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WikiLeaks : du leurre dans les épinards

Publié le 07 décembre 2010 par Sylvainrakotoarison

Entre la révolution annoncée des nouveaux modes d’information et un simple caprice de starlette irresponsable, WikiLeaks a engendré une certaine mousse internautique. WikiLeaks, ou la nouvelle version du chaos ?
yartiWikileaks01WikiLeaks est un site Internet qui fait beaucoup parler de lui, surtout depuis le 28 novembre 2010, en rendant public des centaines de milliers de télégrammes diplomatiques américains. Une communication a priori interne et confidentielle, de 2003 à 2009, qui a été obtenue par piratage des bases de données américaines.
Cela donne depuis plusieurs jours des anecdotes parfois étonnantes sur l’hypocrisie de la diplomatie (pas seulement américaine) et il y a des chevaliers du pour et des chevaliers du contre. Pour ou contre un tel étalage public.
Pour
Au départ, beaucoup de "conspirationnistes" imaginaient qu’avec ces documents, il y aurait des informations qui confirmeraient les thèses "révisionnistes" concernant les attentats du 11 septembre 2001. Mais finalement, rien de tout cela. Au contraire, plutôt la confirmation qu’il s’agit de réels attentats islamistes. Au contraire (bis), il y a plutôt des informations très négatives contre les prétentions nucléaires de l’Iran (et même, une véritable bombe diplomatique car le roi d’Arabie saoudite aurait encouragé les Américains à bombarder l’Iran). Du coup, ce camp-là, plutôt pro-islamiste, fait marche arrière et dénonce WikiLeaks comme une opération de manipulation des Américains (pourtant les premières victimes de l’opération).
À côté de ce camp très clivé, il y a les nombreux partisans de la démocratie transparente. Cette transparence qui permettrait de faire le clair sur toutes les affaires louches de corruption, de rétrocommissions etc.
Contre
Oui, la transparence peut être une idée sympathique à défendre. Mais est-ce vraiment pertinent ? Qu’y gagne-t-on ?
Distinguons déjà la transparence sur des affaires publiques et de l’État de la protection indispensable de la vie privée, qu’elle soit personnelle ou commerciale (les stratégies d’entreprises sont basées forcément sur le secret, commercial ou scientifique : un dément qui publierait sur Internet la recette de Coca Cola ou du Nutella anéantirait la survie commerciale de ses employeurs).
Ceux qui sont contre, parmi lesquels de nombreuses personnalités politiques (notamment Hubert Védrine), disent que les pourparlers, le dialogue parfois difficile, s’il est ébruité, mis sur la place publique, surtout en temps réel, cela va faire évidemment capoter les négociations. On imagine mal, surtout pour les démocraties, réussir le grand écart entre un électoralisme qui nécessite une posture, et un sens des responsabilités qui pourrait transiger au-delà de ce que voudraient les électeurs. Exemple frappant dans la politique vers l’Est du chancelier allemand Willy Brandt qui était devenu un véritable ami de Brejnev (ce dernier prêt même à acheter des députés allemands pour maintenir au pouvoir Willy Brandt).
Irresponsabilité

Ces partisans du contre, d’ailleurs, n’hésitent pas à rappeler que le contraire de la diplomatie, c’est… la guerre, et décrédibiliser ainsi la diplomatie ne peut faire que le jeu des va-t-en-guerre. C’est sur ce point que l’opposition est la plus farouche : la divulgation d’un certain nombre d’informations pourrait mettre la vie de certaines personnes en danger, que ce soit d’otages, de diplomates, d’espions ou même de ressortissants de certains pays. Par exemple, l’Arabie saoudite pourrait réprimer les citoyens américains sur son sol pour se montrer plus islamistes que l’Iran, afin de compenser l’image déplorable qu’elle aurait pu laisser en craignant le développement du nucléaire iranien.
Cette irresponsabilité est confirmée quand on sait que les hackers qui ont rendu possible une telle divulgation ne l’ont pas fait pour des raisons politiques, pire, ils n’ont pas pu lire tous ces documents, ils les ont mis en accès quasi-public (via quelques journalistes) en vrac, sans se préoccuper de faire le tri (et faisant croire que ces journalistes seraient capables de faire le tri alors qu’il s’agit d’affaires d’État et qu’ils ne représentent aucun État). Bref, un acte gratuit, ce qui est le pire (car imprévisible).
Certes, parallèlement à ces arguments basés sur l’irresponsabilité de la démarche, d’autres arguments sont développés qui sont contradictoires. Ainsi, la plupart des informations divulguées, si elles constituent une nouveauté pour les gens de la base, elles étaient connues par les services de renseignement de la plupart des pays. Si c’est vraiment le cas, il n’y a pas d’acte d’irresponsabilité (puisque rien de neuf, donc pas d’action coercitive particulière).

  Paradoxalement, rien ne prouve non plus que les informations révélées (involontairement) par les diplomates américains soient vraies. Elles ne sont que les renseignements qu'ils ont transmis à leur hiérarchie mais ne sont pas forcément synonymes de la réalité. Parfois, ce ne sont que des commentaires, des impressions, des rumeurs. En faire des paroles d'Évangile donne aux États-Unis un statut de "maîtres du monde" qu'ils ne sont pas.

Certains militaires américains envoyés en Irak ou en Afghanistan auraient eu l’habitude d’envoyer leurs photos sur le terrain non seulement à leur hiérarchie, mais à leur page Facebook pour leurs proches, si bien que ce genre de photos devenait très vite public. A priori, les communications françaises seraient plus sécurisées et d’ailleurs, tout vient d’être recontrôlé pour éviter un piratage.
Transparence vs efficacité
La question de fond reste finalement si la démocratie a besoin de transparence absolue ? Car il ne s’agit pas ici de cacher les actes de corruption ni de rendre transparente la vie privée des personnes, mais faut-il rendre publics, immédiatement, tous les actes de gouvernance d’un État ?
La réponse pourrait être double.
Oui, afin de mieux contrôler cette gouvernance. C’est d’ailleurs le meilleur moyen de tempérer l’ardeur du pouvoir exécutif en créant des contre-pouvoirs, et le meilleur des contre-pouvoirs reste encore l’œil de Caïn.
Non, car tout révéler en temps réel va faire capoter bien des négociations. Ce n’est pas trop difficile à comprendre.
Il suffit de faire une petite analogie entre relations d’États à États et relations affectives (ici, mon analogie est États/personnes) : avoir plusieurs fers au feu pour ses relations amoureuses, trahir une amitié dont on soutenait la fidélité sans faille etc. bref, le moindre décalage entre ce qui est affirmé officiellement (les relations diplomatiques) et ce qui est réellement pensé porterait préjudice à tout le monde (l’ami qui n’en est pas un aurait moins de peine à ne pas le savoir).
Bien sûr, cela ressemble à une apologie de l’hypocrisie ou de la manipulation, mais en fait, c’est plutôt une défense normale de… la politesse, qui est un code social indispensable pour interagir dans une société sans être en état de guerre ou de brouille incessant.
La transparence, d’ailleurs, pourrait se faire en temps réel par des commissions parlementaires ou par des entretiens entre les ministres et les chefs de parti afin de les informer de certains sujets importants (cela s’est déjà fait).
La place publique devrait être réservée à l’histoire, après une période réglementaire pour rendre publiques les archives des différents ministères. Au bout de trente ans, les situations ayant considérablement changé, une révélation ne porterait préjudice qu’à l’opinion qu’on pourrait avoir de certains acteurs mais certainement plus à la paix, par exemple.
Le mythe de la transparence totale des gouvernants est assez curieux, finalement, à soutenir. Car on pourrait l’employer dans tous les métiers. Du côté du consommateur, imagine-t-on le client d’un restaurant aller dans les cuisines et vérifier que tout se passe correctement ? ou dans un atelier de carrosserie pour faire réparer sa voiture ? Et si on prend son propre métier, imagine-t-on une caméra fixée sur soi pendant ses heures de travail et dont l’image serait retransmise au public ?
C’était d’ailleurs la principale difficulté lorsque le législateur a voulu instaurer l’indispensable droit du patient à prendre connaissance de son dossier médical. Jusqu’alors, le dossier médical devait être constitué un peu comme les télégrammes diplomatiques, entre personnels de santé avec des termes de vocabulaire pas initialement destinés au malade. Or, ces notes aident à soigner au mieux le patient, mais sans forcément y mettre les formes. Les médecins doivent maintenant adapter leur rédaction.
Leurre… du chaos ?
Bref, la transparence absolue est un véritable leurre, alimenté en particulier par la naïveté de certains et l’esprit de manipulation d’autres. Car, même si les gens ne sont pas trop malins, ils auront compris que toutes ces révélations diplomatiques, pour l’instant, ne donnent aucune information confidentielle concernant les dictatures et les groupes terroristes, bizarrement.
La démocratie a cette fragilité de permettre de se saboter de l’intérieur.
Évitons d’aider les saboteurs…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 décembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu

(Illustration : Ensemble de Mandelbrot du nom du grand mathématicien français récemment disparu)


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