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Tabagie, le crime au cœur de Hollywood

Publié le 04 décembre 2010 par Melusine

Retour sur mon blog. En feuilletant un prospectus que je m'apprêtais à jeter, je tombe sur une page d'intérêt général signée du journaliste et philosophe Roger Lenglet (Trait d'union, n° 103, novembre 2010). Le texte, que je vous livre, est un extrait de son livre Lobbying & santé : Comment certains industriels font pression contre l'intérêt général (éditions Pascal - Mutualité française, 2009). Les précédents titres de l'auteur sont toujours d'actualité (Profession corrupteur : La France de la corruption en 2007...).

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Tabac et manipulation

Faire grimper la consommation

Les cigarettiers ont toujours soigné les vedettes. Dès que le cinéma est devenu un art de masse, ils ont compris que les stars qui fument à l'écran font grimper la consommation. L'agence Lord and Thomas enrôle l'acteur et chanteur Al Jolson, le célèbre interprète du Chanteur de jazz, le premier film parlant de l'histoire du cinéma, pour mettre en valeur les produits de l'American Tobacco en répétant dans les médias : "Les films palants exigent une voix très claire. La torréfaction du tabac élimine tous les éléments irritants et ma voix est claire à chaque scène".

Les films hollywoodiens deviennent un vecteur fabuleux. Ils donneront envie de fumer à tous les spectateurs et rassureront la plupart de ceux qui s'inquiètent. Soixante-dix ans plus tard, en 2008, une équipe de recherche trouvera les contrats passés entre les producteurs de tabac et les stars de cinéma depuis la fin des années 20 jusqu'au début des années 50. On y apprend qu'en 1937 et en 1938, American Tobacco a versé 3,2 millions de dollars à des acteurs de premier plan. Le grand Gary Cooper touche ces deux années-là l'équivalent de 140 000 dollars pour fumer des Lucky Strike. Les non moins séduisants Clarck Gable et Robert Taylor reçoivent des versements similaires. Parmi les stars se prêtant également au jeu figurent en bonne place Joan Crawford, Bette Davis, Henri Fonda, Bob Hope, Cary Grant, Edward Robinson, Spencer Tracy, John Wayne, Charlton Eston.

Paramount et Warner Bros s'entendent régulièrement avec American Tobacco, puis Ligget & Myers à partir de 1946, pour montrer les Lucky Strike, les Old Gold, les Chesterfield, les Camel... En 1939, Gary Cooper annonce la sortie de son film Ames à la mer dans le cadre même d'une campagne d'American Tobacco. Les acteurs apparaissent souvent dans des spots publicitaires pour inciter non seulement à fumer mais à s'y adonner assidûment. John Wayne, par exemple, qui déclare : "Pour découvrir le plaisir de la cigarette, faites comme moi, fumez des Camel tous les jours...".

Acteurs, actrices, télévision

Les centaines d'acteurs habitués aux rôles secondaires sympathiques intéressent aussi les lobbyistes qui comprennent vite leur efficacité "subliminale"... L'âge d'or du cinéma sera aussi celui du tabac... La cigarette devient le modèle de millionsde spectateurs désireux d'accentuer leur sensualité. Les stars féminines font rêver le monde entier avec leurs gestes de fumeuses lascives ou provocantes. Lauren Bacall, mais aussi Claudette Colbert, Marlène Dietrich, Betty Grable, Carole Lombard, Myrna Loy, Barbara Stanwyck et des légions d'autres actrices incarnant souvent le type de la femme indépendante et déterminée, feront de la cigarette l'objet de toutes les promesses érotiques et sociales.

En 1949, le journal télévisé le plus regardé aux Etats-Unis est présenté par la marque de cigarettes Camel, sur NBC, qui ouvre le générique en annonçant : "Camel vous présente les nouvelles du jour !". Alors que la mise en cause du tabac dans la multiplication des affections pulmonaires mortelles prend de l'ampleur, les marques n'hésitent pas à diffuser sur le petit écran de faux messages médicaux. Par exemple : "Les oreilles, le nez, la gorge ni aucun organe de mes patients n'ont été affectés durant les six mois où ils ont fumé ces cigarettes... Souvenez-vous de ce rapport et achetez des Chesterfield".

Les acteurs se repasseront le flambeau malgré les preuves de plus en plus accablantes des décès massifs et les messages d'avertissements sanitaires que les autorités américaines diffusent sur les chaînes de télévision à partir de 1967. omment en sont-ils arrivés là ? Par inconscience ou cynisme ? La première génération d'acteurs et de réalisateurs a sans nul doute ignoré ou sous-estimé les méfaits du tabac. On peut certes leur reprocher d'avoir accepté d'influencer les spectateurs pour de l'argent, ce qui ne reflète pas une conscience très aiguë des risques liés au développement des techniques de manipulation de masses. Par contre, on est en droit de s'interroger plus gravement sur l'attitude des comédiens contemporains.

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Notez bien :

L'American Tobacco Company s'appelle aujourd'hui Fortune Brands (vins et spiritueux). Les activités tabac sont passées à la British American Tobacco, dirigée par Richard Burrows, qui détient les marques Lucky Strike et Pall Mall (http://www.batfrance.com/). L'Irlandais Richard Burrows, ancien de chez Pernod Ricard, a été gouverneur de la Banque d'Irlande de 2005 à 2009. II est membre de la Trilatérale.

Ligget & Myers a récemment vendu les marques L&M, Chesterfield et Lark à la compagnie Philip Morris, dirigée par Michael E. Szymanczyk (Altria Group), qui détient une quarantaine de marques de cigarettes dont Marlboro. Michael Szymanczyk a fait toute sa carrière chez Philip Morris.

Et maintenant, un peu de pub...

Sur la petite vingtaine d'acteurs cités : Charlton Eston, cancer, Myrna Loy, cancers à répétition, Spencer Tracy, emphysème pulmonaire, Gary Cooper, Joan Crawford, Edward G. Robinson, John Wayne morts d’un cancer, Betty Grable, Robert Taylor morts d'un cancer du poumon. Joli pourcentage !


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