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Résignez vous !

Publié le 03 janvier 2011 par Vogelsong @Vogelsong

“Créer c’est résister. Résister c’est créer” – S. Hessel

La saison est ouverte. Sur un tir nourri de toutes parts ciblant l’ouvrage de S. Hessel titré “Indignez vous !”. Ce ne sont pas 450 pages programmatiques commises par un penseur comme l’élite politique nous en prodigue depuis plus de 30 ans (avec les résultats que l’on sait). Comportant des idées modernes (surtout), un plan de bataille pour faire gagner la France (ce pays de râleurs) dans la mondialisation heureuse. Non. Au contraire. S. Hessel a l’outrecuidance de ne rien proposer (quoi que). 27 pages d’indignation qui mettent en émoi la fine fleur du cénacle de la raison. En particulier E. Le Boucher (plutôt amateur de N. Baverez) qui qualifiera les combats de S. Hessel de « moulins à vent », ou de C. Askolovitch qui affublera le contenu du livre de “brouet”. Avec l’opuscule de S. Hessel, nous assistons à la révélation puis l’autopsie d’une caste d’omniprésents s’adonnant au marketing de la pensée flasque. Une tournure d’esprit qui encombre le débat public depuis trop longtemps avec ses certitudes sur ce qu’il faut dire et imaginer. Une approche qui canalise la politique dans l’étroitesse du libéralisme économique (de gauche ou de droite). Qui, sous des atours pragmatiques et volontaristes distillent à flux constant ce qui a finalement aboutit au Sarkozysme : La résignation.

Résignez vous !On fait dire beaucoup de choses à S. Hessel. On lui fait surtout dire ce qu’il ne dit pas. Au crépuscule de sa vie (étourdissante), l’homme propose de rallumer la flamme de l’indignation. Et loin de ne servir qu’à s’apitoyer comme veulent bien le penser ses détracteurs, elle est selon lui le détonateur de l’implication et de l’action. Pour S. Hessel, l’indignation c’est l’ignition de l’engagement et de la responsabilité personnelle dans la société. Il souhaite “qu’à tous, à chacun d’entre vous, d’avoir votre motif d’indignation. C’est précieux. Quand quelque chose vous indigne comme j’ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé”. Une ode au militantisme et aux convictions. Dans un pays où les classes populaires ne votent plus, où la moitié du corps électoral se contrefiche des scrutins. S. Hessel propose simplement et humblement de se saisir des sujets forts, de s’impliquer pour agir. Par l’indignation, il invite le citoyen à franchir la première étape de l’engagement. Face au “je m’en fichisme” du consommateur pâteux à l’opinion tempérée. Il ouvre cette alternative de la prise de conscience. Sans être sûr d’y parvenir à chaque fois. Car au détour d’un combat, d’une lutte, d’un dégoût, il peut y avoir une révélation du monde. Une révélation crue qui mène à l’activisme pour changer ce qui ne doit pas l’être. Au lieu de rester sagement spectateur d’un monde qui déraille.

Mais le militant est honnis, trop subjectif et souvent trop à gauche. En tout cas turbulent. Un militant même s’il change de camp, assomme par sa subjectivité, s’implique durablement dans la chose publique. A-t-on déjà vu les militants, activistes, sympathisants déserter en masse le débat pour des futilités ? Les a-t-on déjà vus se détourner des urnes ? Ceux qui agissent ainsi sont les consommateurs de la démocratie voguant au gré des seules promesses et des déceptions. En somme S. Hessel suppose qu’un citoyen indigné peut devenir un citoyen engagé. Passant par exemple du féminisme à l’antiracisme, du soutien aux sans papiers aux luttes contre le mal-logement. En somme, de croire qu’il est possible de faire. Mais semer la graine de la révolte face à l’inadmissible serait-il trop dangereux ?

Dans le maintien de l’ordre, E. Le Boucher, comme C. Askolovitch (archétypes non exclusifs) sont les sous-officiers d’un immobilisme, en première ligne de la démotivation et du désarmement des troupes. Qui assènent leurs directives en surplomb du monde réel. Quand S. Hessel propose une lecture de classes, C. Askolovitch* rétorque comportements individuels. Quand S. Hessel évoque les systèmes et structures, C. Askolovitch se réfugie derrière l’atomicité des comportements humains. Croyant annihiler la question il l’esquive à peine. Se détournant de la problématique du changement réel et historique, pour se cantonner en bon libéral aux Hommes et leurs petites turpitudes. Mais surtout pour marteler l’impossibilité de la remise en cause des grands équilibres et de leurs immanentes conséquences : inégalités croissantes, xénophobie entretenue, domination oligarchique. L’éditorialiste du Journal du Dimanche se tourne en conclusion vers D. Strauss-Khan. Technocrate froid, gestionnaire orthodoxe des chaos du monde. Qui face à l’indignation de S. Hessel constitue une solution proprette dans l’évitement du débat sur une possible (même mineure) transformation sociale.

Loin du simplisme prétendu, l’opuscule de S.Hessel touche au point crucial du débat politique. Le constat que ce qui est n’est pas conforme à l’idée de progrès. Il est perçu comme fariboles utopistes par l’intelligentsia hexagonale. Pour laquelle les acquis sociaux pour le plus grand nombre ne font plus partie des priorités. La sarabande de sachants relègue ce type d’ouvrage hors du champ du possible. Les inégalités et injustices constituent le produit du système dont ils font partie, dont ils sont les bénéficiaires et qu’il ne faut pas modifier. Pour certains il peut s’agir au mieux d’un fond de commerce misérabiliste pour remplir des feuilles de choux. Pour d’autres, il est préférable de garder l’indignation sous l’éteignoir, pour ne pas risquer la propagation. Et on préférera une commisération plus contemplative (et télévisuelle). Bien moins subversive. Typique, E. Le Boucher reprend le couplet libéral sur la richesse du monde, un classique qui l’exonère (et par là même les plus opulents) du délicat problème de la répartition. Un évitement plus qu’une réponse. Encore.

L’ouvrage se vend à des centaines de milliers d’exemplaires, dans une France refroidie par la déroute sur la contreréforme des retraites, tétanisée par une opposition toujours plus inefficace, assommés par le story-telling gouvernemental. Etrangement et toutes tendances confondues (des féministes aux militants sarkoziens), il est de bon ton et prétendument salutaire de tomber à bras raccourcis sur ce “phénomène marketing gauchisant”. Attribuant cette subite montée de fièvre aux délires d’un birbe donneur de leçons dont le seul programme serait la réactivation du CNR de 1944. Un salmigondis d’acquis sociaux archaïques qui ne font pas un projet…

Alors que, par exemple, l’éducation est un sujet prioritaire, tout le monde en convient. L’abandon du système éducatif depuis l’avènement de N. Sarkozy est patent. Les parents assistent inertes à la baisse des effectifs d’encadrement, au transfert de fonds publics vers l’éducation privée, à la baisse générale des moyens mis en oeuvre pour instruire leurs enfants. S. Hessel lui, s’indigne. Et soutient publiquement les professeurs-désobeisseurs dans leur mobilisation contre ce qu’ils pensent être une régression. Une attitude ringarde et passéiste pour les visionnaires comme E. Le Boucher ou C. Askolovitch. Eux préfèrent le citoyen tempéré, détaché, désaffecté qui accorde plus d’intérêt à la page faits divers de son canard local, qu’aux discriminations de classes produites par le système économique. Un citoyen qui face à la domination et au déclassement choisira la solution placide de l’attentisme et de l’homme providentiel. Un choix, de raison dont on subodore le slogan pour un monde meilleur : Résignez vous !

*C. Askolovitch ne semble par croire aux rapports de classe, concept crypto-marxisant (donc désuet). Il devrait comparer sa feuille de salaire avec une caissière de la grande distribution. Pour ressentir.

Vogelsong – 2 janvier 2011 – Les Comtes

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