Magazine Journal intime

Salvador- Grenade avec pause autoroute en Guyane

Par Crapulax

Petit pincement au coeur quand je quitte le ponton de Salavador et avec lui, le Brésil. On a 2000 milles et 15 jours de ses côtes à longer pour s'habituer à la séparation. Sortie de la baie de tous les saints au coucher du soleil le 9/11. Vent NE, soit à l'opposé de notre cap. Courant et vents contraires constituent le régime dominant pendant les 700 premiers milles jusqu'à la pointe nordeste du continent. S'éloigner de la côte nous rapproche plus de Rio que des Antilles. La nuit, au changement d'amure, avec le courant contraire, l'angle d'un bord sur l'autre est misérable et le vent qui se met à refuser empire encore notre progression. Des grains vicelards s'en mèlent. 30 noeuds pleine face sans prévenir, pluie, beuh.... Le verrin du pilote se sépare en deux plusieurs fois, le winch de pris de ris se bloque..... Le lendemain, après réparation de tout ce merdier, on constate avec dépit le résultat de nos exceptionnelles premières 24 heures. Pathétique: une centaine de milles parcourus dont seulement 40 sur le cap... Partir pour une navigation qui dure un peu est nettement plus sympathique quand on commence au portant, histoire de se remettre dans le bain comfortablement. Là, c'est du près serré dans une mer non moins serrée, déasagréable, contre un bon courant et une brise soutenue. Ambiance retour de Corse par Mistral. Et ça va durer. Galapiat lutte vaillement mais on se traîne en vitesse fond, sans compter qu'on est jamais sur la route directe. Un peu survie, même si ça reste un bien grand mot – ce n'est quand même pas la tempête - Pas trop de plaisir en tous cas dans l'immédiat.... .

Nous soignons notre près, rentrons le genois sur enrouleur, un peu trop sollicité dans ces conditions et peu efficace, pour envoyer yankee et trinquette endraillés. Un ris dans la GV que l'on lache ou reprend pour optimiser le cap. Cap, vitesse, cap, vitesse. On tangente la côte ainsi, sans marge. Lorsque les pêcheurs sont trop nombreux et que la ligne de sonde indique moins de 30 mètres, on vire de bord pour le large, avant de revenir dès que possible longer la côte et faire du mille efficace. Sous 20 noeuds de vent, Le bateau bien réglé tient un près serré honorable à 6-7 noeuds vitesse mer, presque deux de moins au GPS. Satané courant... Je reprends le rythme hauturier malgré tout, Bernard s'y colle avec philosophie. On s'amuse à imaginer qu'un tiers peu « marinisé » serait dégouté à jamais de la voile dans ces conditions, surtout quand c'est parti pour plusieurs jours ainsi. 90 milles sur le cap le second jour au louvoyage, 100 le troisième, 110 le quatrième. C'est lent, ça tape dans la vague, c'est franchement incomfortable et très laborieux.

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Calés à la gite, on lit beaucoup malgré tout pendant ces premiers jours. On mange royalement aussi, car malgré les conditions secouées, notre appetit, le stock de frais et la pêche nous motivent aux fourneaux. Le seul soucis, manger en évitant que la délicieuse salade thaitienne ou le mi-cuit de Thon sur lit de pommes de terres sautées ne valse à terre lorsque la coque frappe une vague un peu plus haute que les autres. Cette entrée en matière vivifiante nous a vite plongé dans un sommeil fractionné et réparateur. De nuit, à peine le quart terminé, on ne se retourne pas longtemps avant de s'endormir pour trois heures. Ceci étant, on est relax.

Ce n'est que le cinquième jour qu'on adopte une allure plus agréable. Un grain nocturne suivi d'une heure de calme laissent la place à un vent qui adonne. Nous voici de travers à enfin nous éloigner significativement de la côte que nous rasions  depuis le départ. Recife est tout proche. On relève la dérive de moitié, barre au neutre. Galapiat réduit sa gite et accèlère encore. On range yankee et trinquette, déroule le genois en grand et débride la GV. Plus de 7 noeuds au speedo sans effort en fin de session.125 milles. Le minimum syndical, enfin.

Bernard, est aussi « taiseux » que l'était Olga entre Dakar et Rio. Ça me va bien. On peut schématiquement classer l'essentiel de nos échanges selon trois sujets essentiels : la marche du bateau, c'est-à-dire la meilleure option de route, de réglage, de voilure avec comme résultat immédiat la manoeuvre à deux, tranquille et faite comme un seul homme; la bouffe au sens large, dont la pêche bien-sûr – Bernard se rue sur chaque prise pour lui couper la

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tête et la vider avec un zèle impressionnant. Je le soupçonne vaguement un goût particulier pour ces tâches sanglantes - et puis les bouquins que l'on s'échange. Discussions parfois, quand elle viennent. La vie de marin en huis clos durable, pour qu'elle soit pérenne, suppose à mon sens une bonne dose de silence.

Une semaine que nous sommes partis et la promesse de confort et de vitesse devient réalité. On atteint l'extremité nordeste du continent et on peut arrondir Nord ouest vers les caraïbes, d'abord en ciseau, puis bientôt grand largue. Vent et courant portent enfin. Telle une grosse limousine puissante qui prend son erre sur une longue autoroute déserte et sans limitation, Galapiat prend ses aises et accélère. Trois jours à 170 milles se succèdent avec une précision millimétrée. Brise de 15 noeuds jusqu'à mi-journée, puis le vent pousse à 25 ou plus jusqu'en milieu de nuit, on reprend régulièrement la barre pour soulager le pilote dépassé par les évènements et savourer une belle cavalcade un peu surtoilé entre 8 et 11 noeuds. Vroooooom fait l'étrave en fin d'accéleration en soulevant des gerbes d'eau. A l'intérieur, confort cosy à peine dérangé par les mouvements ronds du bateau à la mer, le sifflement de l'eau sur la coque, aigu à cette vitesse, et celui du vent dans la toile, plus sourd.

Quand c'est moins soutenu, on s'offre une séance cinéma pendant le quart avec un 360° rapide toutes le 20 minutes. Les dauphins nous saluent presque chaque jour. Et pour peu que nous ne les ayons pas repérés assez tôt, nous surprennent à sauter sans préavis juste à côté du bateau, à plus de trois mètres de hauteur, léger flip malicieux sur le côté pour nous dire bonjour.

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« Et ho!!! On est là »

Rien ne presse. C'est juste bon et beau.

Plus de frais déjà au bout de 9 jours -un peu court les courses-  mais avec quelques thons, bonites et une coryphène, la pêche nous nourrit correctement et délicieusement. On avait envisagé Grenade directement mais ça trace, pas d'urgence avant le vol de Bernard.  On va s'arrêter quelques jours en Guyane Française, par curiosité, pour prendre un café, sentir l'ambiance et refaire quelques courses. Une pause autoroute en quelque sorte.

Il fait maintenant très chaud et lourd. De jour, on cuit à l'ombre et, de nuit, on reste torse-nu même dehors. Le vent s'est bien calmé et le spi est de rigueur chaque jour pour continuer à tenir des moyennes correctes à la voile quand le portant descend en deça des 10 noeuds. On tient encore de 140 à 160 milles par jour. La ligne de l'équateur s'approche doucement. Nous la franchissons le 19/11 en fin de

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journée, sur une mer plate, avec un zeste de vent porté par le spi qui nous assure encore une marche à 6 noeuds, presque furtive. Le soleil se couche, pas de champagne cette fois mais deux Havanes prévu par Bernard pour l'occasion avec une dernière caipi. Joli retour dans l'hémisphère nord.

Le 22, impossible de tenir plus longtemps à la voile avec le faible filet d'air qui gonfle la toile par intermittence. Le moteur craque pour la première fois depuis 10 jours. Désagréable ce ron-ron. On le supprime dès que le vent se fait juste suffisant pour cheminer sous voile. Le 24/11 au matin, nous laissons les îles du salut à tribord et entrons sur le fleuve Kourou pour aller mouiller en face de la ville. 2000 milles en un peu moins de 15 jours dont 30 heures moteur depuis Salvador. L'eau est une sorte de boue liquide à plus de 30 degres. Quelques épaves envasées et des voiliers au mouillage auprès de qui je me renseigne à peine l'ancre crochée. Papiers? No stress: Se contenter de hisser le pavillion Q pour les douanes. Elles nous croisent, nous voient, nous saluent mais ne s'arrêtent jamais. En pratique, personne ne vient et, comme me l'a indiqué ce frenchy qui vient de se taper 35 jours en solo direct depuis la Bretagne: pas d'entrée, pas de sortie, rien. Tout le monde s'en fout à commencer par les fonctionnaires.

Pour les navigateurs qui craignent l'agression urbaine après deux semaines en mer, pas de risque d'infarctus à Kourou. La rue principale du bourg, celle qui rassemble commerces, bars et restaurants est vide en journée et tout y est fermé ou presque. Le soir, pas beaucoup plus animé. Léthargie totale. Ses habitants ne semblent pas dépasser le deux de tension. Cayenne où nous nous rendons le lendemain

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est déjà plus vivante, mignonne aussi avec ses bâtiments coloniaux. On y passe juste comme ça, histoire de se faire un déjeuner au café Palmiste, sur la fameuse place du même nom, se faire une toile dans un cinéma vide et frais pendant la cagne et rentrer après quelques courses.

Nous sommes chanceux: un lancement d'Ariane est prévu le lendemain 26/11. On redescend le fleuve jusqu'à son embouchure devant l'hôtel des roches. Sa plage est un excellent spot d'observation. La zone est farcie de militaires en arme, DCA sur camion mobile, policiers, hélico. A 15h39, comme prévu, le gros pétard s'envole. Pendant les deux premières minutes, il n'y a que l'image et puis arrive le son, vacarme sourd et puissant des propulseurs surpuissants alors que la fusée est déjà haute dans le ciel. Deux minutes encore et alors qu'elle disparait presque, on distingue la séparation du premier étage. Grand spectacle qui replonge dans les rêves d'enfants. J'en parle à Thao, qui connait bien le sujet avec tintin une demi-heure plus tard sur skype.

Le lendemain, direction les îles du Salut, à deux heures de l'embouchure du fleuve. Nous pensons y passer une dernière nuit, pour un départ le lendemain matin. Nous y resterons finalement trois jours,. Ce ne sont jamais que trois cailloux en triangle séparés chacun par une passe étroite mais les îles sont magnétiques. Belles, sauvages et luxuriantes, on en fait rapidement le tour à pied sous les cocotiers, entre blocs de granit où le gros swell déferle violemment sur la côte, même par beau temps, et la forêt tropical dense et

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bruyante du rafut des animaux et des insectes. On ne peut mouiller et aborder en annexe que sur la « Royale ». Elle est la seule qui soit un peu aménagée. 12 permanents y vivent. Certains vestiges du bagne, chapelle, hôpital, sont entretenus un peu, au moins préservés de l'envahissement de la nature. Le mess des surveilants a été transformé en auberge. Soirée improbable du bout du monde à en faire la fermeture avec la gérante qui y vit depuis 15 ans. Les punchs du Diable devaient être serrés. Juste trois chacun. J'ai perdu Bernard dans la descente. Je l'ai attendu, me suis endormi. Il a du passer. J'avais le coupe circuit, alors il a piqué celui des douanes. Bon. On s'est retrouvé le matin. Pas foule ici. Difficile de se perdre.

A St-Joseph, pas possible de laisser l'annexe amarée. Faut débarquer puis attacher au corps mort et nager jusqu'à la rive. Terrain militaire, le droit de faire le tour de l'île seulement. Ici, c'était l'ile des reclus. Ceux qui avaient été condamnés en sus et pendant leur détention. L'élite en quelque sorte. X années dans un cachot semi-aveugle. On n'en sort jamais et tout y est interdit, y compris parler. Pas plus de

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trois ans d'espérance de vie. Les panneaux sont aussi formels dans leur interdiction de visite que l'envie d'y aller. Cellules exigues mangées par les arbres. Des fantômes, nombreux, hurlants. Je crois les entendre parfois. Et même en revenant sur les chemins autorisés, il y a ce cimetière des surveillants, au vent de la côte, vaporisé par les lames qui cassent, terriblement isolé...   

Reste le Diable, formellement interdite, Nous y poussons une reconnaissance en annexe en forçant le moteur dans la passe mouvementée. La mouiller au grappin,  nager jusqu'à terre en prenant garde de ne pas se faire fracasser sur les rochers en y abordant serait possible mais nous nous en abstiendrons. L'absolue solitude de la maison de Dreyfus que nous longeons nous suffira.

Drôle d'endroit, vraiment, très intriguant.   

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Un peu d'air. Nous partons comme nous sommes arrivés le 29/11, libres de toute paperasse, accompagnés par des bouquins de cironstance qui nous gardent encore là-bas: Papillon et « Au Bagne » d'Alfred Londres. Excellents, à lire absolument, essentiels. Moins de 10 noeuds portant mais on gratte le moindre souffle pour s'éloigner de la côte et aller chercher les alizés nord. Ils sont facétieux et ce n'est que le troisième jour que l'aiguille de l'anémo s'éveille un peu. Le vent tourne aussi et nous pouvons enfin infléchir notre course vers l'ouest. 3/12. Gris sur gris et grain sur grain, 35 noeuds tassés et pluie. Le lendemain, c'est pareil, en pire. Le vent oscille entre 5 et 35 noeuds, entre sud-est et nord-est. Nous sommes douchés en permanence, on reprend la barre. On avait pris un peu trop l'habitude de ne rien foutre. Là. on est bien occupé. Grenade est en visu. On a ralenti pour atterir de jour.

Bon. On y arrive à Grenade. 5 jours pour 700 milles. 2700 milles depuis Salvador. Nous sommes dimanche, il est 7 heure quand nous nous amarrons, 8h quand nous partons prendre du cash local et faire nos papiers. C'est calme, comme n'importe quel dimanche matin partout ailleurs à cette heure.


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