Magazine Culture

AGORIA raconte Détroit

Publié le 05 janvier 2011 par Betcmusic @betcmusic

AGORIA

Agoria écrit un article pour le magazine allemand Groove suite à son voyage/set pour le Movement festival à Détroit. Il relaie son récit sur Betc Music.

Détroit est sans aucun doute la ville qui aura accueilli l’un des meilleurs line-up de l’année à l’ occasion du Movement festival, anciennement DEMF. L’occasion pour ma deuxième venue de poser mes valises une semaine dans la ville qui a enfanté la Motown.Symbole de la crise financière et automobile actuelle des Etats Unis, la Motor city qui abrite toujours le siège social de General Motors a vu sa population passée de 2 millions d’habitants à 600 000 en moins de dix ans et c’est avec en tête l’image d’une ville laissée à l’abandon que j’atterris à Detroit.

La carte postale d’une ville désertée se vérifie dès mon arrivée. Des grandes avenues où les moteurs ont désertés le bitume, des hôtels de luxe qui n’ont qu’une poignée de clients, des trottoirs sans piétons, des employés qui partent travailler le matin sans savoir si leur patron leur donnera du travail le jour même, des magasins transformés en squat, rien n’indique un sursaut d’activité. Et même la file des voitures au passage douanier entre le Canada et les Etats unis à l’heure de pointe se résume à une seule voiture, la mienne, contre “des centaines deux ans plus tôt” me confirmera Renaldo, le gérant du Boom Boom Room qui vit à la frontière canadienne au Windsor. C’est un dimanche comme un autre à Detroit où les festivités n’ont pas commencer. En apparence.

Le lendemain, je retrouve Carl Craig au studio Planet E qui après m’avoir fait écouter quelques excitantes prochaines sorties comme un nouveau Red Planet par Mad Mike ou encore son projet “No Bundaries”, propose de me conduire à la mairie de détroit pour assister à l’ “entertainment council”. Un conseil tenu par l’assistant au maire Gregory Reed où Carl siège avec une dizaine d’autres acteurs culturels locaux. Une sorte d’état major de la culture où il est question de toutes sortes de manifestations culturelles, et surtout d’initiatives personnelles. Tracey, une habitante de Detroit, y expose par exemple la création de son show tv où elle offre une chance aux jeunes artistes hip hop de s’y produire à condition d’avoir des lyrics positifs dans leurs morceaux. Cornelius d’Underground Resistance  pointe le fait que les habitants de Detroit délocalisent de plus en plus leurs entreprises dans les villes adjacentes pour payer moins d’impôts qu’ à détroit. (Histoire de solliciter une imposition plus légère). Carl y présente le programme d’éducation qu’il a initié à Detroit Art School avec sa fondation: une semaine de conférences et lectures autour de la musique électronique. Autant d’initiatives personnelles louables et surtout constructives qui ont évidemment pour but de maintenir l’étincelle créatrice à Détroit. En fin de conseil, le secrétaire au budget de la ville prend la parole pour  annoncer une “bonne nouvelle “:  la ville allouera un budget annuel de 27 000$ pour tous les événements culturels soutenus par le conseil. Autant dire une somme anecdotique qui correspondrait au budget d’un comité des fêtes d’un village de 5000 habitants. Une annonce quelque peu surréaliste mais accueilli sous les applaudissements, l’année en cours n’ayant bénéficié d’aucune aide financière…

Melissa, qui avec son mari David attendent depuis 9 mois sa licence pour ouvrir son wine shop (alors que l’état du michigan vient de dépénaliser la marijuana,  où les publicités dans les journaux  du genre “marijuana for éducation” sont  légions, il semble impossible d’ouvrir un commerce à vin), me confirme que Detroit est devenu pour elle une sorte de village où la population quelque peu hardcore n’en est pas moins sincère, vraie et fraternelle. Pleine d’énergie et malgré les idées reçues plutôt good spirit, la population se prend en main, délaissée par un pouvoir politique sans ressources. Les lois en place comme la fermeture des clubs et bar à 2h du matin servent insidieusement cette dynamique. Il est bien connu que l’interdit est souvent source d inspiration et de motivation, ainsi Détroit voit apparaitre l’émergence d’une nouvelle scène et des soirées illégales ont lieu chaque semaine favorisant l’arrivée des nouveaux talent comme Kyle Hall. Cette nouvelle génération, je l’ai peut être aussi rencontré sans le savoir à Detroit Art School. Durant une semaine, les figures pionnières et emblématiques de la scène, comme Juan Atkins, Derrick May, Kevin Saunderson, Mad Mike, Carl Craig vont ainsi présenter à une audience âgée de 15 à 18 ans les techniques de production de la musique électronique, des notions de Music Theory ou encore l’influence que la musique de Detroit a eu en Europe. Je suis ainsi convié à participer au débat et prend place à côté de mes illustres collègues. Quelques fous rires partagés lorsque je m’essaie à parler dans un slang de Detroit  “What up do”,  “Fo Sho”,… vont vite dissiper les regards douteux d’une assistance juvénile exclusivement noire (nous sommes dans une école publique) sur le blanc bec venu d’Europe raconter son amour pour Detroit. Le jam de mon ami Francesco Tristano aura aussi marqué les esprits le lendemain. Il aura peut être susité quelques nouvelles passions , et aura sans aucun doute changé d’un quotidien bien terne. Car lorsque Derrick May demande aux étudiants quelle image à d’après eux Detroit en Europe, leurs réponses sont cinglantes: “dirty”, “unsafe”, “bad”, “ghetto”. On ne peut pas leur donner tord même si je suis surpris qu’ absolument aucun étudiant n’ait eu une image positive.

Des rencontres et des attitudes positives, j’en aurai pourtant fait et vu toute la semaine, une semaine particulière certes, en décalage, et qui me laisse penser que le Movement festival a une utilité bien au delà du simple aspect artistique et commercial.  L’anniversaire surprise organisé par Hagi pour son mari Carl Craig où de nombreux artistes locaux se sont retrouvés , la mise en avant de l’extraordinaire projet artistique de Tyree en plein ghetto, la diffusion de quelques films retraçant l’historique de la techno et notamment le portrait de Mojo (animateur radio qui pourrait partager sans rougir avec Kraftwerk  le premier chapitre d’un  livre consacré aux racines de la culture électronique), et surtout la communion des festivaliers de Detroit au moment de cloturer le festival sur le live de Model 500, sont autant d’exemples d’un sens du partage. Fraternel, ludique et éducatif.

Chaque participant est reparti avec son expérience, son souvenir, peu importe que ricardo vilallobos n’ait pas eu son visa, de savoir lequel des cinq sets de richie hawtin aura été le plus funky, que j’ai joué sous une grosse averse  devant un public heureux, que les claviers de Francesco Tristano ne fonctionnaient plus ou que notamment Moritz Von Oswald et Kenny Larkin aient fait un live brillant, et même que le public ait été très motivé toute la semaine. L’important est ailleurs, sur la capacité qu’ à Detroit de générer et de perpétuer une tradition, une magie; un parfum mystique régnant au dessus de la ville. Le genre de parfum qui conduit quelques artistes réunis atour d’une passion (Mark Ernestus, Mirko Loco, Carl Craig, Francesco Tristano et moi même) à s’enfoncer dans Detroit à la recherche d’un restaurant libanais s’exerçant au “what up do ?”. C’est ainsi, un peu hors du temps, à l’abri du mouvement, que les meilleurs classiques se feront encore ici demain.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Betcmusic 103053 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines