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Ugo Mulas, photographe d’artiste et artiste de la photographie

Publié le 10 janvier 2011 par Marc Lenot

duchamp.1294656888.jpgUgo Mulas fut d’abord un photographe d’artistes et la première partie de l’exposition qui lui est consacrée dans la spectaculaire Villa Pignatelli à Naples, qui inaugure ainsi son programme ‘Casa della Fotografia’ (jusqu’au 28 février), traduit fort bien sa proximité avec les artistes dont il fait le portrait. Passant quelques jours avec Marcel Duchamp à New York en 1965, il traduit en image la complexité ironique de l’artiste vieillissant, son regard à la fois distant et empathique, comme dans ce portrait au cigare dans l’entrebâillement d’un rideau, qui évoque l’oculaire d’Étant donné. Un autre rmulastrini31.1294656863.jpgportrait fait écho à la célèbre photographie de Duchamp jouant aux échecs avec Eve Babitz nue devant des motifs du Grand Verre : posée devant le maître, vue à l’envers par nous, elle se positionne comme un faux miroir de l’artiste âgé, tirant sur son cigare, nous regardant intensément, la tête inscrite dans une conque noire, fauteuil ou écu mural, comme un symbole de renaissance. Peu de photographies de Duchamp atteignent cette intensité.

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Parmi les nombreux autres artistes que Mulas photographie (Andy Warhol, David Smith, Lee Friedlander, Robert Rauschenberg,…et dont sont présentées ici tant les planches contacts que les tirages, ce qui est passionnant), j’ai noté deux photographies de Jasper Johns, l’une à Edisto Beach en 1965 où il frotte son image contre la toile, semblant y marquer ainsi l’empreinte de son corps (mais je n’en trouve pas de reproduction) et une autre à New York en 1967 où, peignant, il semble se battre avec son ombre.

De retour en Italie après ses années new-yorkaises, Mulas photographie surtout les grandes expositions collectives de la néo-avant-garde italienne, et en particulier ‘Vitalità del negativo’ à Rome en 1970, avec Alighiero Boetti, Pistoletto, Mario Merz, Piero Manzoni et bien d’autres. Un des éléments clés de sa réflexion photographique est alors cette planche contact d’une installation de Kounellis, consistant en

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un piano à queue dans le coin d’une salle, sur lequel, deux fois par jour pendant la durée de l’exposition, un jeune pianiste américain vient jouer un extrait répétitif de Nabucco. Ugo Mulas le photographie chaque jour, dans la même position, sous le même angle : les 36 photographies du film semblent en tout point identiques, une même photographie paraissant répétée 36 fois. Cette expérience induit chez Mulas une réflexion sur la photographie même, sur la manière dont ce médium de l’instantanéité peut traduire le passage du temps, entre le temps musical et son antithèse, le temps photographique. L’image semble immobile, seul l’index numérique change (Prova della Verifica 3. Il tempo fotografico. A Jannis Kounellis).

Ugo Mulas va développer cette dimension abstraite de la photographie dans sa série ultime des 12 Verifiche (avant sa mort en 1973 à 45 ans), présentée dans la dernière salle de l’exposition, qui consiste en un travail sur l’essence même du médium photographique : l’acte photographique de la prise de vue, le temps de pose, le développement en laboratoire, l’agrandissement. Un hommage à Niépce (ci-contre),

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évoquant la première photographie de Niépce depuis sa fenêtre, est une pellicule quasi noire, qu’un hommage à Duchamp diffracte et fracasse comme le Grand Verre. La recherche culmine avec une photographie pas faite, une absence, titrée l’optique et l’espace.

Et si vous passez par Naples, essayez d’aller aussi voir le très discret Kaplan Project, dans un vieux palais de la via dei Tribunali : il faut trouver (et je n’en dirai pas plus).


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