Magazine Culture

« Sans la gaité sans les amours » à l’Usine Hollander de Choisy-le-roi (critique)

Par Sumba

Société de zombies

Monsieur Prud’homme fait partie de ces personnages de fiction devenus beaucoup plus célèbres que leur créateur. Figurant le bourgeois parisien du XIX ème siècle remarquable par sa sottise et son conformisme, ce personnage grassouillet a effacé de l’histoire littéraire le nom d’Henry Monnier. Aujourd’hui, la compagnie La Rumeur, installée à Choisy-le-roi, rend justice à cet auteur presque oublié à travers son dernier spectacle, Sans la gaîté sans les amours tristement vous passez vos jours.



« Sans la gaité sans les amours » à l’Usine Hollander de Choisy-le-roi (critique)

Dès la première scène, on comprend que l’art de Monnier à restituer l’absurdité de son temps était loin d’être concentré dans une caricature unique. Deux bourgeois au visage fardé de blanc sont attablés, l’air plutôt accablé, et s’entretiennent d’un troisième individu dans le but, dirait-on, de déterminer sa valeur. Mais les propos plafonnent, comme englués par une grande lassitude, et finissent par perdre toute direction. La vacuité, voire l’ineptie des deux jaseurs bizarrement guindés nous saute alors aux yeux.



Le cortège ne fait que commencer : une gamme bien étoffée de pauvres hères au ridicule outré nous est servie, soutenue par un grotesque atypique qui nous fait trembler, de rire ou d’effroi, on ne sait pas trop. Loin de la farce facile du vaudeville, mais aussi très loin du drame ou de la tragédie, ce théâtre se joue des genres et des conventions. D’où sa marginalité dans le paysage théâtral du XIX ème siècle, et sa modernité saisissante. La succession de courtes scénettes sans rapport évident les unes avec les autres et dénuées de toute intrigue est à même de satisfaire l’amateur d’art contemporain.



D’autant plus que la mise en scène de Patrice Bigel réussit un subtil mélange de réalisme et d’absurde en accord parfait avec l’écriture de Monnier. Les quatre acteurs sont affublés de costumes d’époque qu’ils ont tous l’air de porter comme des déguisements. Toujours un peu débraillés, un peu décalés, ils semblent avoir été propulsés sans préparation dans un jeu compliqué. Et entre chaque scène, des murs coulissants viennent faire disparaître les protagonistes, comme pour sceller le sort de leurs échanges mort-nés. Peu après, les mêmes réapparaissent investis d’un autre rôle, parfois même travestis, mais toujours habités par la même misère.



Car les servantes éplorées, les apothicaires délirants, ou encore les maris libertins qui parlent de tout et rien affichent une tristesse qui, à l’exception de quelques passages de frénésie désespérée, s’exprime sans pathos, par la dégaine de clown triste adoptée par les comédiens. Et aussi par un langage désarticulé, une sorte de charabia. Pourtant, l’auteur était un fin observateur des parlers de son temps : d’une scène à l’autre, on passe insensiblement d’un français châtié digne de Monsieur Prud’homme à un patois rempli d’archaïsmes. Les niveaux de langue s’emmêlent, et finissent par donner lieu à des phrases étranges, prononcées pour se désennuyer, pour casser le silence. Toujours est-il que cette société de zombis a trouvé chez nous un bel écho, quoiqu’un peu inquiétant…



Sans la gaîté sans les amours tristement vous passez vos jours, d’après Henry Monnier, jusqu’au 30 janvier, Usine Hollander, 94600 Choisy-le-roi.

Article paru dans Témoignage chrétien le 13 janvier 2011


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sumba 143 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines