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Lecture (poésie) : Michel MARTIN DE VILLEMER.

Par Ananda

 « MORGELINE POUR MA VEUVE », Préface de Jean-Pierre Desthuilliers, La Jointée Editeur, 2010.

Avec ce « Morgeline pour ma veuve » de Michel MARTIN de VILLEMER (qui, hélas, nous a quittés il n’y a pas longtemps), nous découvrons une poésie qui réussit le tour de force d’allier le culte flamboyant, presque « excentrique » du mot rare et désuet à la toile de fond d’une tonalité d’expression sobre, très moderne, aussi pleine de force et de présence que de détachement et de pudeur.

Michel Martin de Villemer, le plus souvent, opte pour le vers libre, et ses textes, de longueur variable, révèlent un goût prononcé pour les énumérations regroupées autour d’un même thème (exemples : l’escalier, la main…).

On sent qu’on a ici affaire à une écriture très travaillée, une sorte d’orfèvrerie du verbe poétique qui ne souffre pas que l’on se contente de la survoler, de passer trop vite sur elle, mais, au contraire, qui se veut difficile d’accès, exigeante, pour mieux séduire. Quand je dis cela, je me reporte, bien sûr, pour l’essentiel, à la présence de ces mots rares, lesquels semblent tout droit sortis de la profondeur du temps jadis. Michel Martin les utilise comme autant de joyaux étranges, de vocables que l’oubli total a élevé au rang de termes de pure poésie, d’énigmatiques transfuges de ce qui est devenu, pour le peuple français, un Ailleurs temporel.

Michel Martin ressuscite les mots morts, et ceux-ci nous intriguent, nous surprennent. De la « mordache » au « nécrobie » en passant par « l’aiguail » ou la « glabelle », on s’y perd un petit peu. A telle enseigne que la présence, en fin de recueil, d’un « Index des mots rares et insolites » ne nous semble sûrement pas de trop.

En même temps, viennent opérer les métaphores inattendues, qui scellent la beauté des images, leur foudroyant impact poétique (« La lèvre lippue de la mer » ; « L’hébergement au donjon du veuvage » ; « Nuages sumos des tempêtes » ; « les dunes des femmes enceintes » ; « Mais l’aube tirera les verrous des sorties » ; « la main-bâillon séquestre le silence »)

De l’ensemble de ce livre se dégage une espèce de charme d’un autre temps…mais un charme finalement saturé de chaleur humaine, car irrigué d’un profond, d’un très palpable amour de la vie.

Là encore, on le sent , notre poète est un homme de LIEN, et de tendresse.

Si ses deux ancrages, et donc ses deux forces, semblent complètement antinomiques, ils n’en sont pas moins bel et bien ce qu’ils sont : le terroir français et le voyage. La France la plus profonde, celle de l’ancien travail rural est, chez lui, exaltée dans les mêmes proportions que l’est l’Afrique Noire (sahélienne ou saharienne), qu’il connait très bien.

Michel Martin de Villemer est, certes, un poète très, très français. Ce qui ne l’empêche pas de nous entretenir, de façon magnifiquement évocatrice, de « case […] ouverte aux margouillats » ou encore, de « la nuit avec l’odeur de la térébenthine / Exhalée des manguiers […] / Avec ses revenants, ses danses […] / Ses grillons voyageant sur des essieux rouillés ».

Mais, à travers ces deux pôles en apparence si opposés, la France d’autrefois et l’Afrique, ne chante-t-il pas, en fait, la même catégorie de profondeur oubliée, de sagesse perdue ?

Et, de fait, Michel Martin de Villemer  a une conscience aigue de ce que « Tout disparaît, hormis l’oubli : / éternelle clarté ».

Son attachement au passé, pourrait- on se dire, ne fait que suivre son sens exacerbé de la finitude.

Au final, nous démasquons dans son recueil une méditation sur la vie. Une vie foisonnante, adorée, mais où tout converge vers « le râle ».

Entre résignation et hantise, il y a l’incontournable, le butoir. C’est lui qui fonde la lucidité, l’expression, si discrète soit-elle, de l’inquiétude.

« Puis on appartient à la mort », conclut cet homme d’appartenance.

Ainsi l’on s’aperçoit que la camarde traverse de part en part l’ouvrage, et qu’elle y est d’autant plus présente qu’elle l’est sournoisement, par petites touches qui semblent vous attendre en embuscade, pour vous tomber dessus.

A son extrême fin, le recueil comporte une mince deuxième partie, intitulée « EN MARGE…DU TEMPS » : on y trouve essentiellement des aphorismes, qui laissent une bonne place à l’humour.

« Morgeline pour ma veuve » est un bel exemple de grande poésie.

P. Laranco

Le 09/12/2010.


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