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Qu’ils s’en aillent tous, de Jean-Luc Mélenchon

Publié le 19 décembre 2010 par Jlhuss

melenchon.1292703677.JPGA la veille des dernières élections présidentielles, les bien pensants de gauche n’avait pas de mots assez durs pour flétrir le « populisme » de Sarkozy. N’étaient alors bienséantes que les voix policées de leur cru. Apparaît Mélenchon : le populisme leur semble soudain moins coupable… Il faut reconnaître que l’homme est captivant, son âpreté secoue la torpeur, son verbe tranche avec le ronron. A l’évidence, excellent à l’oral. Qu’en est-il à l’écrit ? Son dernier livre, Qu’il s’en aille tous  !, cent quarante pages chez Flammarion, vaut-il autant que son titre choc ?

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L’introduction annonce la couleur : ce sera rouge. Le rouge de la colère qui dresse soudain les citoyens contre « les mœurs arrogantes des amis de l’argent ». Pas le rouge sang : l’auteur prend d’emblée ses distances avec « les mythes violents » et le « complot pour un grand soir armé » : « La révolution que je souhaite se déclenche et se mène par les bulletins de vote ». Pas le rouge cardinal non plus , « la révolution citoyenne est radicalement laïque », c’est-à-dire dégagée des catéchismes doctrinaux. Ce sera donc le rouge français, inspiré de notre 1789 et des sursauts actuels à l’œuvre en Amérique du Sud ; le rouge républicain qui flotte au drapeau national.

Le premier chapitre, La refondation républicaine, évoque « l’action du peuple qui procède à la récupération totale de sa souveraineté dans tous les secteurs de la vie en société ». Cela passe d’abord par la convocation d’une Assemblée constituante mobilisant le citoyen, enrayant la mortifère abstention, tournant la page du présidentialisme et trouvant dans « un bon régime parlementaire stable  la voie de la dignité civique ». Mais la conscience citoyenne doit aussi infuser et irriguer tous les compartiments de la société, à commencer par l’école et les médias. L’école, résolument publique et soustraite aux « marchés du savoir », a vocation de former « le peuple le plus éduqué du monde » ; l’audiovisuel, libérée des coteries et des œillères du microcosme, doit être partout « ressourcée dans le peuple » par le vote.

Les sous-titres suffiraient à dire le contenu et suggérer le ton du second chapitre, L’autre partage des richesses  : Le magot caché, Rendez l’argent !, L’apartheid social, Les grosses bouches à fric, Les nuls se récompensent.  Ogres du CAC 40, Pieds Nickelées de la finance, chanteurs et sportifs insolents, « marioles de la téléréalité » : c’est à tous ceux qui comptent leurs profits en années de smic que Mélenchon nous incite à dire au revoir. « Qu’ils s’en aillent tous ! On ne s’en rendra même pas compte». Instauration de coopératives, reconstruction des services publics et d’un pôle financier d’Etat, instauration de salaires minimum et maximum : bref, une nouvelle « nuit du 4 août » pour faire rendre gorge aux manitous.

Le troisième cercle de « la révolution citoyenne » abordé au chapitre suivant, Sortir du traité de Lisbonne, définit un nouveau rapport de la France à l’Europe. L’auteur confesse « une erreur d’appréciation terrible » qui, le berçant au rêve du fédéralisme, lui fit, à lui comme à tant d’autres à gauche, « lâcher le monstre dans notre cour ». Ce qu’est devenue l’Europe, selon l’auteur ? « Une instance non élue et lointaine » dominée par le Nord libéral, qui abolit notre histoire républicaine, humilie notre langue, moque notre prétendue « arrogance », démantèle nos services publics, régente notre budget, prétend même normaliser notre vie privée. Le remède ? Un référendum proposant à notre peuple, comme par un Opt-out  à l’anglaise, le refus d’appliquer « les articles du traité de Lisbonne contraires à l’intérêt général des Français ».

Quatrième cercle de l’analyse : La planification écologique. Mélenchon y affirme, contre certaines fractions de son propre bord, l’impératif sinon de sauver la planète, du moins de « sauvegarder l’écosystème qui rend possible la vie humaine ». Pointant du doigt les « charlatans du capitalisme vert » ou l’ignominie des « droits à polluer », il plaide concrètement pour la mise en place des circuits courts -« votre jeans parcourt 40 000 kilomètres avant d’arriver sur vos fesses »-, la relocalisation, le ferroutage, le remplacement progressif du nucléaire par la géothermie. Nul doute pour lui : l’écologie politique est un humanisme.

Le dernier chapitre, Faire une autre paix, dénonce la chimère d’une paix assurée en Europe par l’Union, relativise l’irénisme du couple franco-allemand, s’enthousiasme à la perspective du rattachement de la Wallonie à la France, stigmatise l’arrogance planétaire des G8 et G20, pointe l’aveuglement d’un alignement de la politique extérieure française sur les intérêts du déclinant empire américain, met en garde contre la réalisation sournoise d’un « grand marché transatlantique », suggère de développer sans crainte nos relations avec la Chine, et rappelle « l’impératif catégorique » du désarmement nucléaire.

Comment classer un tel ouvrage ? On ne sait pas exactement. L’auteur lui-même, professeur de français tombé en politique à l’extrême gauche dans les années soixante-dix, s’y embrouille un peu. Ni programme ni manifeste, nous dit-il. En effet, et cela dispense d’entrer dans les explications. Un seul exemple : si le peuple, constamment consulté -M.Mélenchon s’y engage- marquait d’emblée massivement, comme c’est probable, son attachement à l’élection du président de la république au suffrage universel direct, que ferait notre révolutionnaire démocrate ? Battrait-il en retraite sur ce préalable, ou biaiserait-il avec le peuple, pour son bien évidemment, comme ceux qu’il critique aujourd’hui ? Mais laissons cela, et tant d’autres interrogations suscitées par un projet si radical. Ce livre, dit Mélenchon, est un « croquis ». Soit. Il faudra sans doute attendre la campagne de 2012 pour observer le tableau définitif. Bien des sujets graves ne sont pas ici abordés, ou le sont trop cursivement, comme la sécurité, l’immigration, la question de notre souveraineté monétaire et du contrôle de nos frontières.

Pour relever du pamphlet, il manque d’ailleurs à ce petit livre une sève constante, un tempo, une invention verbale soutenue. Certes Mélenchon écrit vif et clair, les trouvailles ne manquent pas, surtout dans le deuxième chapitre, soulevé d’indignation par exemple contre les goinfres de la maison BNP Paribas « gorgée comme une tique sur le cou d’un chien errant », avec son « bonus moyen de 250 000 euros par tête d’œuf », ces tarifs de « grands chefs à plumes ». Mais souvent la verve retombe, parfois s’envase en métaphores douteuses comme celle de « travailler au marteau-piqueur pour arracher les racines profondes que le cancer de l’Europe libérale a incrustées dans la chair de notre République »…On sent qu’il manque à M.Mélenchon, brillant jouteur de plateau, le stimulus d’un contradicteur sous l’œil d’une caméra. On croit deviner que le calme et la solitude de son bureau lui pèsent un peu. C’est plus fort que lui, il faut qu’il nous parle soudain, nous interpelle : « Ce constat s’impose à nous. Oui ou non ? Ce n’est pas une petite question ! (…) Vous y pensez ? »

Au total, malgré le sentiment d’inabouti qu’on éprouve en reposant l’ouvrage, le lecteur curieux, comme l’électeur disponible, est conforté dans l’envie de regarder sans antipathie, voire davantage, le cheminement de cet homme de vigueur et de conviction. Qui n’aimerait pas s’entendre dire, comme dans sa conclusion, que les « déclinistes » et fatalistes nous abusent, qu’il faut croire encore et toujours à « l’incommensurable richesse que sont la créativité, la générosité, la disponibilité de notre peuple » ; qu’il faut oser ouvrir la voie à l’espérance. D’autres l’ont dit, on y a cru…

Arion


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