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Textes exhumés des tiroirs de l’oubli 1

Publié le 13 janvier 2011 par Xavierlaine081

Paroles autodidactes

Les deux textes ci-après n'ont jamais été publiés. Non que les lieux de leur publication n'aient point d'existence, mais, autodidacte, je n'en ai jamais eu les codes d'accès. Et, à l'époque de leur écriture, la toile sur laquelle ma plume s'apanche aujourd'hui m'était encore un monde inconnu.

Ce sont deux textes fort différents. je les avait réunis sous le titre de “paroles autodidactes”, sans doute dans l'espoir de poursuivre et d'en faire un livre. mais l'oeuvre s'est arrêtée net, faute de temps et de goût à la poursuivre.

ce sont deux textes forts différents. Le premier, écrit après la lecture du livre de Jacques Soustelle, “Les Quatre soleils”, et à la lumière de la crise qui n'en finira pas de durer, garde toute son actualité. le second est venu à la lecture de Lautréamont, dans son édition de La Pléïade, et de l'agitation qui animait le bocal des poètes, en ce début de première décennie d'un siècle que les financiers vouent à tout autre chose.

Je les publie ici ensemble, tel qu'ils furent réunis, pour la lumière du premier, et pour l'analyse du second, qui entre en écho avec un commentaire déposé ici, dans mon petit salon de littérature, sous une citation de Pierre oster. ce n'est pas une réponse, un élément de réflexion préécrit, et qui montre que le débat sur la place de la poésie en ce monde  ne fait que durer, n'agitant, hélas, que le Landernau.

Xavier Lainé

Manosque, 13 janvier 2011

I

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Je reviens d’abord à Jacques Soustelle qui, dans “Les quatre soleils”, nous parle de la culture des Lacandons, indiens du Mexique, perdus aux confins du Chiapas, héritiers ignares de la culture maya.

Il aborde les ruines de Palenque, ville maya dont l’apogée se situe au VIIème siècle de notre ère, mais dont la vie s’est brutalement retirée vers le IXème siècle.  “Treize cents ans plus tard”, écrit-il, “sur ce même sol depuis longtemps reconquis par l’arbre et la liane, le serpent et le jaguar, une poignée d’Indiens subsiste à grand-peine, parlant maya et brûlant de l’encens pour les anciens dieux. Pour qui a connu les Lacandons et admiré les monuments de Palenque, ce contraste poignant pose des questions qui touchent au plus profond des problèmes humains.” 

Mais les Lacandons sont-ils les descendants directs des bâtisseurs et des sculpteurs de Palenque? “Nous ne le savons pas”. Il semble bien que des peuples allogènes se sont mêlés aux peuples installés. On en trouve quelques traces ici et là. Il est d’autre part fort possible, affirme J. Soustelle, qu’une telle cité ne se soit pas éteinte brutalement “comme une bougie qu'on souffle, mais peu à peu comme une lampe privée d’huile”.

Ce qui est certain, c’est que “l’élite des prêtres-astronomes et architectes, des gouvernants et des artistes, a dû émigrer en partie vers le nord, vers le Yucatán, et pour une autre partie retourner au champ et à la hutte, se dissoudre et s’effacer en quelques générations. Le peuple des cultivateurs et des chasseurs dispersé dans la jungle chaque année plus épaisse autour du squelette des villes démantelées, n’a conservé que les formes les plus rustiques de la vie d’autrefois: les Lacandons sont issus de ce qui fut la “plèbe” des cités antiques” Il revient donc, ensuite, sur cette possibilité, et sur le formidable développement scientifique et culturel des Mayas, pour en conclure “la profondeur de l’illusion, propre à notre civilisation industrielle, qui classe les civilisations selon un critère technologique: âge de la pierre taillée, de la pierre polie, du bronze, du fer, de la machine, de l’électricité, de l’atome. Nous retirons de cette vision des choses l’impression flatteuse d’être parvenus au sommet.” Revenir donc à la notion même de civilisation, de nature, de culture, s’impose ici. Mais je ne reviendrai pas, cette fois-ci, sur ces notions débattues et rebattues. Ce qui m'intéresse, car ce n’est pas sans rapport avec ce que nous vivons aujourd’hui, c’est l’approche proposée des raisons d’une extinction.  “A quoi attribuer le déclin presque simultané des grandes civilisations classiques”, s’interroge J. Soustelle. Pas trace d’incursion barbare. “Tout se passe comme si ces magnifiques édifices sociaux s’étaient écroulés sur eux-mêmes, s’effondrant sous leur propre poids” Les facteurs économiques, probables, ne sont pas non plus suffisants à expliquer cet effondrement. 

“J’incline à penser que […] La civilisation a péri sous l’effet d’une révolution interne qui a pu, d’ailleurs, se dérouler lentement et graduellement”. Voilà qui commence à m'intéresser, voilà qui peut apporter une pierre dans le champ de l’analyse de ce que nous vivons aujourd’hui. Il poursuit donc: “Une élite restreinte de prêtres, avec les artistes qui travaillaient pour elle, n’imposait aux villages l’autorité des villes que par son prestige sacré, peu ou point par la force. Génération après génération, le paysan devait prélever sur son travail une part considérable pour nourrir cette élite”. Cette soumission, le cultivateur maya l’acceptait “contre la protection des dieux de la pluie, du soleil, du maïs. Mais le charme s’est dissipé, peut-être parce que les spéculations mathématiques et astronomiques du clergé se sont écartées de plus en plus des préoccupations quotidiennes des masses rurales. Alors le lien social s’est distendu; le paysan, ou bien s’est retourné avec colère contre ses maîtres, ou bien, ce qui paraît plus probable, s’est dérobé à leur pouvoir, revenant à son petit lopin familial, à sa hutte, aux dieux de son hameau à qui il rendait un culte simple et sans faste comme les Lacandons d’aujourd’hui. Peut-être, pour échapper aux exigences de la ville, les “plébéiens” se sont-ils dispersés dans la campagne. Et la cité, comme un cerveau sans corps, privée de main d'œuvre et de nourriture, est morte d’inanition, tandis que son élite se dispersait à son tour, que la brousse envahissait les avenues et que les premières pousses de la jungle future commençaient à prendre racine sur les marches des pyramides et sur les toits des palais”.

Eloignement des préoccupations de l’élite et de celles de la “plèbe”; fossé de plus en plus béant entre la réalité vécue par le peuple et celle légiférée par les hauts responsables du système: n’y a-t-il pas là quelque chose qui nous touche et devrait nous amener à réfléchir?  En 1982, J. Soustelle écrit: “quelque soit la cause de la mort de telle ou telle civilisation, une chose est certaine: c’est que, jusqu’à présent, depuis cinq ou six mille ans qu’il existe des civilisations, toutes, sans exception, ont péri.” Par quel miracle la nôtre échapperait-elle au sort commun? 

N’y aurait-il pas là quelque chose à lire et relire à la lumière des soubresauts qui agitent notre monde depuis la chute du mur de Berlin au siècle dernier et la fin de la pseudo-civilisation soviétique, au 11 septembre 2001 dont l’image brûle encore nos rétines comme le signe avant coureur que quelque chose ne fonctionne plus dans ce monde, et que, faute d’y apporter remède, c’est à sa fin qu’il nous faudra assister dans l’impuissance d’en élaborer un autre.

Ne peut-on aussi lire le séisme du 21 avril en France comme un autre signe avant coureur, d’autant qu’il n’est pas isolé, qu’il se situe dans un grand mouvement populiste qui touche, allié à des nationalismes étroits, toute la planète.  N’est-ce pas un signe aussi, quand, hélas visionnaire de nos errances, nous n’arrivons pas à nous faire entendre? 

II

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“Il y a de l’étoffe du poète dans les moralistes, les philosophes. Les poètes renferment le penseur. Chaque caste soupçonne l’autre, développe ses qualités au détriment de celles qui le rapprochent de l’autre caste. La jalousie des premiers ne veut pas avouer que les poètes sont plus forts qu’elle. L’orgueil des derniers se déclare incompétent à rendre justice à des cervelles tendres. Quelle que soit l'intelligence d’un homme, il faut que le procédé de penser soit le même pour tous”.

Lautréamont. Poésie II. Œuvres complètes, La pléiade, Gallimard.

Y aurait-il quelque chose de différent à réfléchir à l’étoffe de poète de tel ou tel? Ne conviendrait-il pas de rapprocher l’étoffe du poète de celle du monde? 

La première se cache souvent sous des couches de discours moraux ou philosophiques. La seconde, fruit de la première part en lambeaux avec le passage de la première sous les strates subconscientes de nos errements.

Qu’ensuite, les uns et les autres, jaloux des uns comme des autres se mènent une guerre de suprématie n’est que la traduction concrète des lambeaux de l’étoffe du monde. 

Orgueil et jalousie nous surprennent même quand nos discours s’en défendent. Et nous avons tant de difficultés à nous reconnaître modestement dans le même processus de pensée que tout un chacun. Notre propension à nous croire supérieurs nous coupe indiscutablement du commun. Nous place-t-il pour autant au-dessus?  Et, si nous replaçons cette tendance dans la réalité des ruptures de l’histoire, des civilisations qui ont déjà disparues avant que la nôtre ne les rejoigne, sans doute faut-il nous situer, non comme de simples observateurs de la déliquescence du monde, mais comme acteurs responsables de celle-ci. 

Si des civilisations sont mortes, laissant la place à de larges espaces barbares, c’est que ceux qui les pensèrent se mirent en situation inconfortable de ne plus réfléchir que pour eux-mêmes, sans lien avec la réalité vécue par les innombrables “cervelles plus tendres”.

Le problème est que, nos cervelles endurcies par l’orgueil et la jalousie, nous ne sommes plus en mesure d’entendre et de voir. Que nous ne recherchons plus que la compagnie qui nous rassure, nous assure un confort intellectuel. Nous nous construisons nos abris, sans voir combien ils sont dérisoires face à la violence qui se prépare. 

On peut toujours se croire inaccessible aux affres du monde. Ce n’est que le signe de notre faiblesse, le prémisse de notre douloureuse chute. 

Le plus désolant, dans l’histoire, c’est d’arriver à cette conscience et de ne pouvoir jamais la faire entendre. Orgueil et jalousie de nos tendres cervelles… 

Xavier Lainé

Manosque, dimanche 12 juin 2002

Bibliographie:

Jacques Soustelle, Les quatre soleils, Plon Terre humaine 1982 

Lautréamont, Œuvres complètes, La Pléiade Gallimard 


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