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Le cyborg est l’avenir de l’homme

Publié le 07 janvier 2011 par Ruddy V / Ernst Calafol

Le cyborg est l’avenir de l’hommeNos contemporains semblent souhaiter l’avènement d’une humanité génétiquement modifiée. Le malheur est qu’ils militent pour elle avec pléthore de bons sentiments. Sans avoir conscience des questions décisives que cela met en jeu.

Dans un numéro du magazine littéraire Transfuge, de septembre 2010, l’écrivain Valentin Retz est questionné sur les périls qui menacent l’humanité actuelle. « Les temps, tels qu’ils se déploient aujourd’hui, vont vers une catastrophe », estime-t-il. Laquelle ? « La tendance la plus alarmante porte sur la  convergence de ces deux sciences que sont la génétique et la cybernétique. On se dirige à grand pas vers une interopérabilité des systèmes et je ne vois pas ce qui empêchera la modification d’êtres humains génétiquement modifiés en vue de cette intégration de l’homme à la machine. Lorsque l’on aura atteint ce point, on pourra dire que le vieil homme aura été exterminé. »

On peut partager ou non ce pronostic, d’autant que Valentin Retz précise qu’il est toujours hasardeux de « faire des prédictions ». Il n’en demeure pas moins vrai qu’on peut déjà voir se préciser cette menace, dans les faits et gestes les plus quotidiens. Et constater la lente mais sûre marche de l’homme vers le cyborg, ou du moins vers un corps de plus en plus intimement assisté par la technique.

Le progrès n’est pas toujours un progrès

On peut rappeler quelques exemples évidents : les lunettes devenues lentilles de contacts, jusqu’à la chirurgie laser pour corriger la myopie. Les téléphones, devenus téléphones mobiles, et maintenant plateformes internet transportables. En attendant, n’en doutons pas, l’implant qui nous maintiendra connecté à tel ou tel réseau, telle longueur d’onde, etc.

Pour justifier ces progrès, les motifs d’action sont toujours louables : on nous dit que les gens communiqueront mieux, verront mieux. On peut espérer que, d’ici quelques dizaines d’années, la myopie soit éradiquée. Bon. Et puis quoi ? Cela n’augmentera pas le bonheur sur terre, on le sait. Pourtant, aujourd’hui, tout le monde préfère croire aux « miracles » de la technique, aux petits perfectionnements ponctuels qu’elle permet, aux corps modifiés de demain plutôt que de continuer de stagner dans des corps humains, trop humains, désespérément vieillissant. Des corps qui ont mis des millions d’années à se perfectionner, mais dont on se contente de moins en moins.

La science peut-elle « aider la nature » ?

Autre exemple éclairant, la chirurgie esthétique. Encore une fois, les motifs d’action sont difficilement critiquables : il faut être beau ou belle, correspondre aux canons de l’époque, être bien dans sa peau, lutter contre la vieillesse, aimer son corps. Qui oserait élever la voix contre de si louables intentions ? Sur un blog, j’ai pu prélever ces commentaires d’une internaute qui défendait l’utilisation de certains produits aidant à faire disparaître les rides :

« Il existe un moyen de comblement des rides sans figer le visage, le comblement à l’acide hyaluronique (juvederm, retsylane). La technique de mise en place est la même que pour le botox, c’est-à-dire par injection. L’acide hyaluronique étant naturellement présent dans la peau c’est une sorte d’aide à la nature pour repulper. L’avantage c’est que la plupart des dermatos en font (et qui mieux que nos dermatos pour s’occuper de notre visage) et qu’il n’y a pas de risque de surdosage et d’effet paralysé comme avec le botox. »

A la remarque d’un internaute remettant en cause l’utilisation de ces produits sensés ralentir la vieillesse, la même répond :

« Toute personne a le droit d’évoluer avec la société (et les progrès de la science). En ce qui concerne le fait que je me fasse avoir par le mainstream, difficile de le montrer ici mais je suis tout sauf une suiveuse, mon credo étant souvent de détester ce que les autres aiment en masse. »

Le bonheur est dans la piqûre

On notera la persistance des motifs bienpensants, en vertu desquelles se chirurgier esthétiquement a à voir avec un « droit à l’évolution » et un « droit de profiter des progrès techniques ». Nobles causes, dont tout indique pourtant qu’il n’est absolument pas nécessaire de les défendre, ni même de les rappeler, tant le monde s’y adonne avec gourmandise. Mais c’est l’une des constantes de notre temps de militer énormément pour des combats déjà gagnés – résultat logique d’une mauvaise conscience née à l’endroit de ces victoires tout à fait discutables (culte de la technique, jeunisme, déni de vieillesse, culture du « plaisir » et de « l’épanouissement », en réalité culture de mort souriante et sympa – voir, par exemple, le début de « La raison dans la philosophie » dans le Crépuscule des Idoles de Nietzsche concernant les coulisses de la haine du changement).

Cette internaute dit par ailleurs ne pas appartenir au « mainstream ». Elle récite pourtant, strictement, peut-être inconsciemment, le catéchisme positiviste de l’époque : la science se rapproche, petit à petit, du « naturel » ; elle constitue une « aide à la nature » ; elle utilise également, comme par hasard, le mot « credo ». Ne nous y trompons pas : il s’agit bien de foi ici, aucunement de sage hédonisme ou d’un recours à la technique qui serait mûr et réfléchi, conscient des enjeux réels. On notera, de ce point de vue, la position de  soumission assumée envers la personne du « dermato » (comme quoi, le prestige de l’uniforme, pour ne pas dire de la soutane, existe toujours, même s’il a changé de camp – comment aussi, ne pas rappeler ce qu’a permis, en Europe, un respect excessif envers l’uniforme ?…). C’est seulement aujourd’hui, au sein d’une culture qui a décidé que l’on pouvait s’adonner à tout sans mauvaise conscience, du moment que c’est moral, normal, c’est-à-dire que  cela « améliore notre bien-être immédiat », que l’on peut tomber dans les plus dangereux des pièges avec autant de naturel, en gardant le sourire et en revendiquant nos multiples droit à ceci et à cela.

A quoi bon des artistes en temps de bonheur dosable ?

L’utilisation du mot « surdose » par notre internaute a également quelque chose de savoureux : si avoir des rides provoque une souffrance morale, et que cette souffrance est guérissable par l’injection d’une certaine « dose » de produit, cela suppose qu’il existe un dosage de la souffrance psychologique humaine – enfin ! On arrange, ou plutôt, on « aide » la nature (quel assemblage de mots saugrenu ; comment croirions-nous pouvoir aider ce qui, par définition, nous tient sous son aile ? Fantasme incestueux intéressant de fécondation de sa propre mère) ; on corrige le corps ; on colmate le pêché originel ; on néantise la différence sexuelle. Tout cela dessine un drôle d’anti-catholicisme primaire, comme si notre génération s’appliquait à ne surtout pas commettre les mêmes erreurs que ses géniteurs. En réalité, comme chaque nouvelle génération, loin de corriger les erreurs déjà commises, loin d’en tirer des leçons, la nôtre évolue dans de nouvelles manières de les travailler.

La naïveté, la fougue enfantine de cette foi inconsidérée envers ce que pourront permettre les « progrès de la science », le simplisme de cette interprétation de la souffrance et de la guérison sont presque touchants. Finalement, ces artistes, écrivains, penseurs, poètes, philosophes, musiciens d’antan étaient dans le faux : les temps modernes ont trouvé la réponse à la souffrance métaphysique sur laquelle ils babillent depuis des siècles : un problème purement technique de déficit d’acide hyaluronique. Une équation de pharmacien ; le mystère de la vie résolu d’un tour de main par monsieur Homais. Une petite piqûre, et c’est reparti pour le bonheur, le tout en moins de 24 heures ! Faut-il que ces personnes ne se respectent pas pour se laisser aller à de telles soumissions, pour déléguer à ce point leur quête de satisfaction à leurs nouveaux maîtres en blouses blanches, pour renier ainsi les artistes (car c’est bien de cela qu’il s’agit, au fond), ces seuls personnages nous permettant d’adorer l’humanité malgré toutes ses laideurs et tous ses crimes, et toute sa bêtise. Les artistes, les seuls à être attentifs, sensibles, à ne pas raisonner par formules toutes faites, par jeux de mots, par discours auto-régénérés, par langages d’emprunts ; par discours, bassement, faiblement religieux.

C’est assez clair : aujourd’hui, tout indique qu’on veut enfin en finir avec les artistes, qui n’ont jamais été désirés, et qui disparaissent à vue d’œil.

La peur de vieillir, première productrice de massacres

Ainsi, lentement mais sûrement, on légitime le robot-humain qui vient, au bonheur dosable, au malheur corrigible, par petites touches, par petites injections pour le moment bénigne, qui ne sont qu’une continuation de la nature par d’autres moyens – tant qu’elles ne sont pas, du moins, des injections létales. Il faut pourtant sentir, à l’ombre de ces remarques apparemment anodines, une odeur extrêmement fade et triste d’élan vers la pureté, de perfection, d’affutage, de désir effréné pour l’invention d’une grande-solution-générale-pour-tous-corps ; aspirations qui sont, la plupart du temps, issues d’un dégoût absolu pour son corps personnel. C’est donc, davantage que la tristesse ou la fadeur, le plus grand des désespoirs qui s’affirme ici, bien naturel à l’époque du nihilisme triomphant.

Qu’est-ce qui est à la base de cette tendance ? Comme depuis des millénaires, l’incapacité de la plupart d’entre nous à exister ici-bas à hauteur de réalités aussi tangibles, irrémédiables, que la vieillesse, la maladie, le changement, la mort. Voici ce qui permet l’épanouissement de la tyrannie scientifique actuelle, et de toutes les autres : la bonne vieille peur de vieillir, la haine de l’impuissance, la hantise de la dégradation. L’histoire ne repasse pas les plats ? Peut-être, mais nos pulsions immémoriales s’arrangent pour toujours rester au goût du jour.

Bien qu’ils s’en défendraient ardemment, une bonne partie de nos congénères semble tout faire pour que la cybernétique finisse par régner (on pourrait également parler des défenseurs acharnés de la pilule, du préservatif, de l’IVG, évoquer la baisse de production des spermatozoïdes par l’homme du fait de nos aliments « scientifiquement » conditionnés, etc.). Ceux-là même rigoleraient certainement de cet article, l’accusant d’exagérer. Oubliant au passage qu’il suffit d’ouvrir n’importe quel livre d’histoire de n’importe quelle époque pour se rappeler que l’homme est capable de tout, y compris des pires et plus invraisemblables exagérations, en bien ou en mal. Notre époque de vie comateuse semble tout simplement l’avoir oublié, cette tendance à l’excès bien humaine.

On colmate, on comate

Tout comme beaucoup d’internautes, lorsqu’ils racontent leur vie sur les réseaux sociaux, oublient qu’il n’y a pas si longtemps, on décachetait les lettres des gens pour les envoyer en prison s’ils avaient critiqué leurs gouvernants. Que ferait-on, si un tel gouvernement se présentait d’ici quelques dizaines d’années, et fouillait dans tout ce que nous avions exprimé sur Internet depuis notre naissance ? Nous serions faits comme des rats, voilà tout. C’est ce en quoi notre époque est parfois désespérément naïve, béni-oui-oui, totalement inconsciente de ce dont l’homme est capable. Les millions de sourires publicitaires qui nous entourent ont pour unique objectif de nous faire oublier ces tristes réalités, et nous conforter dans nos choix de vie assumés seulement du bout des lèvres, ou alors avec tant de fervente indignation, de rappels désespérés de centaines de nouveaux « droits » bafoués, qu’ils en perdent toute crédibilité.

Comment ne pas ressentir un malaise marqué devant tous ces visages recomposés, ces pommettes sentant la compensation chimique d’une infirmité affective, ces fonds de teint écœurants, ces yeux si maquillés mais brûlants d’inquiétude, ces faux vieux et ces fausses vieilles, bref toute cette humanité pour qui la haine de soi, c’est-à-dire l’amour pour son image, s’est portée à son point d’incandescence ?

Nous comatons, nous colmatons, ou plutôt, nous suspendons notre jugement, nous suspendons notre existence. L’époque attend patiemment… Elle attend quoi ?

Le Salut dans la disparition de l’esprit critique

A certaines époques, elle attendait le Salut de l’âme, parfois le Salut par l’extermination de telle ou telle catégorie de gens ; aujourd’hui, le Salut par le cyborg l’attire indéniablement, le Salut par la formule scientomagique, le Salut par la jeunesse éternelle, le Salut par l’acide truc-machin qui nous rendra plus photogénique, pour les siècles des siècles, Amen. Ce n’est pas un élan vers le véritable bonheur qui nous dicte cette conduite et nous inocule cette croyance, c’est l’hystérie calme et sûre d’elle-même qui caractérise notre époque. Et qui place logiquement son bonheur là où le risque d’aliénation est le plus grand. Logiquement aussi, et très naturellement pour le coup, le prix à payer sera à la hauteur de notre folie des candeurs.

Mais tout ne finira pas forcément par une catastrophe visible, bruyante, comme cela est si souvent arrivé. Peut-être que le drame se limitera, se limite peut-être déjà, à un simple et silencieux écrasement des consciences, à une neutralisation nette et sans bavure de la résistance psychologique, mentale, des hommes. La plus réussie des exterminations, la plus irréprochable, irresponsable, propre, indiscutable, irrémédiable, technique ; la plus moderne.

Crédit photo : ekai / Flickr



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