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La religion gauloise

Par Amaury Piedfer
J.-L. Brunaux, chercheur au C.N.R.S., auteur de plusieurs ouvrages sur la religion gauloise, dont le dernier et excellent Les druides, a publié sur le site de l'agence de voyages culturels Clio [1]un bel article de synthèse, fruit de longues années de recherches. On lira avec profit ces quelques lignes qui rendent accessibles au plus grand nombre les dernières recherches sur la question.
Longtemps, la religion gauloise n'a été connue qu'à travers quelques images caricaturales, directement issues de la littérature antique. Citons notamment la célèbre cueillette du gui, l'image de druides vêtus de blanc et armés d'une faucille en or, quelques noms de divinités gauloises – Teutates, Esus, Taranis – auxquelles les historiens, depuis le XIXe siècle, ont associé une iconographie gallo-romaine souvent problématique. Aussi ce terrain demeura-t-il la proie des élucubrations les plus ésotériques : les Gaulois, toujours considérés comme des barbares, ne pouvaient pratiquer que des cultes naturistes dans des forêts profondes, au bord de quelque source, sur un sommet de montagne. La découverte, il y a vingt-cinq ans, du premier lieu de culte authentiquement gaulois, fonctionnant entre le IIIe et le IIe siècle av. J.-C., a révolutionné nos connaissances. Il est désormais possible d'opposer, de façon constructive, des textes antiques souvent difficiles à interpréter et une documentation archéologique de plus en plus riche, comme le fait pour nous aujourd'hui Jean-Louis Brunaux, auteur de l'ouvrage Les religions gauloises (éditions Errance, 2000).
Des autels de type « chthonien »

Les Gaulois ont la particularité de n'avoir laissé aucun écrit sur eux-mêmes et quasiment aucune représentation de leurs dieux. Mais un grand pas a été franchi avec la mise en évidence du premier lieu de culte attribuable à des Gaulois de l'époque de l'indépendance à Gournay-sur-Aronde, dans le département de l'Oise. Il s'agit d'un enclos de plan rectangulaire, de quarante à cinquante mètres de côté, matérialisé par un fossé précédant une puissante palissade en bois. Cette aire sacrée, véritable propriété divine, était commune aux hommes et aux dieux le temps du sacrifice ; dans sa conception, elle ne diffère nullement du temenos grec ou du templum romain. Les Gaulois, comme les Celtes d'une manière plus générale, ne représentaient pas leurs dieux par des statues anthropomorphes ; aussi n'avaient-ils pas besoin d'un temple qui soit, comme dans le monde gréco-romain, leur habitation, devant laquelle étaient accomplies les obligations religieuses. Ces divinités n'en manifestaient pas moins aux hommes leur présence sur terre à travers des bois sacrés, petits groupes d'arbres et d'arbustes plantés et entretenus à l'intérieur des enclos sacrés. À Gournay-sur-Aronde, c'est à côté d'un tel aménagement végétal que se trouvait l'autel, lequel, ainsi que tous ceux qui ont été découverts dans les autres sanctuaires gaulois fouillés par la suite, était d'une nature bien particulière : il se présente comme une fosse, de quatre mètres de longueur sur deux de profondeur, creusée dans le sol naturel. Le sacrifice se déroulait au bord de la fosse, au fond de laquelle les victimes étaient déposées. De tels autels dits « creux » sont connus en Grèce où ils sont qualifiés de « chthoniens », c'est-à-dire qu'ils s'adressent à des divinités, réputées résider sous la terre, auxquelles on offre des victimes entières. Les Gaulois, comme on le verra en évoquant le sacrifice proprement dit, semblaient avoir une idée assez semblable de ces divinités souterraines. Au moment de la création de ces sanctuaires, de la fin du IVe à la fin du IIIe siècle av. J.-C., les autels ne connaissaient que cette forme archaïque et simple, celle d'une fosse soigneusement creusée dans la terre et qui devait être fermée d'un couvercle destiné à la protéger des intempéries. Le temps passant, ils furent dotés d'une toiture ; apparut alors un bâtiment carré de cinq à six mètres de côté, aux allures de temple méditerranéen, à la différence que l'autel creux en occupait presque tout l'espace intérieur.
Un culte reposant sur le sacrifice d'animaux… Mais c'est dans les formes du sacrifice que la religion gauloise montre les affinités les plus grandes avec ses contemporaines grecque et italique. Contrairement à ce que laissaient croire des textes antiques mal compris – tel celui de Pline décrivant la cueillette du gui ou l'iconographie tardive de l'époque gallo-romaine –, les Gaulois ne sacrifiaient pas les animaux sauvages qu'ils consommaient d'ailleurs fort peu, devant considérer que ceux-ci appartenaient au domaine divin. À l'inverse, comme dans les grandes civilisations antiques, ils offraient à leurs dieux les animaux domestiques qu'ils avaient eux-mêmes élevés. À Gournay, les ossements d'animaux exhumés en grande quantité montrent que les victimes sont presque exclusivement des bovidés, des moutons et des porcs – les trois espèces que l'on rencontre dans le sacrifice grec et surtout dans le suovetaurile romain. L'excellent état de conservation des os montre que les animaux ont subi des traitements divers, et par conséquent qu'ils ont été utilisés dans des sacrifices également distincts, essentiellement de deux types.
Le premier, le plus spectaculaire, ne concerne que les bovidés, dont on peut reconstituer les grandes étapes du rituel qui les mettait en scène ; ainsi, quelque cinquante taureaux, vaches et bœufs (à part quasi égales), tous extrêmement âgés, au point que leur chair ne devait plus être consommable par des humains, ont été sacrifiés régulièrement pendant près d'un siècle et demi. Leur mise à mort a été effectuée près de l'autel creux, mais avec des modes variés : égorgement, coup de merlin sur l'os frontal, coup de hache dans la nuque… L'animal mort était ensuite jeté entier dans la fosse où il demeurait à pourrir pendant six à huit mois – de cette façon, il était censé alimenter les dieux qui se trouvaient sous lui dans le sol. À l'issue de cette période la carcasse, dont seul le rachis était encore solidaire, était retirée de la fosse, et les os faisaient l'objet d'un partage rigoureux : les crânes étaient exposés sur le porche d'entrée pour une période déterminée, les rachis étaient déposés dans le fossé de clôture, le reste du squelette quittait l'enceinte sacrée. Ce sacrifice total d'animaux jetés dans une cavité où on les laissait pourrir présente les plus grandes ressemblances avec le sacrifice dit « chthonien » en Grèce qui, comme nous l'avons souligné, s'adresse aux divinités souterraines ou infernales.
À l'inverse, des os de porcs et de moutons relèvent d'un type de sacrifice plus habituel, celui d'une commensalité entre les hommes et les dieux, ces derniers étant peut-être cette fois des « ouraniens », résidant dans les cieux. Ces deux espèces animales sont, en effet, représentées par des animaux très jeunes, agneaux et porcelets, dont une partie, après avoir été découpée, a fait l'objet d'une consommation humaine. Il s'agissait certainement de festins élitaires entre quelques dizaines de chefs guerriers qui, à l'occasion, se réunissaient dans l'enceinte sacrée auprès des dieux.
… et l'offrande de trophées ennemis
L'autre caractéristique du sanctuaire de Gournay est, en effet, son aspect militaire que révèle la présence de milliers d'armes en fer, initialement déposées dans le porche d'entrée et sur ses parois. Sur la trentaine de sanctuaires gaulois fouillés ces vingt dernières années, beaucoup présentent une entrée aménagée soigneusement, un bâtiment souvent imposant enjambant le fossé de clôture : il s'agissait de véritables propylées – terme qu'emploie d'ailleurs Strabon pour désigner ces portes – où les Gaulois fixaient les crânes qu'ils avaient coupés des corps de leurs ennemis. À Gournay, de nombreux restes de crânes humains donnent raison à Strabon. Les vestiges archéologiques et le très riche matériel découvert à cet endroit indiquent que le bâtiment était élevé sur de gros poteaux de bois et possédait un étage où des armes, crânes d'hommes et de chevaux, débris de char avaient été entassés – à l'évidence des trophées amassés dans les batailles qui avaient précédé l'arrivée des Belges Bellovaques, créateurs du sanctuaire, au début du IIIe siècle av. J.-C.
Tous les lieux de culte découverts dans le nord de la Gaule, chez les peuples belges notamment, présentent un même caractère guerrier plus ou moins marqué et ne révèlent que ces deux types d'activité religieuse, le sacrifice animal et l'offrande d'armes.
Le sacrifice humain, véritable leitmotiv des textes antiques concernant les Gaulois, n'est en revanche nulle part attesté directement. Pour autant, les os humains se rencontrent parfois sur les lieux de culte. L'exemple le plus extraordinaire est donné par le site de Ribemont-sur-Ancre (Somme), en cours de fouille depuis une douzaine d'années. Là, plusieurs dizaines de milliers d'os humains et près de cinq mille armes gisent à l'intérieur et à la périphérie d'une enceinte sacrée, toujours de plan rectangulaire. Les fouilles ont montré qu'il s'agit en réalité d'un trophée monumental établi à la suite d'une grande bataille qui s'est déroulée au milieu du IIIe siècle av. J.-C., laquelle opposa des immigrants Belges Ambiens à un groupe de Gaulois Armoricains, plus précisément de Basse-Normandie, qui devaient contrôler l'arrière-pays de la Manche. Plusieurs dizaines de milliers de guerriers ont dû s'affronter, et probablement plusieurs milliers ont péri. Le trophée a été construit par les Ambiens, vainqueurs, sur le champ de bataille lui-même, dans les heures qui suivirent la bataille ; les guerriers découpèrent immédiatement au couteau, comme ils avaient coutume de le faire, les crânes des ennemis qu'ils avaient tués, crânes qu'ils considéraient comme leur propriété personnelle. De fait, nous n'en avons trouvé aucun fragment sur le site. Le reste des corps – les éléments de cinq cent d'entre eux ont déjà été dénombrés –, les armes, les chevaux, les débris de chars ont été apportés en un lieu où un enclos fossoyé délimitait une enceinte sacrée vouée de toute évidence à la divinité qui avait favorisé la victoire et devait être remerciée. Les restes furent alors disposés suivant leur appartenance à tel ou tel camp. Les dépouilles des ennemis furent exposées dans un vaste bâtiment de bois situé à l'extérieur de l'enceinte sacrée. Dressés debout, sans crâne et munis de leurs armes sur une sorte de plancher surélevé, ils furent laissés là jusqu'à ce qu'ils se démembrent naturellement. Les dépouilles des vainqueurs et de leurs montures furent introduites dans l'enceinte sacrée pour y subir un véritable traitement funéraire, exposition puis incinération collective des os desséchés – les héros de la cité morts au combat étant, en effet, particulièrement honorés chez les Gaulois. Si l'on en croit le poète Silius Italicus, une telle mort leur permettait d'échapper au cycle des réincarnations. Les découvertes de Ribemont montrent que leurs restes rejoignaient même sur terre le territoire des dieux.

Découvertes archéologiques et relecture des sources antiques Les découvertes archéologiques donnent raison aux auteurs les plus crédibles – essentiellement Poséidonios d'Apamée et ses compilateurs César, Diodore de Sicile, Strabon et Athénée – qui déjà évoquaient les enceintes et bois sacrés, les riches offrandes qu'on y déposait, les rites de la victoire et la prise du crâne. Mais surtout, elles apportent une réalité matérielle à bien des descriptions qui paraissaient obscures ou allusives, notamment en livrant une chronologie à des sources souvent copiées, voire recopiées à plusieurs reprises : César dans son célèbre excursus ethnographique du Livre VI (chapitres 11-20) reproduit des informations pour la plupart dues à Poséidonios qui voyagea en Gaule dans les années 100 av. J.-C. ; cependant un certain nombre d'entre elles, notamment la description de l'armement et des mœurs religieuses, se rapporte à une époque sensiblement plus ancienne (IIIe, voire fin du IVe siècle av. J.-C.) et est donc dû à un auteur plus ancien, grec assurément.

Une évolution des structures religieuses de la société gauloise s'esquisse, la place du corps sacerdotal se précise. Il apparaît ainsi qu'une véritable révolution religieuse s'est produite au moins dans la moitié nord de la Gaule dans les années 300. La plupart des peuples, après de longs périples, ont alors trouvé le territoire qu'ils ont conservé jusqu'à l'arrivée de César. Aussi les guerriers laissent-ils aux prêtres le contrôle des affaires religieuses, mais encore de l'éducation, de la justice et d'une part des affaires politiques. C'est certainement l'époque de l'apogée des druides, ces étranges prêtres-philosophes qu'on compare parfois aux brahmanes de l'Inde, mais qui ne représentaient pourtant qu'une partie – certainement le sommet – de la hiérarchie sacerdotale. Les rituels complexes qui viennent d'être évoqués supposent qu'auprès d'eux se trouvaient de nombreux officiants spécialisés ou subalternes, sacrificateurs et devins, autrement dit les vates que signale Strabon. À l'évidence, César a fait l'amalgame entre ces différents corps pour ne retenir que les druides dont l'image qu'il donne se révèle étonnamment archaïque. Le seul connu historiquement était pourtant un contemporain et ami de César : l'Éduen Diviciac dont on sait qu'il était chef de guerre et l'un des principaux personnages politiques de sa cité ; grâce à Cicéron, qui l'a accueilli chez lui à Rome, nous savons qu'il était druide, spécialisé en divination, tout le contraire, en quelque sorte, de ces ermites en toge blanche que décrit César dans son fameux passage ethnographique.

Dans son résumé de l'œuvre poséidonienne, César oublie également une autre catégorie de personnages que les autres compilateurs placent pourtant au premier plan : les bardes, ces chantres sacrés, équivalents des anciens aèdes grecs, qui se situaient sur un terrain à la fois politique et religieux et avaient en charge la louange autant que le blâme des nobles. Autrement dit, ils jouaient un rôle assez proche de celui des censeurs de la Rome archaïque, cautionnant par leurs hymnes sacrés la place politique et honorifique de chacun.
Là encore, les découvertes archéologiques les plus récentes livrent un écho matériel à ces informations littéraires. Après avoir retrouvé les lieux de culte gaulois, les archéologues mettent au jour les premiers lieux d'assemblée politique et judiciaire. L'étude de la religion et de la société gauloise n'en est qu'à ses débuts…

Jean-Louis Brunaux, mars 2001.
[1] http://www.clio.fr/bibliotheque/La_religion_gauloise.asp.......

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