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Prix Pulitzer en vue

Par Topolivres

Proposition de lecture post Pulitzer


En 2003, Le Temps du loup, long métrage de Michael Haneke, sortait ses griffes sur les écrans français. Très difficilement oubliable, ce film avance des images étincelantes de cruauté pour évoquer l'enfer de survivants face à une catastrophe innommée.
La vision de Haneke refuse l'angle compassionnel pour épouser les détours d'une sauvagerie non narrative. Le cinéaste, au ras du sol incendié et des terres retournées, filme la racine du pire et suggère l'inqualifié voire l'inarticulé. La matière première du film relève du flux de pression sanguine accéléré.
Michael Haneke, Le Temps du loup
Michael Haneke, Le Temps du loup
Or voici que paraît ces jours-ci en France La Route, le roman de Cormac McCarthy. L'ouvrage arrive droit des Etats-Unis, tout irradié du dernier Prix Pulitzer. Elaboré à partir d'un appareil imaginaire très proche du Temps du loup, La Route propose une terre éventrée où des familles hallucinées par la barbarie, parfois recomposées face à l'événement soudain d'un visage, marchent vers une mer sans horizon. Aucun lointain. La Route est sans conteste un livre à la beauté tragique, même si une dichotomie assez hasardeuse - il est vrai appréciée comme telle - place d'un côté "les gentils" et de l'autre "les méchants" et donne brusquement à l'ensemble la portée d'une fable modélisée, entre apprentissage moral et construction d'une légende édifiante, posthumaine et sanglante. Dans ce road movie, deux personnages endossent les rôles principaux, un homme et un enfant. La presse française dans son ensemble encense l'ouvrage de McCarthy, écrivain renommé, précédé de son succès international considérable.
Michael Haneke, Le Temps du loup
Michael Haneke, Le Temps du loup
On reste donc surpris par l'indifférence magistrale avec laquelle l'ouvrage de Didier Séraffin, Un enfant volé, aux éditions Philippe Rey, est ignoré par la même critique (parution à la rentrée d'automne 2007), alors qu'il possède des armes au moins aussi affûtées, sur le cauchemar universel qui guette nos lendemains.
Porté par un duo et un destin semblables, soit la traversée de paysages hostiles à la condition humaine, le livre de Didier Séraffin, premier roman publié de l'auteur, fait montre d'une picturalité poétique bien supérieure au livre de McCarthy. Plus assassin et plus lucide, carnivore, il entonne des chants d'amour et de guerre aux rythmes d'une ode macabre. Là où McCarthy prend la résolution de la noirceur et de la pose, Didier Séraffin s'achemine depuis le point de vue du criminel, qu'il lézarde de profonds hourras de vie, à contre coeur et contre corps. Son livre pose sans cesse question, remue et bouleverse en oeuvre artistique complète, c'est-à-dire pas seulement dans le sens de la tombée des larmes et de la finitude des jours. Proposons à l'écrivain Michel Schneider, qui cite dans sa critique du Point Goya à propos de McCarthy, de vérifier que le diable de peintre ne loge pas plus volontiers chez Séraffin, à hauteur véritable de son sujet, mortel et joueur. N'hésitez pas, lecteurs de McCarthy, continuez votre Route avec un roman que seuls les libraires de l'enseigne Cultura ont eu la clairvoyance de reconnaître (dans le cadre de leur opération "Talents à découvrir"). Donnez-lui la chance de la survie.
Isabelle Rabineau

Michael Haneke, Le Temps du loup
Michael Haneke
Le Temps du loup

France, Allemagne, Autriche 2003
Cormac McCarthy, La Route
Cormac McCarthy
La Route

Traduit de l'anglais (Etats-Unis, The Road) par François Hirsch
L'Olivier 2008
21 euros
Didier Séraffin, Un enfant volé
Didier Séraffin
Un enfant volé

Philippe Rey 2007
14,90 euros

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