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Umar TIMOL.

Par Ananda

 

A ma mère, Sarah.


Les cinq cercles.


Au commencement, dans le premier cercle, il y a la maman et l’enfant. Et l’enfant, petit comme tout, est très timide. Trop timide. Son cœur bat toujours trop vite. Un rien l’effraie. Et l’enfant aime être avec sa maman et d’ailleurs on dit qu’il est un fils à maman. Ça le fait sourire mais il n’en a pas honte, c’est ce qu’il est après tout. Et cet enfant aime les livres. Beaucoup. Il aime l’objet livre, le tenir entre ses mains, le caresser, le humer. Il aime toutes ses promesses, tout ce qu’il recèle. Les aventures, les personnages, les uns plus mystérieux que les autres, ceux qui font rire, ceux qui font peur, les rêves, pouvoir s’évader dans un autre monde. Et il lit tout ce qui lui tombe sous la main. Blek le Roc qui se démène contre les tuniques rouges, l’Etalon Noir, cheval sauvage qui remporte toutes les courses, Picsou qui n’en finit plus de compter son argent alors que Miss Tick n’a qu’une envie, piquer son sou-fétiche ou les amoureux de Jules Verne qui sont en quête du Rayon Vert. Et Jeudi est son jour préféré car maman lui apporte son exemplaire de Mickey Parade. Samedi aussi est son jour préféré car il se rend avec maman et ses cousins Ghanty, à la librairie le Trèfle, à Curepipe, pour acheter un Tintin. Il veut avoir toute la collection des Tintin. Car il est trop génial Tintin, courageux, intelligent, perspicace, bref tout ce qu’il aimerait être. Et puis il y a le petit Milou, le meilleur ami de Tintin et qui a un goût prononcé pour l’alcool, ce qui le fait rire comme un petit fou. Et aussi Rastapopoulos et son énorme nez, La Castafiore et sa voix grinçante et l’inénarrable Tournesol, un doux dingue. Il aime les livres et il veut en avoir toujours plus. Il aime bien les admirer dans sa bibliothèque. Il aime aussi les compter.


Qu’ils sont beaux, qu’ils sont nombreux !


Quand il sera grand, il achètera des milliers, des millions de livres.


Lire, mais il n’a pas encore les mots pour le dire, c’est être comme dans une bulle, une grande bulle magique, un refuge, à vrai dire, vaste et magnifique, un refuge contre la peur, un refuge contre la nuit, un refuge contre la mort.


Et ce sera aussi, un jour, le lègue d’une mère, veuve trop jeune, de sa maman, sans doute son lègue le plus précieux, le plus essentiel.


Le deuxième cercle.


Le petit garçon a grandi, il est désormais un adolescent, toujours aussi timide. Il aime les filles mais il n’y comprend pas grand-chose. Et il lit désormais des livres un peu plus compliqués. Il adore les encyclopédies, il y apprend de nombreuses choses sur l’histoire de l’univers, des planètes, l’anatomie du corps humain ou les grandes découvertes. A vrai dire, tout l’intéresse, même l’histoire des mathématiques même s’il n’arrive pas à compter jusqu'à dix. Au collège il découvre la littérature, il a la chance d’avoir un bon prof, Monsieur Marion, qui le guide dans les arcanes des textes au programme. Ainsi en lisant Le Père Goriot il comprend les rouages tortueux de la société, la Peste lui apprend à réfléchir sur la question du Mal et Bajazet lui révèle la fascinante beauté de la poésie. Et il découvre surtout que le livre est un détonateur de pensées, de la dynamite qui a le pouvoir de susciter de nouvelles réflexions, de tout remettre en question mais plus encore il comprend les envoûtements de la littérature, qu’il y a une jouissance aux textes, il apprend à savourer les phrases ciselées de Camus, les descriptions hallucinantes de Balzac, la maîtrise poétique de Racine, il lui arrive désormais de lire à haute voix, très mal évidemment, les vers de racine, ainsi Phèdre, ‘ je le vis, je rougis, je palis a sa vue, un trouble s’éleva dans mon amé éperdue ‘. C’est tellement beau qu’il a envie parfois de pleurer. Le livre est donc indispensable, on ne peut, on ne doit s’en passer car la littérature réalise la parfaite complémentarité du cœur et de l’esprit car elle est œuvre de beauté, intense, majestueux et œuvre de liberté et de subversion. Il comprend aussi que les livres l’accompagneront toujours car il ne cessera de désirer la beauté et il ne cessera d’interroger le monde. Il n’ose pas encore écrire mais en lui s’est lovée, s’est incrustée une fascination qui, plus tard, explosera.


Le troisième cercle.


L’enfant est désormais un adulte et un beau jour alors, qu’il est étudiant à l’université, il tombe sur un recueil de poèmes qui va changer sa vie, Les Fleurs du Mal. D’ailleurs il se rendra une vingtaine d’années plus tard sur le tombeau de Baudelaire, au cimetière Montparnasse à Paris, pour lui rendre hommage. Ce livre est un choc, une révélation, non seulement parce que les poèmes sont éblouissants, et il n’aura cesse de les lire à haute voix, encore et encore, mais aussi parce qu’il a le sentiment de se reconnaitre, de se retrouver dans les textes. Comment donc est-ce que le poète est parvenu à pénétrer dans son cœur pour en extraire la moelle de ses émotions ? Curieuse alchimie de la littérature qui nous révèle à nous-mêmes, qui nous révèle notre part d’inconnu. Et Baudelaire va lui donner envie d’écrire, il sait désormais qu’il y a une expression possible à ce qu’il est. Mais il est encore trop tôt, l’écriture lui semble inaccessible, elle est réservée à d’autres mais il n’empêche que la flammèche est là, qu’elle vacille, et qu’au contact de la poésie de Baudelaire et d’autres bientôt elle s’embrasera. Entretemps il lit, il ne cesse de lire, il arpente avec rage les couloirs de la bibliothèque universitaire et il lit tout, tout sur tout, poésie, histoire de l’art, féminisme, romans de tous les continents, soufisme, cette soif semble insatiable, tant de découvertes, tant d’interrogations, il est comme un enfant égaré dans le labyrinthe du savoir, il en veut toujours plus.


Le quatrième cercle


D’où viennent les mots ?


Il ne le sait.


Parfois quand il fait nuit en lui, il griffonne sur la page, avec rapidité, ferveur, et s’élance un torrent de mots, d’une grande férocité, que rien n’arrête. Et puis il se relit, il n’arrive pas à comprendre ce qu’il fait.


D’où viennent les mots ? 


D’un lieu de fracture sans doute, fracture parce qu’un trop grand désir le soudoie, fracture parce qu’il est en quête d’absolu, fracture parce qu’il est saisi par la beauté stupéfiante du monde, fracture parce qu’il veut recréer la féerie des mots, celle aperçue ailleurs, fracture parce que ça remue fort, trop fort dans son cœur.


D’où viennent les mots ?


D’où viennent les mots ?


Et il écrit sans trop y croire, est-ce qu’il y croira un jour, est-ce qu’il y croit maintenant, probablement pas, mais il écrit et parfois il se surprend à envoyer son textes à des amis, qui lui disent que c’est pas mal et il se surprend à compiler ses poèmes pour en faire un recueil. Ecrire mais douter, est-ce qu’il parviendra un jour à dominer la langue qui vient d’ailleurs, est-ce qu’il parviendra à se recréer, à réinventer sa poésie et comment écrire quand on a pratique les grands écrivains, comment oser quand on sait les fulgurances de leurs œuvres ?


Comment écrire quand on doute ?


Et d’où viennent les mots ?


Il ne le sait pas. Mais il en a besoin. Et il écrit et il publie. A tort et à travers sans doute. Et l’aventure commence.


Le cinquième cercle.


Les années ont passé. Il n’est plus si jeune mais il est toujours aussi timide. Sa passion pour les livres s’est accrue, il est un grand malade de la lecture mais il aime bien sa maladie. C’est sans doute la seule maladie dont on ne veut pas guérir. Il a gagné en confiance, enfin pas tout à fait, mais il est parvenu à publier, des poèmes, des nouvelles. Et il veut repousser ses limites, aller plus loin, extraire plus profondément dans ses jointures d’autres mots, mieux les ciseler, leur accorder une plus grande force, une plus grande précision mais le doute demeure, d’où de longues d’absences, de longs silences.  Et il lui arrive parfois de s’interroger sur la part d’ombre du travail de l’écriture et si tout ça, au bout du compte, n’est que narcissisme, désir de paraitre, quête perverse du pouvoir ou l’envie sotte d’exister après la mort. Et si tout ça n’est, au fond, qu’un jeu dont l’objet fondamental est cette chose friable et légère, le goût. Il doute. Mais l’écriture est mêlée, s’y mêlent des fragments de lumière, des élans de cœur, de générosité à des fragments de pierre et de sang, de vanité et de tempêtes. Le plus important, sans doute, est de demeurer lucide. Entretemps l’aventure continue et continuera il l’espère, pour encore combien de temps, personne ne le sait mais il doit écrire, il ne peut faire autrement.


Il est arrivé au bout des cinq cercles.


Et au confluent de ces cinq cercles, de l’enfance à la vie d’adulte, il y a l’amour d’une mère qui n’est plus, une mère qui est inscrite dans le moindre de ses écrits.


Au commencement il y a une mère et un enfant.


A la fin, il y a une mère, qui n’est plus, et un adulte


Et un fil tendu, qui traverse le temps,

fait de livres et mots, par milliers, par millions,

fil qui tente de circonscrire la mort.

 


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