuttingpapers

La question se pose fatalement un jour pour tout artiste.
Que peut-on bien avoir encore à dire après 25 ans de carrière ?
Cette question bien sur, ne sera valable que si un, le groupe/artiste a atteint cette longévité (ce qui commence à devenir rare si l’on regarde le ratio groupes émergents/groupes existants toujours un an après), deux si le groupe/artiste a déjà à la base quelque chose à dire (là encore, cela devient rare aux vues du ratio artistes émergents/artistes intéressants).

Ce qui tombe plutôt bien dans notre cas, c’est que Killing Joke combine les deux éléments cités précédemment. Ils ont fêté leurs 25 ans de carrière, et ils ont toujours eu plus ou moins quelque chose à dire dans leurs textes ou par le biais d’expérimentations musicales qui leurs permirent de devenir des pionniers et des modèles.
Sans Jaz Coleman et sa bande, point de NIN, de Ministry, voire même de Nirvana

Alors en 2010; période musicale noire où les majors signent uniquement ce qui sera vendable, où nos oreilles sont fréquemment bouchées par des quantités de moins en moins supportables de politiquement correct et où trouver matière à franche réflexion dans une chanson devient aussi difficile que trouver de l’oxygène dans l’espace; en 2010, que pouvait bien pouvoir revenir nous dire Killing Joke ?
Comment un groupe à l’identité si forte et aux références ésotériques, politiques et historiques complexes a encore pu revenir dispenser son message aux fans ?

Après son come-back fracassant en 2003 et l’infernal et étouffant « Hosannas… » de 2006, c’est avec un album synthèse que le groupe nous est revenu. A la fois retour aux origines (le line-up est celui des premiers jours) et panorama quasi complet de ce qu’ils ont pu offrir (exception faite des rythmes tribaux et des influences orientales qui parcouraient Pandemonium).
Une façon pour eux sans doute de contenter les fans tout en permettant aux jeunes générations de découvrir le mythe.

Absolute Dissent - Killing Joke
Absolute Dissent prend sa source avec le décés du bassiste Raven (un hommage lui est d’ailleurs rendu sur le titre The Raven King). Prise de conscience. Electrochoc.
Coleman et les siens se voient mortels, et se remémorent le bon vieux temps, en même temps que leur reviennent leurs fantômes, leurs colères et surtout leur écrasante et rayonnante envie de bouffer la vie (Absolute Dissent, In Exelsis).

Exit donc la production brute et étouffante du dernier album, le son redevient plus claire et précis, plus léger (bon attention on est pas là pour écouter de la pop bubblegum quand même). Les synthés ont été ressortis et viennent s’incruster sur certains morceaux (European Super State, The Raven King), sans que cela les rendent ringards.
On se rappelle alors que dans les eighties KJ nous a pondu Night Time en s’appropriant la new-wave de manière intelligente (et aussi qu’ils usèrent la formule jusqu’à la corde avec Brighter than a thousand suns).
Autres différence notable avec les deux autres albums des années 2000, Coleman utilise de manière moins systématique ses incroyables hurlements guerriers.
Ici sa voix est plus modulée, assez souvent soft et vraiment mélodieuse.
Il offre ainsi un aperçu de ses qualités vocales, et de ce qu’il a pu offrir sur des albums comme Brighter than a thousand suns ou Night time.

Comme dit plus haut l’album voit revenir le line-up originel. Ainsi est on heureux de retrouver la batterie puissante de Paul Ferguson et le son de basse si particulier de Youth.
C’est de toute manière assez simple, le groupe dispose d’une signature sonore telle, qu’elle est reconnaissable dès les cinqs premières secondes d’un morceau.
Elle est d’ailleurs ici exploitée sous ses formes majeures dans leur discographie.
Tour à tour aggressive (Depthcharge), flamboyante, menaçante ou planante (Ghosts of Ladbroke Grove).
Ces quatres là possèdent une alchimie certaine, qui, bien qu’elle soit fondée sur une tension palpable leur permet de créer des univers sonores animé d’une réelle âme et d’une puissance parfois exténuante (Hosannas from the basement of hell, exemple type de l’album épique dont on ressort à genoux).

Reste enfin le contenu.
Pour les non-initiés, Killing Joke a tout au long de sa discographie, placé de nombreuses références ésotériques, mystiques (Pandemonium), religieuses, politiques, économiques (Extrimities, Dirt & Various repressed emotions), etc… au travers des textes de ses chansons.
Toujours en prise avec les questions d’actualité et toujours en colère (qui ne le serait pas) devant l’état consternant du monde, Jaz Coleman parle rarement à la légère et permet à son auditeur le plus curieux d’enrichir sa culture et d’éveiller son esprit. Pour peu bien sur qu’il veuille suivre les cailloux déposés ça et là dans les chansons.
Généralement concentré sur un sujet bien précis, il touche plus large sur Absolute Dissent et aborde une multitude de problèmes.

[Chronique] Absolute Dissent de Killing Joke
Cela va de l’écologie sur Depthcharge, à la dénonciation d’un monde créant délibéremment des carences pour réguler la population (The great Cull), en passant par la chute du système économique et du monde lui-même (Here comes the singularity, This world hell) et l’Europe.

Ah, l’Europe. C’est une des premières fois que le groupe l’évoque.
Sur European Super State, il pose ainsi en vis à vis l’héritage culturel, le rêve européen et son asservissement à l’OTAN ainsi que ses dissensions…

Certes, certaines idées sont dérangeantes et certains raisonnements complexes, mais Coleman et les siens ont le mérite d’essayer de transmettre quelque chose.
Je vous recommande d’ailleurs (si vous maitrisez l’anglais), la lecture de cet excellent pas à pas de l’album par Jaz lui-même qui occupera l’esprit des plus curieux d’entre vous un bon bout de temps…

L’album se clôt sur Ghosts of Ladbroke Grove. Morceau habité, hanté littéralement, avec son ambiance de bateau fantôme et son inspiration dub.
Sur ce titre, Jaz Coleman invoque les souvenirs de son home sweet home. En effet, dans les années 70, Ladbroke Grove fut un berceau punk et reggae remplit de personnalités étranges et dans lequel Jaz a grandit. De cet esprit libertaire il ne reste aujourd’hui plus rien, tous ces joyeux drilles ayant été remplacés par des banquiers et autres gens propores sur eux.
Ainsi, c’est sur cette vague de mélancolie et d’interrogations que se termine 60 minutes de chevauchées en terre sauvage avec le groupe.
60 minutes d’un Absolute Dissent qui sans atteindre les sommets de précédents opus, n’en reste pas moins un bel effort, dont on découvre de nouvelles nuances à chaque écoute.

25 ans après leur début, j’ai vu le groupe sur scène. Lors de leur tournée.
J’y ai vu, j’y ai senti une énergie folle. Un courant capable d’électriser une salle entière et hétéroclite.
Comme si la rage et l’envie des premiers jours était toujours de mise. Comme si l’urgence n’avait jamais décrue.
Et perdu dans cette communion (comme Jaz aime à le rappler, KJ est plus qu’un groupe, c’est un mode de vie, une sorte de confrérie), la confirmation s’est faite.
25 ans après ses débuts, un groupe peut encore avoir beaucoup à dire et à faire. Beaucoup à donner. Pour ses fans, pour les autres. Indépendemment des notions de ventes, de nominations ou de mainstream. Un groupe peut exister pour ce qu’il est s’il en accepte le prix et si il lutte pour ça…
Et ça, ça s’appelle la passion. Tout simplement.


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