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"Le Big Bang, et après ?" Alexandre Adler, Marc Fumaroli, Trinh Xuan Thuan...

Par Manus

Sous la direction de Nadia Benjelloun – directrice internationale du Festival de Fès des musiques sacrées du monde et des Rencontres de Fès – « Le Big Bang et après ? » éd. Albin Michel, 2010, rassemble les réflexions d’Alexandre Adler, Dany-Robert Dufour, Marc Fumaroli, Blandine Kriegel, Victor Malka, Trinh Xuan Thuan et Max-Jean Zins.

Concernant l’origine du monde, entre mythe et histoire, science et foi, hasard et destinée, la question lancinante et majeure a constamment fait partie de l’homme, distillée au travers de l’imaginaire, poursuivie par la théologie, reprise par la raison, depuis le début jusqu’à aujourd’hui.

Que ce soit du Darwinisme au Big Bang, de la découverte d’un univers en expansion tendant vers l’infini, les avancées scientifiques tout comme les pensées métaphysiques, se contredirent et s’enrichirent successivement.

Face à tels progrès et l’élargissement de la pensée, l’homme ne peut qu’être amené au constat de l’humilité, réalisant qu’au plus il tente de comprendre et de domestiquer l’origine du monde, au plus celui-ci lui échappe, encore et encore.

Le « je ne sais pas » inhérent à la question du « pourquoi » restera en permanence en action, poussé par le désir de savoir, tout comme le constat de l’ignorance se profilant d’emblée.

« La quête de la raison n’aura pas plus de fin que l’histoire, celle de la foi non plus.  Des plus subtils théologiens aux plus grandes figures de l’art sacré en passant par l’humble émotion qui fait voir la main de Dieu dans la beauté ou l’harmonie du monde, le sentiment du sacré chemine, lui aussi, de siècle en siècle, sans arrêt, et, pour beaucoup, sans certitude qui ne puisse être ébranlée. »

Raison et foi, science et foi seront encore et toujours en affrontement, mais par-delà leurs clivages, les démarches sont essentiellement humaines et peuvent se tendre la main et l’oreille.

Les Rencontres de Fès dont cet ouvrage en est l’écho, comme du Festival de musiques sacrées du monde qu’elle accompagne, a pour but, justement, d’accueillir toutes réflexions et pensées aux points de vues les plus divers possibles : scientifiques, philosophiques, esthétiques, historiques.

Hors de question de trancher, d’asseoir des certitudes, mais bien de présenter les variétés des esquisses de réponses possibles à la question sur l’origine du monde, et ce, dans le plus grand respect et l’écoute.

L’exploration de cette question donnera naissance à cet ouvrage, qui, à sa lecture, me permettra d’avancer l’opinion que nulle réflexion n’est contradictoire avec d’autres proposées, et qu’au contraire, tout apport provenant de chaque catégorie (sciences, foi, etc.) est plus que jamais complémentaire.

Tout comme l’homme ne peut être dissocié de sa psychologie comme de son physique, je pense intimement que toute science, de même que la foi et la philosophie, s’emboîtent pour ne suggérer, finalement, qu’un « je ne sais pas», où, des esquisses de réponses avec beaucoup d’interrogations.

Cet ouvrage donnera la parole à Trinh Xuan Thuan, scientifique ; à Victor Malka, explorant les récits sacrés de la création pour le judaïsme ; l’hindouisme pour Max-Jean Zins ; Alexandre Adler, monothéiste ; Dany-Robert Dufour, philosophe ; Marc Fumaroli formulera ses réflexions à partir de l’art, tandis que Blandine Kriegel abordera la question en s’inspirant de l’arbre de Vie.

Le livre présente au lecteur un tour d’horizon assez général, mais intéressant.  Disons que ce qui se dégage avant tout de cette rencontre à Fès, c’est l’immense respect qui semble animer les différents conférenciers.

Je ne reprendrai pas dans le détail le discours de tous les intervenants, mais en proposerai brièvement l’idée force des quatre premiers conférenciers présentés dans cet ouvrage.

Le livre débute avec Trinh Xuan Thuan (astrophysicien, professeur à l’université de Virginie ; écrivain).  Celui-ci est peut-être le seul parmi tous les intervenants à répondre sans détour à la question du Big Bang.  Il permet au lecteur de remonter le début des travaux scientifiques tout en citant Aristote, expose la théorie de l’évolution par le Darwinisme de manière détaillée (des premières particules, le cosmos, l’évolution de la vie, théorie du Jurassique, puis l’Homo sapiens)  pour bifurquer vers ce que nous pensons aujourd’hui du Big Bang. 

« Vient alors cette étape fondamentale de l’histoire de l’évolution cosmique que sont le développement de l’humain et l’émergence de la conscience (…) »

En évoquant l’unité de vie il dit ceci :

(…)« Ce grand récit unitaire de toutes les sciences n’est pas seulement magnifique.  Il contribuerait aussi à réunir les hommes de bonne volonté du monde entier s’il pouvait leur être diffusé.  Savoir que nous sommes tous des poussières d’étoiles, que nous partageons la même histoire cosmique avec les lions des savanes et les coquelicots des champs, que nous sommes tous connectés à travers l’espace et le temps, développerait notre sentiment d’interdépendance.

A son tour, la prise de conscience de l’interdépendance magnifierait en nous le sentiment de compassion, car nous aurions réalisé que le mur que notre esprit a dressé entre « moi » et « autrui » est illusoire, et que le bonheur de chacun de nous dépend de celui des autres. » (…)

Victor Malka (juif, écrivain, producteur à France Culture, directeur de la revue Information juive etc.) aborde la question du Big Bang à partir des récits sacrés de la création provenant du Talmud et de la Bible. 

Il ouvre le débat en posant la question sur ce qui relève de mythologie et de l’histoire dans les récits liés à la création.  Pour illustrer ses propos, il reprendra la signification originelle de chaque terme afin d’en décortiquer le sens exact. 

De son point de vue, il n’est nullement question de réfuter la théorie du Big Bang, mais en revanche, il ne peut, ne sait, imaginer l’idée de la création. C’est pour lui impensable.  Malka souligne que pour le judaïsme, la création est un principe de foi.  Le texte de la Bible serait selon lui, atemporel ou intemporel dont l’importance ne reposerait pas sur l’historicité du récit. 

Il s’agirait de poser un regard métaphysique sur les textes qui sont offerts depuis tant de siècles en présentant le récit par les questions suivantes : qui sommes nous ?  D’où venons-nous ?  Où allons-nous ?

« Comme si l’enjeu essentiel de la création était d’abord et avant tout l’émergence d’une conscience de soi.  C’est-à-dire que l’on ne se voit pas comme un simple rouage dans la grande mécanique de la nature : l’homme n’est pas le résultat du « plus stupide des hasards » (Nietzsche), la vie a un sens et il y a, à l’origine du monde, un vrai projet ».

Dany-Robert Dufour ( philosophe, professeur à l’université de Paris-VIII et au collège international de philosophie ; écrivain)

Dufour décide de partir de la preuve athée pour démontrer l’existence de Dieu.  Pari difficile mais dont le raisonnement est intéressant.  Etant lui-même philosophe athée, son ouverture par la réflexion non figée est d’autant plus remarquable.  Evoquant les différents courants philosophiques pour rappeler les trois types de preuves : la preuve cosmologique (le monde comme objet en mouvement suppose des moteurs) ; la preuve ontologique (l’existence de Dieu se déduit de son idée) ; la preuve physico-théologique (la beauté, l’ordre ne peuvent être le fruit du hasard) , Dufour profite de ce rappel pour introduire la notion du mal (contre-argument aux preuves) que Kant utilisera pour réargumenter une nouvelle preuve à partir du mal de l’existence de Dieu : Dieu a en effet permis le mal pour que l’homme puisse choisir librement le bien.   Dufour présente ensuite les théories de Kierkegaard, cite Borges, et en arrive au néodarwinisme.

A partir de là, Dufour propose une nouvelle preuve : celle de la néotonie  Il part du postulat que l’homme est en quelque sorte une erreur de la nature. 

(…)« Ainsi s’énoncerait cette preuve anthropologique ou ontique de l’existence de dieu et sa particularité d’être rigoureusement athée.  Il n’est certes pas aisé de prouver dieu et de rester athée, mais on le peut en distinguant et en articulant nature et culture.  Dans la culture on trouve le corps inabouti du néotène qui, dans la culture, se trouve greffé sur des fictions, çàd des créations symboliques qui sont nécessaires à cet homme pour vivre et survivre. » (…)

Max-Jean Zins (politologue, membre du CERI (Sciences-Po) ; auteur) reprend lui aussi les questions inhérentes à l’être : « D’où venons-nous ? » et « Où allons-nous ? » auxquelles il tentera de répondre en proposant les différents courants philosophiques et religieux dont est constituée l’Inde.

Zins reprend point par point l’évolution historique de l’hindouisme, développe les courants philosophiques qui la caractérise et en explique la formation actuelle.

Celles-ci étant très nombreuses, je me contenterai de citer l’un ou l’autre exemple qui m’a personnellement interpellé.

« Le mystique du l’Un qui parcourt les Upanishads dévotionnels, notamment la Bhagavad Gita, trouve son aboutissement dans la « dévotion », la bhakti, qui lie le dévot à son dieu ou, plus généralement, toute personne s’épanouissant dans une expérience intime, faite à la fois d’abandon à dieu et de connaissance de soi. (…)"

Les rites en Inde, s’ils perdent de leur valeur, et ce n’est pas pour autant qu’ils disparaissent, se multiplient, plutôt, dans un foisonnement extraordinaire de pratiques et de coutumes diverses, selon les personnes, les familles, les clans, les castes, les religions.  Mais il n’est aucun ecclésiaste, aucun livre sacré, aucun dogme qui puisse dicter sa conduite légitime au croyant ou au dévot.  Celui-ci, convaincu qu’il vit dans l’ère cyclique d’un temps du monde et qu’il est, dans ce moment présent, la résultante de ses milliers de vies passées, fondera son culte dans la vénération de sa divinité telle que, en pratique, son environnement proche l’incite ou le force socialement à la pratiquer.

« La notion d’altérité s’en trouve profondément modifiée.  Dans l’ordre du divin, l’Autre est désormais très proche de l’hindou : il s’incarne quotidiennement dans la divinité que le croyant entoure de ses soins attentifs. »

Viennent ensuite les exposés d’Alexandre Adler (historien, journaliste, chroniqueur à France Culture…, écrivain), Marc Fumaroli (historien et essayiste, membre de l’Académie française, écrivain), et de Blandine Kriegel (philosophe, professeur émérite des universités, auteur) tout aussi captivant les uns comme les autres.

Si cet ouvrage peut laisser un goût de trop peu, il aura eu le mérite de présenter les différentes thèses sur le Big Bang, elles-mêmes issues d’horizons opposées.  Rien que pour cela, déjà, la lecture de ce livre vaut la peine : il est universel.

Savina de Jamblinne.


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