Magazine Journal intime

Fils à papa

Par Pierre-Léon Lalonde
Ça fait un moment que les bars sont fermés. Le froid et l'humidité du petit matin font en sorte que les gens ne s'éternisent pas dehors. Vers quatre heures, les rues de la ville sont pas mal désertes. Je roule sur Mont-Royal quand je vois ce type BCBG qui m'indique de faire un U, car il s'en va dans l'autre direction. Il monte à bord et me salue. Le gars est sympa et s'informe de ma nuit.
— Bah! Après les fêtes ça tombe mort. Le monde a "loadé" leurs cartes de crédit pour payer les cadeaux faque sont tout pas mal cassés. Ça sort pu.
— Moi faut que je sorte. Je suis dans le monde de la musique pis j'ai besoin de voir du monde.
J'ai l'impression que le gars frime un peu, mais je le laisse jaser. La conversation passe de sa soirée à la température. Le gars est correct, mais j'suis pas tellement réceptif à sa conversation. Je commence à être fatigué puis j'ai vraiment hâte que la nuit se termine. Je me force quand même un peu et lui demande le nom de son groupe.
— Ah ben, c'est pas un groupe, je suis chanteur mon nom c'est JP Lalonde...
—...
Je le regarde dans mon rétroviseur complètement stupéfait.
— Je suis le fils de Pierre Lalonde, le chanteur. Tu peux te tasser ici on est arrivé.
J'arrête le taxi et me retourne. Je suis bouche bée. Il me regarde et me demande qu'est-ce qu'il y a?
— Ben tu le croiras pas, mais je m'appelle aussi Pierre Lalonde!
— Tu me niaises?
— Ben non, regarde mon « pocket»! Pis mon père s'appelait comme toi, JP Lalonde.
Après s'être avancé pour regarder la photo de mon permis de travail, il s'est laissé choir dans le fond de la banquette. C'était à son tour d'être bouche bée.
J'ai éteint le moteur un moment. On a jasé un peu de nos vies respectives. Lui de sa carrière, moi de mon livre. Il m'a parlé de son père — à qui il ressemble de manière étonnante — et moi du mien. Je lui ai raconté qu'il s'est rarement passé une journée dans mon existence sans qu'on me demande si je savais chanter. On a ri, on s'est regardé dans le fond des yeux, on s'est serré la main, conscients tous les deux de cet incroyable coup du hasard, puis nos chemins se sont séparés.
J'ai terminé ma nuit en pensant à mon père. Je sais qu'il aurait aimé que je suive la même route que lui. Les quelques mois passés sur les chantiers de construction où il m'a appris son métier de charpentier m'ont rapproché de lui. Je découvrais une facette de l'homme que je ne connaissais pas. J'ai vu à quel point il aimait son travail et à quel point il s'accomplissait dans celui-ci. Il disait toujours : « un travail qu'on doit faire mérite d'être bien fait ».
Je n'avais pas la même affection pour le travail manuel et Dieu sait que je détestais me lever tôt le matin. Parfois pourtant, je m'imagine dans ses traces poursuivant le travail qu'il m'a si patiemment appris. Je m'imagine avec femme et enfants dans un beau petit bungalow de banlieue. Il m'arrive parfois de penser que j'y aurais été plus heureux.
J'ai pris un tout autre chemin. La route qui m'a amenée où je suis aujourd'hui a été tortueuse et parfois même tordue. Mais je ne regrette rien. Chaque jour, j'applique ce que m'a appris mon père. Je tente nuit après nuit de pratiquer mon métier du mieux que je peux et dans le fond de mon coeur, je sais que papa serait fier de moi aujourd'hui. Je crois même que dans ces nuits longues, froides et difficiles, il m'envoie de temps à autre des petits clins d'oeil...

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