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Quand la route de la soie passe par Lille

Publié le 23 décembre 2010 par Savatier

 « Lille, capitale européenne de la culture », en 2004, n’était qu’une étape. Depuis lors, Lille3000 a pris le relai pour que cette ville en constante mutation poursuive son développement culturel, ouvert sur le monde et accessible au plus grand nombre. L’exposition La Route de la soie, organisée jusqu’au 16 janvier au Tri Postal, en offre un exemple saisissant.

Ce vaste bâtiment, qui doit son nom à son ancienne fonction, jouxte la gare de Lille-Flandres. Ce large espace de 5000 m2, réparti sur trois niveaux accueille actuellement une sélection de 60 œuvres de 29 artistes provenant de la célèbre collection privée Saatchi de Londres. Les salles, aux murs uniformément blancs, permettent une réelle mise en valeur des toiles, sculptures et installations réunies autour d’un thème, cette route de la soie qui, partant du Proche-Orient, aboutit aux rives de la mer de Chine. Il serait toutefois vain pour le visiteur de chercher un fil conducteur géographique : l’art sait s’affranchir des frontières. Voilà pourquoi une tête monumentale du Chinois Zhang Huan, Ash head n°1 (2007) voisine avec d’intéressantes accumulations d’ustensiles de la vie courante de l’Indien Subodh Gupta (Still steel et UFO, 2007) dans une totale harmonie.

Les œuvres exposées reflètent l’intense créativité contemporaine des pays émergeants, dont certains acteurs, trentenaires ou tout au plus quadragénaires, font déjà figure de valeurs sûres. Difficile de tous les citer ; pour autant, certaines œuvres exercent sur le public une attraction évidente et suscitent la réflexion. Ainsi en est-il des maquettes du Palestinien Wafa Hourani qui représentent d’assez effrayantes visions du futur urbain d’un territoire séparé de son voisin israélien par le mur de béton que l’on connaît, ou des toiles de l’Irakien Ahmed Alsoudani, Bagdad I et II (2008), dont la composition n’est pas sans rappeler Guernica de Picasso sur la thématique identique des victimes civiles de la guerre.

Tout aussi saisissantes sont deux séries de figures féminines : Life Everyday Series (2000-2001) de la photographe iranienne Shadi Ghadirian, représentant des silhouettes de femmes portant le voile intégral, dont le visage est recouvert d’objets ménagers (fer à repasser, râpe, balais, etc.) et Tehran Prostitutes, d’une autre artiste iranienne, Shirin Fahkim, qui met en scène des poupées de chiffon de taille humaine (on pense irrésistiblement aux poupées de Hans Bellmer) illustrant le tabou de la prostitution dans son pays.

On notera encore, du Libanais Marwan Rechmaoui, Beirut Caoutchouc, une maquette détaillée de la capitale libanaise, et de l’Irakienne Havy Kahraman, plusieurs toiles (2008) aussi élégantes que des portraits de Léonor Fini, montrant des femmes sacrifiant un mouton – une tâche traditionnellement réservée aux hommes.

Plusieurs installations justifieraient à elles seules une visite, comme Old Persons Home (2007) des Chinois Sun Yuan et Peng Yu : une dizaine de vieillards particulièrement réalistes, chacun assis dans un fauteuil roulant  en mouvement, supposés avoir été d’anciens hommes de pouvoir réduits ici à jouer involontairement aux autos-tamponneuses au gré de la trajectoire de leurs sièges dans un vaste espace dédié où déambulent les visiteurs. Citons encore le superbe et inquiétant Ghost (2007) – de Kader Attia, artiste français d’origine algérienne – une réunion de 560 femmes en prière dont les voiles d’aluminium ne sont en fait que des « coquilles vides » ainsi que Chinese Offspring (2003-2005), de Zhang Dali, plusieurs personnages pendus au plafond, la tête en bas, figurant pour l’artiste le prolétariat issu de l’exode rural chinois.

Conflits, oppression des femmes, surconsommation, folie religieuse, sexualité, vanité du pouvoir, déshumanisation, tels sont les thèmes majeurs des œuvres exposées, particulièrement en phase avec l’époque contemporaine. L’humour n’est toutefois pas absent, comme dans ce Portrait of Mao (2007) de Qiu Jie, nous montrant un chat en costume réglementaire qui nous rappelle, incidemment, que mao signifie « chat » dans l’Empire du Milieu.

Il est intéressant de saluer ici la collaboration entre une grande collection privée et la ville de Lille, qui permet au public de découvrir des œuvres qui lui seraient, sans cela, inaccessibles. On peut, bien sûr, le regretter et penser qu’une structure publique devrait en priorité promouvoir les collections de l’Etat ou des régions ; mais ce serait là provoquer une querelle de Gascons : l’accès à l’art ne saurait se passer des grands collectionneurs privés et le piteux accueil réservé au projet de François Pinault dans l’Ile Seguin, qui s’est soldé par un transfert de sa riche collection au Palazzo Grassi de Venise, devrait faire réfléchir les plus réticents.

Illustrations : Affiche de l’exposition - Shirin Fahkim, “Tehran Prostitutes” - Shadi Ghadirian, “Life Everyday Series” - Kader Attia, “Ghost” - Ahmed Alsoudani, “Bagdad II” - Photos T. Savatier.  


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