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Jeanne, toujours et encore

Publié le 28 novembre 2010 par Lorraine De Coeur

Querelle de passionnés ? Querelles chauvines ? Que penser des « preuves » que les uns et les autres présentent comme « définitives » pour jalonner les déplacements de celle que nos catéchismes et livres d’histoire, attelés à une même œuvre, présentent par ailleurs attachée à sa terre « natale » et gardant ses moutons…

Polémiques. La terre « natale » l’a-t-elle jamais été ?
Les moutons ne sont-ils pas issus d’une forme de sensiblerie d’un temps où le monde pastoral et agricole désirait ardemment se retrouver dans l’histoire merveilleuse de Jeanne ? Et le pèlerinage à Saint-Nicolas-de-Port ?

Il n’est pas ici question de donner des réponses irrévocables à cet « entre-deux » qui alimente les controverses que suscite le « cas Jeanne d’Arc ». La question posée est simple :

« Jeanne a-t-elle effectué le pèlerinage de Saint-Nicolas-de-Port ? »

L’article de Nadia donne à penser que non. Pourtant, lors des festivités annuelles de la Saint Nicolas, autour du 6 décembre, les voûtes de la basilique résonnent lors de la procession du chant « Saint Nicolas, ton crédit d’âge en âge … » et un couplet est consacré à l’héroïne « lorraine » :

Chez nous aussi, car des bords de la Meuse,
Quand sortit Jeanne, effroi du léopard,
Dans nos parvis, la guerrière fameuse
Vint à genoux, s’inspirer au départ.

L’ouvrage écrit par Jean-Marie Cuny, Le Grand Saint Nicolas des Lorrains donne force détails concernant ce pèlerinage, réalisé « Avant son grand départ pour le royaume de France ». Les trois illustrations de cette page sont de trois types :  

  • Le Christ de la chapelle de Saint-Nicolas-de Sepfonds (près de Vaucouleurs) devant lequel Jeanne est venue prier en 1428.
  • Le tableau de Pierre-Dié Mallet daté du 20 mai 1929 (cinquième centenaire du pèlerinage du 10 février 1429, neuf ans après la canonisation et sa proclamation comme Patronne de la France) rappelle le passage de Jeanne.
  • Enfin, et ce n’est pas le plus étonnant, la reproduction du vitrail de l’église lunévilloise, consacré à sainte Jeanne d’Arc et la présentant alors qu’elle se rendait à Saint-Nicolas (église érigée sur fonds privés et dédiée à la sainte onze ans avant la canonisation). Étonnant parce qu’on y voit la basilique actuelle (XVIe siècle) alors que l’église érigée en 1193 était toujours debout en 1429. Si l’on n’y prend pas garde, voilà une représentation qui risque de faire « preuve » (En fait elle fait déjà preuve auprès de personnes pour qui l’esprit critique n’est pas la qualité première).

Plaque commémorative. Façade de la mairie de Saint-Nicolas-de-Port.

Autre « preuve », la présence, sur la façade de la mairie, d’une plaque apposée en 1929 (La représentation de l’église en arrière-plan est celle de l’église de 1193).

Un autre ouvrage Saint Nicolas et les Lorraines entre histoire et légende (catalogue de l’exposition éponyme 2005 – 2006 sous la direction de Francine Roze) est plus prudent :

On lit « Jeanne d’Arc s’y [à Saint-Nicolas-de-Port] serait rendue avant d’entamer sa chevauchée destinée à libérer la France ».

Passons sur le but du voyage de Jeanne qui est tout autre. C’est la restriction qui est intéressante. Rien n’est certain. Peut-être que Bertrand de Poulengy, ou Jean de Novelpont pourraient nous aider ? Ces deux accompagnateurs de Jeanne ont présidé à son éducation. Elle a appris entre autre choses, l’équitation et le maniement des armes, si bien qu’on ne peut pas s’étonner de la voir parcourir des lieues et des lieues, et se rendre là où les croyances de l’époque incitent à aller.
Il faut souligner toutefois que, si pèlerinage il y a eu, c’est seulement AVANT D’ENTAMER SA CHEVAUCHÉE vers Chinon.

Mais est-ce sa seule raison ? Rien n’interdit qu’elle soit allée, ou qu’elle soit passée près d’autres sanctuaires, par exemple lorsqu’elle s’était rendue à Nancy auprès du duc de Lorraine, convoquée par lui comme « guérisseuse » (voir à ce sujet Jeanne dite Jeanne d’Arc de Henri Guillemin).
En effet, au début de l’année 1429, Charles II, malade, incite Jeanne à aller en pèlerinage à Saint-Nicolas-de-Port, mais celle-ci lui reproche sa vie dissolue et lui conseille de renvoyer sa maîtresse, Alison du May. Sans suivre ses conseils, il lui donnera pourtant une troupe pour qu’elle se rende à Chinon mais ne permettra pas à son gendre de suivre « la Pucelle » [D’après Wikipedia].

Des questions restent en suspens, qu’il convient de considérer à la lumière de quelques citations :

  • Pierre de Sermoise a écrit : « Le débat a été faussé le jour où Jeanne a été canonisée, le 16 mai 1929, car, dès lors, elle devenait intouchable ».
  • Gambetta, après la canonisation : « On ne touche pas à Jeanne d’Arc ».
  • Régine Pernoud, la spécialiste autoproclamée de Jeanne d’Arc : « Jeanne ne finira jamais de nous poser question … ».
  • J’ajoute qu’il faut faire la part entre la recherche historique de la vérité et les engouements à caractère religieux (et même « magiques ») qui faussent toute discussion …
  • Honoré de Balzac a écrit : (cité par G. Pesme, in Roger Colet Jehanne Pucelle d’orléans. Enseigner l’histoire ou propager sa légende ?) «Il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, qu’on enseigne ; puis l’histoire secrète où sont les véritables causes des événements ».

La date de ce pèlerinage, d’abord.
L’un parle de 1428, l’autre de 1429. Et, précision supplémentaire, le 10 février (ou en janvier …). En plein hiver ? Par quel chemin accessible ? Jeanne avait-elle auprès d’elle un chroniqueur notant chacun de ses faits et gestes ?

Qu’en est-il de l’itinéraire emprunté par Jeanne ?
Pierre Marot, dans son ouvrage Saint-Nicolas-de-Port, la « Grande Église » et le pèlerinage, pense que les pèlerins allant vers Saint-Nicolas, empruntaient « dans la forêt de Haye, au niveau de Villey-le-Sec (…) un chemin, dit chemin des pèlerins qui évoque l’époque où la route de Toul vers l’Allemagne, par Saint-Nicolas, se faisait au sud du massif boisé, laissant Nancy au nord (…) ». Le seul « hic », c’est que ce chemin n’aurait été ouvert qu’en 1720 (voir à ce sujet le site : jeannedomremy.fr/ressources/nancy). Et que devient alors l’épisode nancéien ?

Alors, Nancy. Pourquoi ?
On lit que ce fut afin de se rendre au chevet du duc à Nancy, puis, ensuite, au pèlerinage que, semble-t-il, ce duc lui aurait « conseillé » (sur les pas de tellement d’autres pèlerins, faut-il préciser). La controverse porte sur la possibilité que Jeanne ne soit allée qu’à l’ermitage Saint-Nicolas, à l’entrée de Rosières-en Haye, près de Dieulouard. Quel lieu a-t-il été effectivement l’objet du pèlerinage de Jeanne ? Les preuves pour l’un et l’autre de ces deux sites sont sans appel.
Ce qui penche pour Saint-Nicolas-de-Port est la présence de la relique qui donne plus de « force » aux liens avec le saint. Mais la ferveur populaire, accompagnant la notoriété du saint, a créé bien des reliques avant même que la phalange « sacrée » ne parvienne à « sa » ville éponyme. Comme aujourd’hui, il n’y avait pas alors que des préoccupations strictement spirituelles dans l’établissement de tel ou tel lieu de pèlerinage … Peut-on trancher ?
L’historien se doit de confronter les diverses thèses. Mais pas obligatoirement de donner un avis « définitif » puisque manquent des preuves irréfutables. Ce qu’il y a d’intéressant ici, c’est justement tout le questionnement autour de Jeanne, qui ne peut que faire progresser la connaissance que l’on en a.

Jeanne, évanscente. 1903.Si l’on en croit la chronologie « officielle » de Jeanne, quel âge avait-elle donc lors de ce « pèlerinage » ?
Seize ou dix-sept ans ! Et déjà une notoriété internationale … L’appel fait par le duc de Lorraine concernait bien une ressortissante d’une région hors du saint Empire romain germanique dont dépendait alors la Lorraine. Et cette ressortissante avait déjà une réputation de guérisseuse telle qu’elle aurait été connue à Nancy ? Voire …

Cependant, pour ne rien laisser au hasard, Jeanne est exorcisée pour le cas où le diable aurait établi ses quartiers en elle.
Alors, pèlerinage destiné à conjurer le « mauvais sort » et prendre des garanties pour le voyage vers Chinon, ou bien pèlerinage de contrition (expiatoire ?) imposé afin de parfaire l’acte d’exorcisme ? On est loin de la sainte fillette confite en dévotion au milieu de ses moutons, d’autant que le curé mis à contribution pour cet exorcisme n’est autre que celui-là même qui la confessait dans son village (d’après Guillemin) … N’oublions pas toutefois l’ « ambiance » de l’époque, navigant entre ferveur religieuse, pratiques magiques et rituels plus ou moins empreints de superstitions et ce, jusque dans les plus hautes sphères du royaume !

Et si l’essentiel de la question n’était pas là où on la cherche ?
Par exemple, que le pèlerinage entre dans un ensemble de « gestes » dont la finalité est de « prouver » que le roi de France est bien de droit divin … ? Pourquoi pas ?

Cependant, il n’est pas rare d’entendre que Jeanne est passée par ici, ou par là …

Mains villages à proximité des itinéraires « possibles » de Jeanne revendiquent non pas une « station » dans les déplacements de Jeanne, mais au moins la possibilité qu’elle ait traversé tel ou tel lieu. Mon esprit à moi aussi s’envole et je songe avec tendresse à ce village au fin fond de la Kabylie où un habitant hilare proposait, contre rémunération, de montrer la chambre où Louis XIV AURAIT PU dormir. Ben voyons…

On peut aller sur ce site si l’on veut lire un autre éclairage de la question du pèlerinage de Jeanne.

Alors, pèlerinage à Saint-Nicolas-de-Port ou pas ? Qu’importe si cela aide à vivre ceux qui y croient …


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