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La corruption mise en scène : théâtre, feuilletons et cinéma

Publié le 20 décembre 2010 par Gonzo

La corruption mise en scène : théâtre, feuilletons et cinémaA l’occasion de la dernière « Journée mondiale des Nations unies contre la corruption », le BBC World service a fait réaliser un sondage dont il ressort que les pratiques de « mauvaise gouvernance » selon la dernière périphrase à la mode constituent le premier thème de discussion de par le monde, avant même les questions météorologiques !!!

Pour cette enquête où des citoyens de 57 pays ont été interrogés, c’est l’Egypte – à tout seigneur tout honneur ? – qui représentait le monde arabe… On apprend ainsi que le citoyen égyptien aime à parler, avant tout, du coût de la vie, un sujet qui le préoccupe bien plus que la moyenne mondiale… Et pour ce qui est du thème central de l’enquête, la corruption, considérée par 91 % d’entre eux comme un very serious problem, les Egyptiens arriveraient presque en tête de toutes les nations s’il n’y avait les Brésiliens pour faire encore mieux qu’eux !

Un souci méthodologique toutefois, car la « corruption », que les enquêteurs ont dû traduire dans toutes les langues de l’échantillon, peut être vécue de bien des manières. En arabe, le terme fasâd (فساد), qui vient immédiatement à l’esprit, évoque sans doute la corruption, au sens de concussion (« malversation d’un fonctionnaire qui ordonne de percevoir ou perçoit sciemment des fonds par abus de l’autorité que lui donne sa charge » nous dit le dictionnaire), mais avec une connotation morale qui fait défaut en français. Dans les médias arabes, on peut ainsi parler sans difficulté aucune de la « corruption des intellectuels », pour dénoncer non pas leur cupidité mais leur absence de probité morale, cause de leurs errements, voire de leurs erreurs, et le terme fait indéniablement écho au fasâd al-qulûb, cette « perversion des cœurs » qui est un poncif inlassablement repris par les commentateurs religieux au fil des générations successives.

Ces remarques faites, on ne s’étonne pas, en lisant l’enquête publiée par les Nations unies, de constater que les Egyptiens, et sans doute l’ensemble des citoyens arabes, sont  particulièrement concernés, dans tous les sens du mot, par les questions de corruption politique. Un thème que dénoncent d’ailleurs, et depuis assez longtemps, un très grand nombre de romans, de films, de feuilletons, ou encore de pièces de théâtre. Mais, parfois, d’une manière qui mérite quelques commentaires.

En Irak, pays qui fait le dur apprentissage – c’est le moins qu’on puisse dire… – de la démocratie depuis qu’on est venu le libérer, la dernière Journée mondiale contre la corruption a été accompagnée par la représentation d’une pièce intitulé Dir bâlak fasad (دير بالك فساد : Attention, corruption !). Cependant, en lisant un article dans Al-quds al-‘arabim on en arrive à se demander si la mise en scène ne déborde pas les murs du Théâtre national où l’œuvre a été présentée. En effet, il s’agit d’une commande du très officiel Organisme pour l’intégrité et la transparence (هيئة النزاهة ةالشفافة), créé en 2003 et financé par les autorités. Il est vrai que, cette année-là, l’organisation Transparency International (brève dans Le Monde) donnait à l’Irak la troisième place dans son palmarès mondial, juste après la Somalie et la Birmanie…

Sans faire de procès d’intention aux autorités irakiennes, on peut malheureusement craindre que la lutte contre la corruption soit aussi… corrompue que les organismes qui la financent. Dans une région où les ficelles de la communication politique semblent avoir été assimilées plus vite que les règles de la « bonne gouvernance », on a ainsi souvent l’impression d’une indéniable instrumentalisation de la lutte contre la corruption. On peut l’observer, entre autres exemples dans la région, en Syrie, où le thème de la lutte contre la corruption bénéficie d’un soutien appuyé des autorités, comme le note Mathilde Chèvre à propos des thématiques développées par bien des ouvrages pour enfants (voir ce billet dans les Carnets de l’Ifpo). En 2007 et 2008 notamment, plusieurs feuilletons télévisés, signalés dans cet article d’Al-Akhbar, ont eu comme point commun de dénoncer les errements d’un système mis à mal par l’absence d’intégrité de certains de ses acteurs. L’exercice a toutefois ses limites. En 2008 par exemple, la diffusion de Riyâh al-khamasîn (Vents de sable) n’est pas allée au-delà du deuxième épisode. Ce feuilleton, réalisé par Hisham Sharbatji (هشام شربتجي), racontait l’itinéraire d’un prisonnier politique qui, après 15 années de détention, découvrait combien la corruption avait gagné tous les secteurs de la société.

On a beaucoup parlé également de La malédiction de la terre (La‘nat al-tîn لعنة الطين. Au grand étonnement de pas mal d’observateurs, le réalisateur (Ahmad Ibrahim Ahmad أحمد إبراهيم أحمد) et son scénariste (Samer Ridwan سامر رضوان) avaient en effet choisi de traiter une question particulièrement sensible, celle de la corruption de certains hauts responsables au temps de la présence syrienne au Liban. Il est vrai qu’ils se lançaient dans cette aventure alors qu’Abdel Halim Khaddam (عبد الحليم خدام), ancien vice-président entre 2000 et 2005, très  impliqué dans ces accusations, était déjà tombé en disgrâce. Malgré leurs efforts, les aventures de Abdel Alim Allam (عبد العليم علام), selon le nom donné comme par hasard à l’un des principaux protagonistes, auront bien été diffusées mais sous une forme parfaitement édulcorée (voir – dès que le site sera totalement réparé, cet article dans Al-Akhbar).

Sans doute parce qu’il y a matière à dire, la corruption est donc un thème souvent traité, avec, de temps à autre, d’indéniables effets d’opportunité. Sur le long terme, des évolutions se dessinent, qui en disent moins sur ce fléau social et politique d’ailleurs que sur l’état d’esprit des populations qui doivent vivre avec. En juillet dernier, on a ainsi projeté en Egypte Al-Kibâr (Les « gros bonnets » الكبار), film qui raconte l’histoire d’un juge honnête aux prises avec la corruption dans son pays. Pour cette grosse production, le jeune metteur en scène, Muhammad Gala al-Adl (محمد جلاء العدل), a fait appel à un scénariste chevronné, Bashir al-Deek (بشير الديك).

Bashir al-Deek, dont toutes les œuvres tournent, d’une manière ou d’une autre, autour de ce thème, retrouvait ainsi le chemin des écrans après une longue absence depuis la fin des années 1990. A cette différence près, notée par un critique, que les scénarios qu’il écrivait dans les années 1980 et 1990 voyaient le triomphe du héros justicier, alors que le « petit juge » d’Al-Kibâr en 2010 échoue lamentablement dans son combat contre la corruption…

(Cadeau presque de fin d’année : Al-Kibâr en version arabe sur internet à cette adresse).


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