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Deux textes de Patricia Laranco.

Par Ananda

1.

Il pleuvait sur le métal.

Sur le ruban de la route.

La ville se terminait.

Son tassement cédait le pas à l’espace ample, piaffant, pressé de s’élancer, de filer, de se perdre dans l’infini.

On sentait cette tension. Ce réveil de quelque chose d’âpre.

C’était un confin ; une fin.

Le cercle perdait ses droits.

La ligne regagnait les siens. Rush aérodynamique.

Une fin, c’est toujours triste.

Les faubourgs le savent bien. Ils traînent avec eux leur blues. Leur lassitude d’exil. Une sorte d’essoufflement.

Une laideur. Plate, métallique. Ocellée de cratères de rouille.

Les angles s’y font plus nets.

Plus sauvages. Plus abrupts.

Ils détachent leurs profils durs.

Leur dessin de mâchoires qui grincent.

Après quoi les faubourgs meurent. Ils s’éteignent lentement. Au détour d’un long parking ; au pied d’une usine usée ; là où une ligne de métro s’arrête (ce qu’on appelle un « terminus »).

La pluie était bleue, brouillonne.

Elle constellait les vitres pâles.

Grosses gouttes incolores, tremblantes. Pustules de gélatine bulbeuses.

Les abords étaient déserts. Juste une station-service. Penchée sur la ligne d’asphalte. Comme…avec sollicitude.

En regardant en arrière, on apercevait, barrant l’horizon, le long toit plat, l’auvent et la triste série de portes vitrées barbouillées de reflets insipides qui marquaient la sortie du plus ultime, du plus éloigné des terminus.

Le sentiment de vague à l’âme, de sables mouvants se précisait : une transition qui effritait, qui dispersait les certitudes.

Une inexplicable sensation de semi-réalité.

Une béance vous appelant, vous repoussant, tout à la fois.

On ne discernait plus, soudain, que l’asphalte assombri, langue d’humidité ; on se focalisait sur l’impression qu’en pleurs, il fonçait à vue d’œil.

Finalement, on le regardait partir, telle une flèche qu’on décoche.

Il épousait son nouveau rôle : épine dorsale de l’étendue. Axe organisateur du nu, désormais mouvant, intraitable.

Tout cela était si perturbant, si propre à vous serrer le cœur !

Une émotion se soulevait.

Comme si vous étiez sur un seuil.

Un véhicule, arrêté contre les pompes de la station, s’ébranlait.

Et voici que vous vous retrouviez à l’intérieur de son habitacle…ou, bien plutôt, que, par un étrange phénomène de dédoublement, vous vous y trouviez, tout en demeurant planté à l’extérieur.

Cela fait tout de même bizarre, d’être en deux endroits à la fois !

Une pareille ubiquité a quelque chose, certes, de magique.

Toujours est-il que la voiture se dirigeait vers la corne d’un bois. Qu’elle glissait, environnée d’une campagne verte et distante.

Que le problème de la direction qu’elle prenait était superflu.

Que rien ne comptait, mis à part le bruit de chuintement de ses pneus sur la route…étroitement associé aux mécaniques battements des essuie-glaces…non moins intimement relié aux millions, aux milliards, aux myriades, aux galaxies de gouttelettes de pluie ternes qui enveloppaient l’espace creux de l’habitacle, façon cocon.

Là-dedans, pas à dire, il faisait bon, même si subsistait le malaise.

Autour, le paysage de la campagne verdâtre s’adoucissait.

On aurait juré, à présent, qu’il s’enrichissait d’une légère bruine.

La corne du bois s’approchait : paquets de feuillages lourds qu’on voyait luire.

L’autre vous-même, resté à quai, continuait de vous supplier de revenir.

Pourtant, ses cris, ses gémissements n’étaient plus qu’un bruit de fond lointain. Un zonzonnement filandreux de voix, virant à l’inintelligible.

2.

Dépossession.

Un battement d'ailes membraneux et géant, qui fait résonner l'air et envahit l'oreille.

Des cloisons, des foules, des successions de cloisons, que l'espace, cependant, enjambe.  Accompagné du vent recourbé, ce vif, ce lumineux grésil.

C'est à travers ces cloisons, souvent métalliques, que l'on se parle.

Chacun, collé à la cloison, lèvres collées à la serrure...un souffle passe, des murmures fusent.

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Le vent sillonne toujours l'air au-dessus des têtes.

C'est normal : il n'y a pas de toits.

Le vent s'agite entre les cordes à linge : des milliers de vêtements se gonflent.

Les cloisons ont juste pour fonction - très trompeuse d'ailleurs - de faire oublier l'étendue en fuite.

Chacun colle son oreille au métal ou au bois : immense écoute...

Les doigts eux, sans trêve, palpent la cloison, tambourinent dessus.

- Veux-tu me faire entrer ? glisse l'un.

- Non, reste dehors ! répond l'une.

Il peut arriver que les deux protagonistes du dialogue soient un horrible molosse aux abois furieux, à la gueule bavante et un malheureux qui vient à peine - et de justesse - d'interposer une de ces portes entre la bête et lui.

Alors, on entend le cœur du malheureux qui cogne : pire que des coups de gong !

D'autres fois, ce sont de petits groupes qui s'agglutinent au fond des réduits : des jeunes qui aiment à "tenir les murs" en papotant et en s'envoyant la fumée de leurs clopes au visage.

Ils demeurent là, l'air à la fois hautain et furtif, appuyés comme s'ils y étaient collés contre des marches de béton nu et sale qui forment autant d'esquisses d'escaliers dont on se demande  quel peut être leur usage, ou bien encore adossés à des tas d'objets  hétéroclites, mangés d'usure,  jetés au rebut : vieux vélos gondolés, tordus, caissons aux planches effritées, morceaux de meubles empilés pêle-mêle et à peu près méconnaissables.

Il règne une atmosphère d'attente qui se refuse à dire son nom.

Les linges ont des claquements secs de voilures, sous l'effet du vent qui scintille.

Les paroles fébriles, hachées, continuent d'aller les unes vers les autres, de produire des entrechocs qui libèrent des étincelles.

Mais une lassitude et un désir d'évasion se font jour.

En haut, dans le ciel, on remarque soudain une géométrie différente : une sorte de linéarité , comme si se dessinaient des rails.

Reste qu'on aimerait savoir si ces rails indiquent une direction : par exemple, s'ils pointent vers le passé, ou s'ils désignent plutôt l'avenir...

En un certain sens, les gens se sentent murés dans un éternel présent, dont ils pressentent, cependant, qu'un rien suffirait à l'ébranler.

C'est dans la parole, et uniquement dans la parole, qu'ils cherchent l'issue.

Mais la parole elle-même finit pour eux, par prendre l'aspect d'un fin , léger cristal qui s'effiloche...

C'est alors qu'ils s'aperçoivent que le vent traître la leur a ravie. Qu'il l'a emportée, réduite à quelques filandreux filaments nomades.

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