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Sous le pavé

Publié le 29 décembre 2010 par Ruminances

Posté par Rémi Begouen le 29 décembre 2010

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Bienvenue sous Le Pavé… (la page !) Daniel Mermet a eu la bonne idée de rediffuser le 28 décembre une émission de ‘Là-bas s’y j’y suis’ du 23 juin 2010 (que j’avais loupée). Consacrée à Frank Lepage, auteur de ‘conférences gesticulées’ c'est-à-dire de ‘spectacles culturels’ très anticonformistes et drôles. Créateur surtout, avec ses potes, d’une ‘entreprise’ très originale nommée ‘Le Pavé’.

L’entretien commence par l’aventure d’une visite à une très très vieille dame, (aujourd'hui décédée), Christiane Faure, qui fut pionnière des activités de ‘l'Éducation Populaire’ dès la Libération… Les vieux Français se souviennent (par eux-mêmes ou par leurs parents) des bienfaits de ces initiatives si diverses, soutenues (encadrées pas toujours) par le PCF de l’époque (sa ‘grande époque’). C’est pourquoi, le retour de De Gaulle au pouvoir (1958) sonna le déclin définitif de ce style d’activités, au profit bientôt (61) d’un premier ‘Ministère de la Culture’, avec son grandiloquent André Malraux à sa tête…

C’était le tout premier du genre dans les démocraties (il y en a maintenant partout) : les premiers ministères ‘équivalents’ furent des créations de Mussolini, Hitler, Staline : précédents redoutables !

L’on fit donc ‘bien mieux’ en France, avec beaucoup de bas et de hauts. En ‘haut’, ‘L'éducation Populaire’ eut encore de l’influence via les MJC, ces Maisons de Jeunes et de la Culture, jusque vers 1981. Avec Mitterrand et son grandiloquent Jack Lang, ce fut la fin.

‘La Culture’ devenait élitiste, du genre ‘l’élite culturelle daigne s’adresser aux masses incultes’ : fini la culture paysanne, ouvrière, artisanale, qui ne sont que vieilleries obscurantistes, voici l’Art Conceptuel, non mais !

– Il est vrai que le Jack inventa pourtant ‘La Fête de la Musique’, qui fut d’abord à peu près de création populaire : mais on sait que c’est désormais une institution (municipale ou commerciale) dont sont presque exclus les petits amateurs festifs comme vous et moi… Quant à l’institution ‘France-Culture’, elle ne mérite pas son surnom de France-Q, d’accord, mais elle est souvent odieuse de prétention élitiste, tout comme la ‘Culture du Q’ qui s’étale commercialement partout : Konsommez la ‘Kultur Q’

Frank Lepage, adepte du vol delta, parle ainsi de son ascension dans une bulle d’air chaud. ‘Je ne peux rattraper celui qui est déjà bien plus haut : à l’image du prolo qui se cultive sans rattraper le niveau du bourge déjà bien plus cultivé. Sauf exception géniale. Et l’air chaud ne se mélange pas à l’air froid pour donner de l’air tiède, mais le contact provoque l’orage : métaphore des luttes de classes !’… Bref, c’est jubilatoire, éclairant. Sérieux aussi, à propos de la ‘xyloglotte’, ou ‘langue de bois’ – dont voici un aperçu, venant du dictionnaire de la dite langue :

CULTURE :

Pourquoi ce mot connaît il depuis trente ans un succès tel que même le sport éprouve le besoin de justifier qu’il est aussi une pratique « culturelle » ?

Grâce à l’école, le capitalisme déguise son exploitation en faisant croire que chacun est responsable de sa place dans l’échelle sociale, et des efforts qu’il a mis à se cultiver. Si l’on est OS à la chaîne, c’est par paresse intellectuelle, nous avions les mêmes chances au départ ! Grâce à l’école, la culture est une machine à classer les gens en les faisant se sentir coupables.

Depuis trente ans, la référence au « culturel » sert à effacer, détruire, et remplacer la référence au « politique ». Par exemple, si l’excision est condamnable d’un point de vue politique (qui consiste à préférer des valeurs telles que l’égalité de l’homme et de la femme), on nous apprend qu’elle est éminemment respectable en tant que « pratique culturelle ». On n’a rien à dire de la « culture » des autres, parce que la culture est sacrée. C’est d’ailleurs à cela que sert cette nouvelle religion : que l’on ne puisse plus rien dire !

Avec la culture, tout se vaut Pire encore : en ramenant discrètement la question de la culture à celle de l’artiste, les socialistes au pouvoir des 1981 consacrent la figure managériale du travailleur nouveau : créateur, producteur indépendant, autonome, ludique, inventif, non-revendicatif, férocement individualiste…

A la place du militant politique, collectif, poussif et besogneux des années 70, le pouvoir encourage l’artiste, non pas celui qui voudrait délivrer un message (quelle horreur), mais celui qui exprime un narcissisme chahuteur, adolescent, provocateur et rigolo,celui qui exprime le vide, le rien, la dérision de toutes les idées et de toutes les utopies, la moquerie du politique et des valeurs. On encourage l’imaginaire à condition qu’il ne mène vers aucune vision politique.

On ne doit plus croire en rien car c’est ringard. On doit jouir de la crise et de la mondialisation qui est une chance pour l’homme, enfin seul, débarrassé des pesants collectifs. Il n’y a plus d’emploi dans les banlieues, mais il y a l’art et la création. Que les enfants des immigrés dansent du hip-hop, cela convient au pouvoir : pendant qu’ils deviendront des « créateurs », ils ne feront pas de syndicalisme.

Comme le disait Malraux en 1961 en inaugurant la première Maison de la Culture à Bourges : « Nous allons enfin savoir ce qui peut être autre que le politique dans l’ordre de l’esprit humain »….Eh bien voilà qui est fait ! En 1968, Francis Janson, quant à lui, proposait d’appeler Culture ce qui permet de se choisir politiquement…mais il est vrai que c’était en 1968 !


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