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Kanye West: Schizoid Reaction

Publié le 02 décembre 2010 par La Trempe

« 21th Century Schizoid Man »

King Crimson, samplé par Kanye West.

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Roulement de tambours, sonnez cuivres et trompettes! Après des mois d’attente, le dernier Kanye West est enfin dans les bacs à disques numériquesLe monde retenait son souffle, il va désormais pouvoir respirer. On clique, on écoute, on essaie d’en penser quelque-choseEt de toute évidence, il va falloir en parler.

Enfin mince mais pour qui se prend Kanye West? Et surtout, pour qui nous prend-il? Tout prête à croire que le chicagoan, du haut de son égo-mastodonte, s’attend à nous berner sans trop de difficulté avec « My Beautiful Dark Twisted Fantasy » (MBDTF pour les flemmards), sa toute fraîche dernière livraison.

Il faut dire que depuis quelques temps déjà, Mister West se croit obligé de clamer partout qu’il fait de « l’Art ». Tel est son nouveau caprice, son dada, son ostentatoire lubie. Rien de bien méchant, reste que j’ai des doutes. En effet, pour être un artiste digne de ce nom, il ne suffit pas de sortir un album au titre à rallonge assorti depochettes énigmatiques flirtant avec la censure, ni même de produire un morceau de neuf minutes illustré par un « clip » qui en fait trente, encore moins de de se parer de tenues toujours plus excentriques, d’évoquer le Pop Art à tout bout de (Du)champ ou de sampler sans vergogne le brillant Aphex Twin. Cela peut faire de vous quelqu’un de bien -ne serait-ce que parce que ce genre d’initiatives aident à décloisonner le hip-hop- mais là n’est pas la question. En vérité, il est assez irritant de constater que tous les ingrédients permettant aux gogos (souvent les mêmes qui bavent sur la créativité dont ferait preuve Lady Gaga) de crier au génie paraissent avoir été scrupuleusement réunis. Allons-y franco, tout cela est probablement orchestré par Kanye West pour faire rentrer le plus de fric possible dans le tiroir-caisse de sa petite boutique pop. Car l’amerloque semble là pour faire de l’argent, vite et (si possible?) bien. Sa philosophie en quelques mots? Gloire au Doll’Art. Et la musique, dans tout ça? J’y viens.

Figurez vous que le « jackass » d’Obama est en train d’inventer le rap pompier, autrement dit un rap pompeux, indigeste, dévitalisé, prétendument épique mais en réalité bien fade. Du prog-rap croisé à la pop la plus putassière qui soit. Ça suinte le mauvais goût, ça dégouline du ghetto-blaster et ça finit par écœurer. A mesure que l’album défile, les points d’interrogation s’empilent. Pourquoi tant de featurings (une trentaine de noms crédités!)? Pourquoi ces parties de guitare dignes de la plus vulgaire des ondes FM sur « Gorgeous « ou « Devil’s in a new dress »? Et puis pourquoi cette utilisation si agaçante de l’Auto-tune, à l’image du solo sans fin concluant « Runaway »? D’une façon plus large, pourquoi se cacher derrière des voix doublées, saturées, broyées par des effets en tout genre? Après tout, ne vaut-il pas mieux des mélodies qui fassent mouche en lieu et place d’une production envahissante? Allons donc, monsieur Ouest, pourquoi vouloir révolutionner à tout prix le hip-hop si c’est pour accoucher d’une pop sans âme? Une dernière question, évidente, pourrait les résumer toutes: Why Kanye sucks in 2010? M’est avis qu’il faudrait le demander à DJ Shadow… Et ne plus jamais en entendre parler.

A moins que… A moins que je ne sois en train de virer réac’. Dès lors, que faire? Enfiler un T-Shirt « Le rap, c’était mieux avant » et ruminer ma haine comme on mâche un vieux chewing-gum qui finit par perdre son gout, un beat poussiéreux de Dj Premier en guise de palliatif? Sans façon. Un peu de courage et  moins d’emportement, tachons de comprendre une fois pour toutes pourquoi presse et blogosphère réunies s’extasient devant MBDTF.

Alors voilà, cette année encore, Kanye a pris soin de revêtir l’habit de lumière de celui qui va tout chambouler -styles, production comme mentalités- la tenue du super-héros tant attendu de la culture pop, les oripeaux du messie arrivé sur terre pour définitivement brouiller les frontières entre « entertainement » et « ambition artistique ». Cette aspiration, on la voit venir de loin, de trop loin même… Le Don Vuitton en est-il à la hauteur? Libre à chacun d’y croire ou non. Un point devrait cependant mettre tout le monde d’accord: Kanye West transforme notre paysage musical. Il pose les grandes lignes; les autres gros vendeurs du rap (mais désormais aussi de la pop) suivent, pour le meilleur comme pour le pire.

« Keep it real or keep it moving », c’est ce que Raekwon rappe avec brio sur la seconde plage du disque. Kanye a choisi son camp, celui des réformistes (« I don’t believe in yesterday and what’s a black beetle anyway? A fuckin’ roach »). Faut-il pour autant lui jeter la pierre? « Yeezy » est une éponge, il capte ce qui traine dans l’air du temps, s’en sert pour défricher et parfois, admettons-le, ça marche. Malgré une épaisse couche d’opportunisme, « Graduation » réservait quelques moments de grâce et, le recul aidant, « 808′s & Heartbeak » mérite clairement d’être revu à la hausse… Alors cette fois-ci, que faut-il sauver? A mon avis le titre « Monster ». D’une part, le breakbeat est monstrueux, d’autre part « Ye » essaie d’avoir du flow. On salue l’effort, les invités également: Jay-Z est honorable et Nicki Minaj, la petite hype du label de Lil’Wayne, proprement impressionnante. Nul doute que le couplet de la rappeuse injustement cataloguée « sous-Lil’Kim » devrait faire date. Dans un même esprit hip-hop pur et dur (à condition d’oublier le folkeux qui vient polluer le début et la fin de « Monster »), « So Apalled » séduit par sa puissance, sa gravité et la qualité des MC’s se succédant au micro. Un même feeling « freestyle » se dégage des deux morceaux, on y ressent chez West et ses convives une envie de kicker sans relâche et sans se poser de questions superflues. Au milieu d’un album où chaque son semble le fruit d’une intense réflexion, c’est une véritable bouffée d’air pur.

Par ailleurs, alors que l’on n’y croyait plus vraiment, un miracle se produit. En fin de disque, Kanye finit par faire quelque-chose de ses tentations pop. « Lost in the World » commence comme une ballade intimiste avant de virer en gospel auto-tuné (quelque-chose d’assez étrange), un beat efficace s’employant par la suite à rythmer l’ensemble. Les sons se superposent et le morceau prend peu à peu de l’envergure. West atteint là peut-être enfin son Graal: une pop mainstream et touchante, mâtinée de hip-hop, le tout saupoudré d’une légère pointe d’expérimentation. Passé la crispante première écoute, le titre se révèle un incontestable petit bijou de pop ambitieuse. L’espace d’un instant, on est pris par le doute. Une minute trente s’écoule et voilà ce cher Gil Scott-Heron surgi du fond des temps qui repique notre conscience: « Who will survive in America »?

Tout compte fait, on en reparlera dans dix ans.


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