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Karachigate : les auditions comparées de Balladur et de Villepin.

Publié le 29 novembre 2010 par Juan
Karachigate : les auditions comparées de Balladur et de Villepin.Tous les deux ont été premiers ministres. L'un a témoigné devant une mission parlementaire, l'autre devant un juge. Leurs deux auditions ont été enfin publiées. Il nous manque quelques écoutes, et le dossier sera presque complet. Balladur et Villepin se sont partiellement expliqués. Partiellement, car les sous-entendus et les amnésies restent nombreux. Le procès Clearstream tient-il en otage la vérité de l'affaire Karachi ?
Balladur a tout oublié
Edouard Balladur a failli être président. Icône de la traîtrise, il est parti contre son ancien ami de trente ans Jacques Chirac en 1995 pour le poste suprême. Il a échoué. Une quinzaine d'années plus tard, le 28 avril 2010, il s'est présenté devant quelques députés d'une mission parlementaire sur l'attentat de Karachi en mai 2002. Malgré les refus répétés du président de l'Assemblée nationale de délivrer au juge Marc Trévidic le contenu complet de ces auditions, le Journal du Dimanche a publié en fin de semaine dernière celle d'Edouard Balladur. Le lien entre cet attentat et une vente de sous-marins en 1994 reste à être démontré. Mais l'affaire des commissions et rétro-commissions prend une autre tournure.
Dans son audition, conservée au secret jusqu'alors, Balladur s'explique beaucoup, dément tout autant et livre peu.
1. Il affirme n'avoir jamais été au courant du versement des commissions aux intermédiaires, pakistanais ou autres, en marge du contrat de cession de 3 sous-marins au Pakistan. Pour un contrat de quelques 826 millions d'euros d'armements stratégiques, vendus à bas prix et rapidement, malgré l'avis défavorable de Bercy, l'affirmation prête à sourire. Les commissions, à l'époque, étaient légales, et il fallait une autorisation publique, ne serait-ce que pour des motifs fiscaux (i.e leur déductibilité au titre de « frais commerciaux »).
2. Il dément toute rétro-commission : « Je n'ai pris en 1994 aucune décision d'octroi de commissions et, bien entendu, jamais envisagé si peu que ce soit que ma campagne électorale pût être financée de façon illégale par des rétro-commissions. »
3. Il s'abrite derrière la validation de ses comptes de campagne par le Conseil constitutionnel en 1995 pour justifier la légalité des 10 millions de francs reçus en espèces en janvier 1995. « Comment aurais-je, de propos délibéré, encouru un tel risque alors que j'avais dû emprunter pour financer ma campagne une somme de 30 millions de F dont le remboursement n'était pris à sa charge par l'État que si le Conseil constitutionnel jugeait mes comptes réguliers ? »
4. Il apporte, quinze ans après les faits, une explication qui, à l'époque, n'avait pas convaincu les rapporteurs du Conseil examinant ses comptes : «  les sommes déposées en espèces provenaient des collectes effectuées dans les centaines de réunions publiques qui ont eu lieu à travers tout le pays et de la contribution personnelle de tous ceux qui soutenaient ma campagne, comme il est d'usage dans toutes les campagnes électorales et pour un montant, je le répète encore une fois, très largement inférieur à celui autorisé par la loi. »
Villepin a failli tout balancer
Dominique de Villepin est lui plus prolixe. Mediapart a publié l'intégralité du procès-verbal de son audition devant le juge Renaud Van Ruymbeke et l'avocat des familles de victimes de l'attentat de Karachi, Maître Morice (*). Villepin revient sur deux contrats précédents, le contrat pakistanais Agosta et le contrat saoudien Sawari II. On sent qu'il marche sur des oeufs.
1. Il affirme qu'Alain Juppé, pourtant premier ministre, n'aurait pas été mis au courant des enquêtes conduites par Charles Millon sur instruction directe de Jacques Chirac, sur d'éventuelles commissions ou rétro-commissions en 1995, « puisqu’il ne s’agissait, à ce stade, que d’une vérification technique. »
Villepin explique que Chirac avait été alerté, dès son élection, « par de hautes personnalités étrangères sur les pratiques contestables
2. Villepin confirme que l'enquête des services de renseignement a démontré (1) l'existence de commissions dans le cadre de ces deux contrats, (2) que certaines commissions, dont « les modalités financières de ces commissions apparaissaient exorbitantes, qu’il s’agisse des montants ou des versements anticipés qui avaient été prévus », ont été versées à des intermédiaires « sans véritable lien avec ces marchés mais imposés par le ministère de la défense » de l'époque (i.e. François Léotard). Il est très explicite : « Les commissions du réseau Takieddine sont apparues, selon les conclusions qui nous ont été présentées, sans lien avec le marché pakistanais.» Les montants évoqués, sur les deux contrats sont de l'ordre de 200 millions d'euros pour Sarawi II et 33 millions d'euros pour Agosta...
3. Sur les rétro-commissions, Villepin précise que les soupçons de l'époque n'étaient qu'une « intime conviction », suffisante tout de même pour vouloir annuler plus de 200 millions d'euros de commissions. D'où viennent alors ces « très forts soupçons » ? Primo, de « l’examen détaillé des contrats et du caractère anormal d’un certain nombre de dispositions » , « tant sur les montants que sur le calendrier.» Secundo, d'écoutes téléphoniques qui démontraient les contacts fréquents et répétés entre deux intermédiaires, Ziad Takkiendine et Abdulraman el-Assir, et des personnalités politiques du camp Balladur (« des ministres du précédent gouvernement et des membres de leur entourage »). Takieddine a ensuite voulu porter plainte contre le gouvernement français quand il fut prévenu de l'arrêt des versements, mais « Il a fini par céder et l’affaire s’est conclue par la destruction des différents documents entreposés à Genève », rapporté Michel Mazens, l'ancien patron de la Sofresa nommé par Chirac en décembre 1995, devant le juge Van Ruymbeke.
4. Quelles étaient ces personnalités politiques ? Villepin explique : « tel ou tel parti soutenant la majorité du premier ministre de l’époque », c'est-à-dire Balladur. Au juge Van Ruymbeke qui insiste, Villepin se retient de donner des noms. Il confirme cependant le nom de Brice Hortefeux.
Mais qui donc était écouté ?
Devant le juge, Dominique Villepin ne voulait pas laisser croire que Jacques Chirac et lui-même orchestraient un cabinet noir chargé d'écoutes, enquêtes et vengeance. Cela affaiblirait sa position personnelle dans le nouveau procès de l'affaire Clearstream, prévu l'an prochain. Ainsi les écoutes téléphoniques n'auraient pas visé d'hommes politiques; elles n'auraient pas été ordonnées par l'Elysée; Chirac ne cherchait qu'à moraliser la diplomatie internationale; etc.
En 2008, le juge Van Ruymbeke avait déjà dû renoncer à identifier les bénéficiaires de rétro-commissions dans un autre contrat, celui des frégates de Taïwan, signé en 1991 sous François Mitterrand pour sa première tranche, augmenté de 2 milliards de francs en 1993 sous Edouard Balladur. Quelques 520 millions de dollars de commissions avaient été versés, un montant confirmé par Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères, puis Alain Richard, ministre (socialiste) de la Défense.
Villepin se protège.
Les écoutes de Chirac
Ces écoutes suscitent le trouble. D'après Villepin, elles n'auraient concerné, en 1995-1996, que deux anciens collaborateurs de François Léotard, Patrice Molle et Pierre Louis Dillais. D'après Charles Millon, ces écoutes auraient été réalisées car les intéressés se plaignaient de menaces de mort. Samedi 27 novembre, Le Monde complétait : « De manière illégale, plusieurs personnalités, dont le ministre de la défense d'Edouard Balladur, François Léotard, ont été mises sous écoute.» Le quotidien a également interrogé Patrice Molle, un ancien membre du cabinet du ministre de la Défense François Léotard, dans le gouvernement Balladur. Ce dernier a nommément accusé Renaud Donnedieu de Vabres de s'être occupé des fameux intermédiaires Takieddine et El Asir dans le cadre du contra Agosta: « je n'avais rien à cacher. Tout Paris sait qui a imposé les intermédiaires libanais dans le dossier Agosta, Renaud Donnedieu de Vabres traitait tout cela directement, il référait en personne au ministre. Les rétrocommissions, ça ne passe pas par le cabinet officiel, ça s'est joué dans les circuits parallèles. »
Patrice Molle, ancien préfet, ancien était jusqu'au mois de novembre 2010, directeur de cabinet ... d'Hervé Morin, ministre de la Défense de Sarkozy avant le remaniement. Le monde est petit, n'est-ce-pas ? Renaud Donnedieu de Vabres fut ministre de la Culture sous Raffarin en 2002. Entre 1993 et 1995, il était conseiller de Léotard. Il s'est défendu d'avoir imposé personnellement, ou pour le compte du gouvernement français : « on avait le sentiment, avec M. Léotard, d'une guerre politique.» se souvient-il aujourd'hui.
Ces écoutes, selon le JDD, ont duré trois mois. Elles ont été semble-t-il fructueuses. En décembre 1995, Jacques Chirac a fait remplacer le patron de la Sofresa Jacques Douffiagues, jugé proche d'Edouard Balladur, par Richard Mazens. En février 1996, il a fait interrompre le versement de certaines commissions seulement. En juillet de la même année, il s'est rendu en Arabie Saoudite, documents en main, pour un « long tête à tête » avec le prince Abdallah, entretien au cours duquel il aurait expliqué sa décision. Bref, cette intime conviction ne reposait pas sur des rumeurs, mais sur une enquête suffisamment solide pour déclencher des représailles.
On ne sait pas, à l'heure actuelle, où est parti l'argent.
Le Karachigate prend son envol. Et elle ne concerne pas que Nicolas Sarkozy.
(*) article payant

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