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Le sang noir de Louis Guilloux

Par Sylvie

FRANCE, 1935

 

Le Sang noir

Ce chef d'oeuvre de la littérature française de l'entre deux guerres (1935), fort méconnu, a été pour moi une révélation. J'avais découvert il y a quelque temps Louis Guilloux, l'ami d'André Gide et d'Albert Camus, par le magnifique récit d'enfance Le pain des rêves, beau comme un conte, empli de poésie et de rêves.

Ecrit huit ans plus tôt, Le Sang noir est au contraire une oeuvre d'une noirceur et d'un pathétique absolu. L'action se déroule sur une journée, un jour de 1917, dans une ville de province jamais nommée mais qui est sans doute Saint-Brieux, là où se déroule toute l'oeuvre de Guilloux. Cette noirceur qui s'oppose aux rêves de l'oeuvre précédemment citée, donne toute l'étendue du talent de l'écrivain, capable de passer du conte de l'enfance, à un drame pathétique et burlesque.

Imaginez un vieux professeur solitaire, auteur de plusieurs ouvrages remarqués, portant binocle, peau de bique et affublé d'énormes pieds. Il vit avec sa bonne Maïa, une vulgaire paysanne et sa bande de chiens.

Ses élèves l'ont baptisé Cripure, une abréviation de la Critique de la raison pure de Kant. Amoureux trahi, intellectuel méprisé, il hait la société hypocrite de son temps. Athée, antimilitariste, il se réfugie dans son antre, fuyant le mépris des autres et rêvant parfois de se réfugier sur une île déserte.

Ce matin là, Cripure échappe de peu à l'accident car il découvre que les écrous de sa bécane ont été dessoudés...Et puis peu après, il manque d'être  écrasé par une voiture. Décidément, Cripure a aujourd'hui rendez-vous avec son destin....

Nous sommes à l'arrière, dans une ville provinciale, alors qu'au front, les mutineries commencent à être mâtées dans le sang. A l'arrière, où l'on prépare la cérémonie de décoration de la femme de Monsieur Le député et où les auteurs des poèmes défaitistes sont débusqués. Car dans cette ville de province, règne le puissant Nabucet, chantre de l'hypocrisie et Babinot, qui collectionne les armes...pendant que le sang des jeunes hommes est versé.

Cripure ne peut supporter la bêtise de cette société bien pensante et est acculé à un acte désespéré...

Guilloux signe ici une oeuvre d'un rare pessimisme ; à signaler que les romans sont peu nombreux à évoquer en toile de fonds les répressions suite aux mutineries de 1917.

La figure de Cripure est à la fois burlesque (par son accoutrement, son mode de vie) et profondément humaniste ; il incarne l'esprit de l'humain face à toute cette bêtise qui éclate en arrière plan. Cripure, figure sacrifiée, pathétique, incomprise.

Cette oeuvre se laisse peu à peu apprivoisée. Longue de plus de 600 pages, elle est pourtant construite comme une pièce de théâtre puisque l'action se déroule en une journée. Magnifique unité de temps...Un accident, deux accidents, le destin du personnage est en marche...

C'est une tragédie d'une journée, c'est un drame oscillant toujours entre le burlesque outrancier (la figure des bourgeois, l'attitude de Cripure et de Maïa), et le tragique de la condition humaine. L'auteur fait d'ailleurs souvent référence au registre du théâtre pour désigner cette comédie humaine pleine de fumisterie. Scènes de ménage, discussions sans intérêt dans le fumoir, jeux des décorations, duel d'épées...mais ce qui reste de tout cela ce sont les larmes des parents qui apprennent la condamnation à mort de leur mutin de fils et Cripure qui ne croit plus en l'homme...Chef d'oeuvre de l'absurde avant l'heure, que certains critiques considèrent comme précurseur de La nausée...

Une oeuvre dense, âpre mais inoubliable....


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