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Voyage de Malraux en Inde (Bombay 1974)

Publié le 08 décembre 2010 par Olivia1972

Voyage de Malraux en Inde (Bombay 1974)

Clotilde de Choiseul

Voilà un livre remarquable et passionnant ; parce qu’il s’agit de Malraux et parce qu’il s’agit de l’Inde. Et ce livre est bien singulier parce qu’il n’est pas écrit par un écrivain connu et aussi parce que ce livre est épuisé et qu’il est impossible à trouver ; un ami nous a envoyé la photocopie de son exemplaire.

L’auteur du livre est Clotilde de Choiseul. Elle a écrit le livre en 1996 pour ses petits-enfants. Et ce qu’elle raconte se passe en 1974. Il s’agit du dernier voyage que Malraux fera et ce sera en Inde. Clotilde de Choiseul est la femme du Consul Général de Bombay et connait Malraux car elle est la cousine des Vilmorin ; on se souvient que Malraux a eu une liaison avec Louise de Vilmorin, puis avec sa nièce Sophie de Vilmorin qui fut la dernière compagne du célèbre écrivain et qui l’accompagnait lors de cet ultime voyage en Inde. Malraux a alors 73 ans.

Nous saluons la plume de Clotilde de Choiseul ; le livre est très bien écrit et on sent la plume tenue par une femme cultivée et intelligente.

Et cette femme nous raconte comment elle a préparé l’organisation de ce voyage et ce qui s’est passé. Malraux est en effet invité par le gouvernement indien à recevoir le Prix Nehru (qui correspond au Prix Nobel). Sauf qu’en raison de son état de santé, Malraux avait tardé à faire connaître sa réponse, et notre Clotilde de Choiseul apprend un lundi que Malraux arrivera le vendredi suivant pour 6 jours en Inde.

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Malraux visite le Musée du Prince de Galles à Bombay. Il commente des miniatures qu’il ne trouve pas suffisamment indiennes : »Ce ne sont pas des œuvres d’art, ce sont des objets d’art ». Il ajoute : »L’œuvre d’art nous parle de ce qui, en l’homme, dépasse l’homme. L’objet d’art, jamais ».

Puis c’est la visite d’Elephanta et de ses cavernes, la première merveille du monde selon Malraux. Malraux explique que les statues en bas-relief, à 20cm les unes des autres, ont été créées pour nous ramener sur le chemin spirituel, cousin d’un chemin de croix. « En effet, entrer dans une caverne, c’est faire un pas vers le plus intime de soi-même ». Malraux connait parfaitement les lieux et les explique avec érudition et concision. Surtout, Malraux connait très bien l’Inde. A propos de Shiva dansant : «Ils lui ont mis plusieurs jambes et plusieurs bras, ce qui donne l’impression d’une roue. Etant le Dieu suprême, sa danse est à la fois constructive du monde d’ici-bas et destructive. Cette ambivalence est un peu difficile à comprendre mais, si on y réfléchit, la pensée hindoue s’en éclaire beaucoup ».

Un chapitre du livre est consacré à J.R.D. Tata que Clotilde de Choiseul alla voir pour préparer ce voyage. J.R.D. Tata est plus qu’un personnage, c’est une icône dans l’histoire de l’Inde et bien sûr dans l’histoire du groupe Tata. Et surtout, il est né en France, de mère française et a fait hypokhagne et khagne à Paris à Janson de Sailly. Ce chapitre expliquant dans le détail l’entretien avec J.R.D. Tata nous en apprend beaucoup sur cet homme.

Dans le programme de ce voyage, une interview à la télévision où l’écrivain indien Kush Want Singh questionne Malraux :

« En ce qui concerne Madame Gandhi, je dirais simplement ceci : quelle importance y a-t-il d’appeler homme ou femme un chef d’Etat qui a fait une guerre contre l’injustice et qui l’a gagnée ? Les vainqueurs n’ont pas de sexe. »

On lui demande pourquoi il a beaucoup écrit sur la sculpture et la peinture indiennes et pas sur la danse et la musique indiennes. Il répond fort logiquement : » Pour parler de musique, il faut la radio. Pour parler de danse, il faut la télévision. Alors que parler de sculpture et de peinture, je peux le faire avec mes livres ».  

Sur la pensée indienne : »Ce qui m’a attiré vers l’Inde, dés l’âge de dix-huit ans, ce n’était pas l’art, c’était la pensée. C’était aussi le plusgrand pays colonisé et j’étais profondément anticololialiste. Alors de ce point de vue, l’Inde était autrement importante que l’Algérie ou l’Indochine. Il y avait donc de la sympathie humaine et aussi mes études des sanskritiste. Enfin, le fait que j’attachais à la pensée métaphysique de l’Inde une importance considérable. Au fond, je suis arrivé à l’art indien, à travers la pensée indienne ».

Un chapitre nous emmènera à Ellora et Malraux prendra le temps d’expliquer Ellora à ceux qui l’accompagnent dont les Conservateurs des lieux ! Le lendemain Malraux ira à Ajanta.

Deux jours après, Malraux est l’hôte du Gouverneur. Malraux porte un toast et dit avec cet à-propos dont il avait le génie : « Je viens de rencontrer des amis américains et je leur ai demandé ce qu’ils auraient fait, ce que nous aurions fait d’un homme comme Gandhi. Ne l’aurait-on pas retrouvé clochard ignoré ? Mes amis américains ont eu l’honnêteté de reconnaître que jamais il n’aurait été élu président de la république. Alors je lève mon verre au seul pays au monde capable d’aimer Gandhi et de le suivre comme chef suprême ».

Même si ce livre semble introuvable, nous voulions vous en parler. Qui sait, peut-être au fond d’une bibliothèque, un de nos lecteurs le trouvera-t-il un jour ?

Nous terminons par ce commentaire fait par Gallimard sur la relation entre Malraux et l’Inde :

On se prend encore à rêver du grand roman indien qu'aurait pu écrire André Malraux, du temps où il écrivait des romans. Ou de l'essai artistique, spirituel et prophétique qu'il eût pu consacrer ensuite à l'Inde, lorsqu'il eut cessé d'écrire des romans pour se livrer à ses réflexions sur l'art, l'histoire ou la littérature… Mais ces ouvrages n'existent pas, alors que l'Inde est le pays lointain où Malraux s'est rendu le plus souvent, en voyages privés ou en missions officielles, de 1930 à 1974, année de son ultime voyage. Et que l'Inde est sans doute le pays qui l'a le plus fasciné, l'accompagnant durant toute sa vie et irriguant sa pensée et son œuvre.
  Agnostique aimanté par un pays si profondément mystique, esthète séduit par un art millénaire, il a été aussi un homme politique fasciné par une immense nation secouant — sans violence — le joug colonial anglais, gagnant son indépendance, puis sa place parmi les grands pays du tiers-monde émergent. Malraux, dans ses dernières années, insistait sur le rôle majeur que l'Inde serait appelée à jouer sur la scène mondiale.


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