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La collectivisation des droits

Publié le 08 janvier 2011 par Copeau @Contrepoints

Extrait de La vertu d’égoïsme d’Ayn Rand (traduction de Bertrand Lemennicier).

La collectivisation des droits
Le Droit est un principe moral qui définit le Bien et le Mal dans les rapports de la société politique. De la même manière que l’homme a besoin d’un code moral pour vivre (pour agir, pour choisir les bons objectifs et pour les réaliser), de même une société, soit un groupe de personnes, a besoin de principes pour organiser un système social en conformité avec la nature de l’homme et avec les nécessités du maintien de son existence. De même qu’homme peut refuser de voir la réalité et agir sur le caprice aveugle d’un moment, mais n’aboutit à rien d’autre que sa propre destruction progressive, une société peut refuser de voir la réalité et instituer un système gouverné par les caprices aveugles de son chef, par la bande majoritaire qui se trouve être au pouvoir, par le démagogue du moment ou par un dictateur permanent ; mais une telle société ne peut rien obtenir d’autre que l’empire de la force brute et un état d’autodestruction progressive.

Le collectivisme est à la politique ce que le subjectivisme est à l’éthique. Comme l’idée que « tout ce que je fais est juste parce que c’est moi qui ai décidé de le faire » n’est pas un principe moral mais la négation de toute morale, la notion que « tout ce que décide la société est bien parce que c’est elle qui l’a voulu » n’est pas un principe moral, mais la négation des principes moraux et leur bannissement des problèmes de société.

Quand on oppose la force au Droit, le concept de « force » ne peut signifier qu’une chose : le pouvoir de la force brutale, la violence physique, lequel qui n’est pas en fait un « pouvoir », mais le plus désespéré des états d’impuissance. Il ne s’agit que du pouvoir de détruire, c’est le « pouvoir » d’animaux qui foncent devant eux parce que quelque chose les a rendus fous.

Et pourtant c’est cela qui est le but de la plupart des intellectuels aujourd’hui. À la base de toutes leurs inversions conceptuelles on en trouve une qui est plus fondamentale : le passage du concept des Droits individuels à celui de « droits collectifs », ce qui veut dire remplacer les « Droits de l’Homme » par « les droits de la bande ».

Comme il n’y a qu’une personne singulière qui puisse avoir des Droits, l’expression « Droits individuels » est une redondance (dont il faut bien se servir pour être clair dans le chaos conceptuel d’aujourd’hui). Mais l’expression « droits collectifs » est une contradiction dans les termes.

Tout groupe, ou « collectif », n’est qu’un rassemblement de personnes. Un groupe ne peut avoir d’autres Droits que résultant des Droits des individus qui le composent. Dans une société libre, les « droits » d’un groupe, quel qu’il soit, dérivent des Droits de ses membres, par un accord volontaire, individuel et contractuel , et ne sont que l’application de ces Droits particuliers à une entreprise spécifique. Toute entreprise légitime assumée par un groupe est fondée sur le Droit de libre association et de libre échange de ses membres. Par « légitime », j’entends non-criminel et librement formé, c’est-à-dire un groupe dont personne n’est forcé de faire partie.

Par exemple, le Droit qu’a une société industrielle de faire des affaires est déduit du Droit qu’ont ses membres de se lancer dans une entreprise productive, de leur Droit d’engager des employés, du Droit qu’ont ces employés de vendre leurs services, du Droit qu’ont tous ceux qui sont impliqués de produire et de vendre leurs produits, et du Droit qu’ont les clients d’acheter ou de ne pas les acheter. Tous les maillons de cette chaîne complexe de relations contractuelles reposent sur des Droits individuels, sur des choix personnels, sur des engagements singuliers. Chacun de ces accords est délimité, spécifié et soumis à certaines conditions, en fait il dépend de la mutualité des échanges pour la mutualité des avantages.

Cela est vrai de tous les groupes et associations légitimes dans une société libre : les sociétés de personnes, les sociétés de capitaux, les associations professionnelles, les syndicats (volontaires), les partis politiques, etc. Cela s’applique aussi à tous les accords de délégation : le Droit d’un homme d’agir pour un autre ou de le représenter est déduit des Droits de ceux qu’il représente et lui est délégué par choix volontaire, pour une mission spécifique et délimitée. C’est le cas d’un avocat, d’un négociateur, d’un délégué syndical, etc. Un groupe, en lui-même, n’a pas de Droits. Un homme ne peut ni acquérir des Droits nouveaux en rejoignant un groupe ni perdre ceux qu’il a en s’en détachant. Le principe des Droits individuels est la seule base morale de tous les groupes et associations.

Un groupe qui ne reconnaît pas ce principe n’est pas une association mais une bande ou une populace. Toute théorisation des activités d’un groupe qui ne reconnaît pas les Droits individuels est une doctrine du pouvoir à la populace ou la loi de Lynch.

La notion de « droits collectifs » (l’idée que les Droits sont attachés aux groupes et non aux personnes) signifie que les « droits » appartiennent à certains mais non à d’autres, que certaines personnes auraient le « droit » de disposer des autres à leur convenance, et que le critère d’accès à cette position privilégiée est le pouvoir du nombre. Rien ne peut jamais valider ni justifier une telle doctrine, et jamais personne n’y est parvenu.

Comme la morale altruiste dont elle est déduite, cette doctrine repose sur le mysticisme : soit sur le mysticisme à l’ancienne de la croyance dans des édits surnaturels, comme le « droit divin » de la monarchie, soit sur la mystique sociale des collectivistes modernes qui considèrent la société comme une sorte de super-organisme, une super-entité distincte de la somme de ses membres individuels et supérieure à elle. L’amoralité de la mystique collectiviste est particulièrement patente aujourd’hui dans le débat sur les droits des nationalités.

Une nation, comme n’importe quel autre groupe, ne représente qu’un certain nombre de personnes et ne peut avoir aucun Droit de plus que ses citoyens individuels. Un pays libre, un pays qui reconnaît, respecte et protège les Droits individuels de ses citoyens a le Droit de conserver son intégrité territoriale, son système social et sa forme de gouvernement. L’État d’une telle nation n’est pas le maître mais le serviteur ou le délégué de ses citoyens et n’a aucun autre Droit que ceux qui lui ont été confiés par eux pour une tâche spécifique et délimitée : celle de les protéger contre la force physique, issue de leur Droit de se défendre contre l’agression.

Les citoyens d’une nation libre peuvent différer sur les procédures juridiques particulières, ou sur les méthodes de mise en oeuvre de leurs Droits (ce qui est un problème complexe, le domaine de la science politique et de la théorie juridique) mais ils sont d’accord sur le principe de base à mettre en oeuvre : celui des Droits individuels. Quand la constitution d’un pays place les Droits de la personne hors de l’atteinte des autorités publiques, la sphère du pouvoir politique est sévèrement circonscrite ; ainsi les citoyens peuvent-ils accepter, sans risque ni immoralité, de se soumettre aux décisions d’un vote majoritaire dans cette sphère limitée. La vie ou la propriété des minorités ou des dissidents n’est pas en cause, n’est pas soumise au vote et n’est pas mise en danger par la décision majoritaire ; aucun homme ni groupe ne détient un chèque en blanc sur l’existence d’autrui.

Une telle nation a le Droit d’être souveraine (dérivé du Droit de ses citoyens) et le Droit d’exiger que cette souveraineté soit respectée par tous les autres États. En revanche ce Droit ne peut pas être invoqué par les dictatures, par les tribus de sauvages ni aucune forme de tyrannie absolutiste. Une société politique qui viole les Droits de ses propres citoyens ne peut se réclamer d’aucun Droit quel qu’il soit. En matière de Droit, comme dans toutes les questions morales, il ne peut pas y avoir deux poids et deux mesures. Un groupement politique soumis à la force physique brutale n’est pas une nation mais une horde, qu’elle soit conduite par Attila, Gengis Khan, Hitler, Khrouchtchev, ou Castro. De quels Droits Attila pouvait-il se réclamer et sous quels prétextes ? Ceci est applicable à toutes les formes de la sauvagerie tribale, ancienne ou moderne, primitive ou « industrialisée ». Ni la géographie, ni la race, ni la tradition, ni le stade antérieur du développement ne peuvent conférer à certains êtres humains le « droit » de violer le Droit des autres.

Le « droit à l’autodétermination des peuples » ne s’applique qu’aux sociétés libres ou à celles qui cherchent à instituer la liberté ; il ne s’applique pas aux dictatures. De la même manière que le Droit qu’a une personne d’agir librement n’implique pas la liberté de commettre des délits (ce qui serait violer les Droits des autres), de même le Droit que possède une nation de choisir son propre système politique n’inclut pas le droit d’imposer une société d’esclaves (c’est-à-dire de légaliser la mise en esclavage de certaines personnes par d’autres). Il ne peut pas y avoir de « droit d’avoir des esclaves » Un État peut le faire, comme un homme peut devenir criminel, mais ni l’un ni l’autre ne peuvent le faire à bon droit . Il n’est pas important, dans ce contexte, qu’un pays ait été esclavagisé par la violence, comme la Russie soviétique, ou par une élection, comme l’Allemagne nazie.

Les Droits individuels ne peuvent pas être soumis à un vote public : une majorité n’a pas le Droit de voter pour supprimer les Droits d’une minorité. La fonction politique des Droits est précisément de protéger les minorités contre l’oppression des majorités (et la plus petite minorité sur terre est l’individu).


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