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fatum

Publié le 06 janvier 2011 par Hoplite

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« (...) Je suis chaque jour plus convaincu qu'en ce moment nous assistons à un changement dans l'histoire dont l'ampleur égale celle de la chute de Rome, l'avènement de l'Islam ou la découverte des Amériques. Quand les peuples d'Asie et d'Afrique envahirent l'Europe, ce n'était pas de l'impérialisme ; lorsque l'Europe attaqua l'Asie et l'Afrique, ce fut de l'impérialisme. Cette notion nouvelle eut un double usage -pour nourrir le ressentiment d'un côté, la culpabilité de l'autre. L'Occident, certainement à cause de son héritage judéo-chrétien, a une longue tradition de culpabilité et d'auto flagellation. Impérialisme, sexisme, racisme sont autant de termes forgés par l'Occident, non pas du fait que l'Occident aurait inventé ce que nous avons en commun d'héritage humain, et peut-être animal, mais parce que, le premier, il les a identifiés, nommés, condamnés et combattus avec un succès relatif.

Une approche frappante de l'approche contemporaine de cette guerre de quatorze siècles a été donnée le 8 octobre 2002, par le premier ministre français de l'époque, Jean-pierre Raffarin, dans son discours sur l'Irak à l'assemblée nationale. Evoquant devant les députés la figure de Saddam Hussein, il releva qu'un des personnages historiques favoris de Saddam Hussein était son compatriote Saladin, lui aussi originaire de la ville de Tikrit. Au cas ou les députés auraient ignoré qui était Saladin, Jean-pierre Raffarin tînt à préciser qu'il fut celui « qui défit les croisés et libéra Jérusalem ». Qu'un premier ministre catholique présente la prise de Jérusalem par Saladin comme une libération de la domination des croisés, français de surcroît pour la plupart, témoigne d'un cas extrême de nouvel alignement, sinon des loyautés, du moins des perceptions des choses.

Où en est l'Europe ? Aura-t-elle de la chance une troisième fois ? Les musulmans ont en apparence des avantages : ferveur, conviction, ce qui, dans la plupart des pays occidentaux, soit manque, soit est de faible intensité. Ils sont assurés de la certitude de leur cause, là ou les Occidentaux, la plupart du temps, se dénigrent ou s'abaissent. Les musulmans déploient loyauté et discipline, mais l'élément qui joue le plus en leur faveur est la démographie. L'accroissement naturel et les mouvements migratoires entraînent de profondes modifications des populations : il se pourrait que dans un avenir envisageable des musulmans soient majoritaires dans quelques villes européennes, du moins sinon dans quelques pays. Sadiq al-Azm, philosophe syrien, fait remarquer que la question pendante est celle de savoir si c'est l'Europe qui sera islamisée ou l'islam qui s'européanisera. La formulation est pertinente, et grandes sont les conséquences de la réponse qui sera apportée. »

Bernard Lewis, L'Europe et l'Islam, Le débat, mai 2008.

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 « Mise au tombeau de notre destinée ? En dépit d’apparences sinistres, mon intime conviction me conduit à rectifier aussitôt cette pensée. Tout ce que l’étude historique m’a appris, ce que je sais aussi des trésors d’énergie masqués, m’incitent à penser que l’Europe, en tant que communauté millénaire de peuples, de culture et de civilisation, n’est pas morte, bien qu’elle ait semblé se suicider. Blessée au coeur entre 1914 et 1945 par les dévastations d’une nouvelle guerre de Trente Ans, puis par sa soumission aux utopies et aux systèmes des vainqueurs, elle est entrée en dormition.

Bien des fois dans ses écrits, Jünger a fait allusion au destin comme à une évidence se passant d’explication, ainsi que d’autres évoquent Allah, Dieu, la Providence ou l’Histoire. (…)

Dans l’Iliade, Homère dit que les Dieux, eux-mêmes, sont soumis au Destin. L’épisode est conté au chant XXII lorsqu’il s’agit de trancher du sort d’Hector face au glaive d’Achille. Le Destin figure ici les forces mystérieuses qui s’imposent aux hommes et même aux dieux, sans que la raison humaine puisse les expliquer. Ce n’est pas la Providence des chrétiens, puisque celle-ci résulte d’un plan divin qui se veut intelligible, au moins pour l’Eglise. C’est en revanche, un autre nom pour la fatalité. Pour répondre à cette dernière, les stoïciens et, de façon différente Nietzsche, parlent d’amor fati, l’amour du destin, l’approbation de ce qui est, parce qu’on a pas le choix, rien d’autre en dehors du réel. Approbation contestée par toute une part de la tradition Européenne qui, depuis l’Iliade, a magnifié le refus de la fatalité. Citons le fragment du chant XXII qui suit la décision des Dieux. Poursuivi par Achille, Hector se sent soudain abandonné : « Hélas, point de doute, les Dieux m’appellent à la mort. Et voici maintenant le Destin qui me tient. Eh bien non, je n’entends pas mourir sans lutte ni gloire. Il dit et il tire le glaive aigu pendu à son flanc, le glaive grand et fort ; puis, se ramassant, il prend son élan tel l’aigle de haut vol qui s’en va vers la plaine. Tel s’élance Hector. »

L’essentiel est dit. Hector est l’incarnation du courage tragique, d’une insurrection contre l’arrêt du Destin qu’il sait pourtant inexorable. Tout est perdu mais au moins peut-il combattre et mourir en beauté.

(…) Et le lecteur méditatif songera que la tentation est forte, pour l’Européen lucide de se réfugier dans la posture de l’anarque. Ayant été privé de son rôle d’acteur historique, il s’est replié sur la position du spectateur froid et distancié. L’allégorie est limpide. L’immense catastrophe des deux guerres mondiales a rejeté les Européens hors de l’histoire pour plusieurs générations. Les excès de la brutalité les ont brisés pour longtemps. Comme les Achéens après la guerre de Troie, un certain nihilisme de la volonté, grandeur et malédiction des Européens, les a fait entrer en dormition. A la façon d’Ulysse, il leur faudra longtemps naviguer, souffrir et beaucoup apprendre avant de reconquérir leur patrie perdue, celle de leur âme et de leur tradition. »

Dominique Venner, Ernst Jünger, Un autre destin européen, 2009.


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