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Hugo sur fond de manifs

Publié le 12 décembre 2010 par Sheumas

   On se souvient de l’évocation haute en couleur de la barricade dans les Misérables où finit de monter en gloire le « chandelier Jean Valjean ». L’une des forces de Hugo, c’est d’avoir donné une voix aux « misérables », aux simples, aux saltimbanques... De Claude Gueux à Gavroche, de Gwynplaine à Fantine, de Quasimodo à Gilliatt, ils se bousculent dans son œuvre romanesque pour faire entendre le sort des déshérités.

   Et c’est de cette clameur que vibrent encore les vers de l’un des poèmes moins connus que « Melancholia » extrait de l’un des derniers recueils du vieil Hugo, « l’Année terrible » : « A ceux que l’on foule aux pieds », dont l’écrivain Thierry Jonquet a tiré le titre de l’un des ses romans : « Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ».

   Nous sommes en 1873 et pourtant, on a l’impression d’entendre les accents d’un défenseur du sort du peuple au sein des cités... Prodigieuse modernité de la littérature... 

A CEUX QU’ON FOULE AUX PIEDS

Oh ! je suis avec vous ! j’ai cette sombre joie.
Ceux qu’on accable, ceux qu’on frappe et qu’on foudroie
M’attirent ; je me sens leur frère ; je défends
Terrassés ceux que j’ai combattus triomphants ;
Je veux, car ce qui fait la nuit sur tous m’éclaire,
Oublier leur injure, oublier leur colère,
Et de quels noms de haine ils m’appelaient entre eux.
Je n’ai plus d’ennemis quand ils sont malheureux.
Mais surtout c’est le peuple, attendant son salaire,
Le peuple, qui parfois devient impopulaire,
C’est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants

Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ;
 

Je défends l’égaré, le faible, et cette foule
Qui, n’ayant jamais eu de point d’appui, s’écroule
Et tombe folle au fond des noirs événements ;
Etant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire
A vous tous, que c’était à vous de les conduire,
Qu’il fallait leur donner leur part de la cité ;
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D’une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité.
Ils errent ; l’instinct bon se nourrit de clarté ;
Ils n’ont rien dont leur âme obscure se repaisse ;
Ils cherchent des lueurs dans la nuit, plus épaisse
Et plus morne là-haut que les branches des bois ;
Pas un phare. A tâtons, en détresse, aux abois,
Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?
En tournant dans un cercle horrible, on devient ivre ; la misère, âpre roue, étourdit Ixion.
Et c’est pourquoi j’ai pris la résolution
De demander pour tous le pain et la lumière...


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