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Vers un rapprochement des socialistes français et allemands en 2011

Publié le 20 janvier 2011 par Letombe

SPD1.jpeg convention-du-projet-primaires-le-calendrier-2011-du-ps1.png Vous trouverez ci-dessous la retranscription d’un article que j’ai publié dans la Revue Socialiste de l’Ours dernièrement. N’hésitez pas à le commenter.

« Même si le fil n’a jamais été rompu, nous assistons aujourd’hui à des retrouvailles entre socialistes allemands et français. Le Parti Socialiste Français (PS) et le Parti Social-Démocrate Allemand (SPD) ont toujours poursuivi les mêmes objectifs d’émancipation, de justice et de progrès social.

Mais nos différences viennent d’une longue histoire. Le souvenir de la division de la SFIO aux lendemains de la Première Guerre mondiale est fort. En 1914, un nombre important de partis de la Seconde Internationale (SPD en Allemagne, SFIO en France) soutiennent activement ou passivement leurs gouvernements respectifs engagés dans le conflit. Des minorités s’opposent alors à la guerre, comme la « ligue spartakiste » en Allemagne et le « Comité pour la reprise des relations internationales » en France. La plupart des opposants à la guerre seront progressivement exclus de la « social-démocratie » (notamment l’USPD en Allemagne). Cette scission donne naissance entre 1915 et 1921 aux partis communistes dans toute l’Europe. Dès lors, la social-démocratie devient pour certains un terme péjoratif, les communistes qualifiant les sociaux-démocrates de « social-chauvins » pour avoir accepté la guerre de 1914-1918, et de « sociaux-traîtres », car « déviationnistes » par rapport au marxisme. Le terme de social-démocratie est alors assimilé à une dérive droitière ou centriste.

 A l’inverse du SPD, le PS n’a pas de lien traditionnel fort, spécifique et organique avec le syndicalisme. Après la reconnaissance du droit syndical en 1884, la Confédération générale du travail (CGT) se constitue en 1895 et adopte en 1906 la « Charte d’Amiens », qui consacre le principe de l’indépendance du syndicalisme par rapport aux partis politiques. De là découle cette absence de liens organiques entre partis et syndicats, qui distingue fortement le socialisme français de la social-démocratie de l’Europe du Nord.
Voici quelques années, lors d’un séminaire à Berlin sur un projet de directive européenne relative aux services publics, j’avais été frappé de voir la simplicité et l’aisance des relations entre mes camarades du SPD et les syndicalistes du DGB, sans confusion des rôles. Bien sur, les relations entre eux n’ont pas toujours été sans nuages, ni même sans heurts, en particulier pendant l’ère Schröder.
Autre différence de taille : le SPD a abandonné dès 1959, au Congrès de Bad Godesberg, la référence au marxisme et a accepté l’économie de marché. D’où le thème lancinant en France : « le PS n’a toujours pas fait son Bad Godesberg ». Certains contestaient évidemment qu’il faille le faire et le contestent encore aujourd’hui. S’affirmer « socialiste » c’était s’affirmer « plus à gauche » que les sociaux-démocrates. Au fond, le PS est demeuré longtemps prisonnier de son rapport de force avec le Parti Communiste. Electoralement, il n’est passé devant le Parti Communiste qu’à la fin des année 1970 avec l’arrivée à sa tête de François Mitterrand.
Encore aujourd’hui, le surmoi marxiste, communiste ou gauchiste pèse sur les esprits. Beaucoup moins qu’hier, mais il pèse quand même. Chaque fois que les socialistes se font critiquer par le PCF ou les gauchistes, il y a l’idée vague que nos critiques « de gauche » doivent forcément avoir raison. Cela tient peut-être à ce que le PS a plus de mal que d’autres à s’assurer comme parti d’élus.
Au début des années 1980, les socialistes français au pouvoir continuent à se démarquer de tous les autres partis sociaux-démocrates par leur politique de nationalisations, héritage de leur idéologie traditionnelle et du poids du Parti communiste français. Cependant, avec l’exercice du pouvoir le PS de Lionel Jospin marque une évolution idéologique au Congrès de Toulouse en 1985 en mentionnant « la culture de gouvernement ». Jacques Delors parle alors d’un « petit Bad Godesberg ».
Dans les années 1990, les difficultés électorales des partis sociaux-démocrates conduisent partout en Europe à des remises en cause doctrinales implicites ou explicites.
La fin des années 1990 voit la victoire d’une gauche jugée modérée en France (Lionel Jospin) mais jugée encore plus timide en Europe (Antonio Guterres au Portugal, Gerhard Schröder en Allemagne, Tony Blair et Gordon Brown au Royaume Uni, Romano Prodi, Massimo D’Alema et Giuliano Amato en Italie) et aux Etats-Unis (Bill Clinton).
En matière de doctrine, le PS ne franchit le pas qu’à son Congrès de novembre 2008, en adoptant une nouvelle déclaration de principes : « le Parti Socialiste est un parti réformiste ». C’est une étape non négligeable dans l’histoire du PS, même s’il ne faut pas y voir une adhésion à la social-démocratie telle que perçue depuis les années 1990. Ainsi, au moment du dépôt de la motion dont elle est co-signataire au congrès de Reims, Ségolène Royal, candidate du PS à l’élection présidentielle de 2007, déclare : «  Quand j’entends certains vanter les vertus en 2008 du modèle social-démocrate, je suis stupéfaite, car c’est un modèle périmé. C’est un nouveau modèle qu’il faut inventer. Avec une lucidité radicale sur de nombreux sujets ».
Les échecs successifs et massifs des partis sociaux-démocrates en Europe et la (riche) diversité interne du PS ne pouvaient effectivement pas conduire celui-ci à une intégration dans une social-démocratie de type « SPD » même s’il s’en rapproche. Cette nécessité du dialogue entre les sensibilités oblige à préciser une vision nouvelle. Dans sa déclaration de principes, le PS définit ainsi le coeur de son projet politique : « Il (le PS) porte un projet de transformation sociale radicale. Il sait que celle-ci ne se décrète pas, qu’elle résulte d’une volonté collective forte assumée dans le temps, prenant en compte l’idéal, les réalités et l’histoire (…).
Les socialistes refusent une société duale où certains tireraient leurs revenus de l’emploi et d’autres seraient enfermés dans l’assistance (…).
Les socialistes portent une critique historique du capitalisme, créateur d’inégalités, porteur d’irrationalité, facteur de crises, qui demeure d’actualité à l’âge d’une mondialisation dominée par le capitalisme financier (…)
Une tâche tout aussi importante est de réactualiser ce qui est l’apport propre du socialisme démocratique dans le siècle dernier, l’Etat social, qui permet aux réponses collectives de satisfaire les besoins individuels dans leur diversité ».
Autre rapprochement possible avec le SPD, l’inscription très nette par le PS du développement durable comme une priorité transversale, qui doit influer sur toutes les autres. Idéologiquement, l’écologie est un levier pour remettre en cause le capitalisme et un label de modernité. Le SPD était en avance sur ce point, dans un pays où l’écologie est depuis longtemps une priorité. La présidence actuelle de Sigmar Gabriel, ancien ministre fédéral de l’Environnement, est une manière de confirmer cette orientation.
Si le PS s’est rapproché de la social-démocratie sans l’épouser, le SPD a de son côté peu à peu modéré certaines orientations qui tiraient vers le social-libéralisme, notamment après le départ des principaux promoteurs du contesté « Agenda 2010 », Gerhard Schröder et Wolfgang Clement.
Pour contrer la montée en puissance de Die Linke, Kurt Beck a, lors de sa présidence, orienté le SPD dans le sens d’une ligne politique plus ancrée à gauche, remettant en question les réformes entreprises sous l’égide de Gerhard Schröder.
Mais ce revirement a fait long feu : dans le courant de l’année 2008, Kurt Beck a été renversé par l’aile droite du parti, qui l’a remplacé par Franz Müntefering. Proche de Gerhard Schröder et membre du gouvernement de grande coalition, celui-ci a ré-aligné le SPD sur des positions plus centristes. Ce nouveau revirement stratégique a été un échec : le parti s’est effondré dans les sondages et a obtenu plusieurs résultats catastrophiques : 20,8 % des voix aux élections européennes de 2009, des résultats très médiocres lors de trois élections régionales organisées un mois avant les élections fédérales, puis la défaite historique aux élections fédérales de 2009 (avec 23 % des voix).
Lors du congrès de Dresde en novembre 2009, le SPD a rénové l’ensemble de sa direction, en se plaçant sous la présidence de Sigmar Gabriel, et en s’ancrant plus à gauche, avec notamment une figure de l’aile gauche du SPD, Andrea Nahles, comme secrétaire générale. Notons d’ailleurs que parmi les nouveaux vice-présidents figure Klaus  Wowereit, maire-gouverneur de Berlin, à la tête d’une coalition avec Die Linke.
Une autre ancienne différence s’estompe avec le temps : la nature de « parti de masse » du SPD, alors que la SFIO puis le PS restaient des partis atrophiés. Aujourd’hui, les socialistes français lancent de grandes campagnes d’adhésions (actuellement 203 000 militants) et si le parti allemand compte encore plus de deux fois plus d’adhérents (539 000), il en a perdu considérablement depuis le milieu des années 1970 où il en comptait près d’un million. Souhaitons que ces deux partis re-ou deviennent tous deux des « partis de masse ».
De nouvelles convergences se font jour depuis quelques années, avant même la crise : sur la régulation du système financier, sur la nécessité d’une politique industrielle européenne, sur le « gouvernement économique » de l’Europe – même si l’expression fait débat, sur la nécessité de combattre les inégalités à la racine tout en reconnaissant les aspirations de l’individu. Les groupes PS à l’Assemblée Nationale et SPD au Bundestag sont convenus de présenter, chacun dans son Parlement, des propositions de lois élaborées en commun. Si nous y arrivons, comme je l’espère, ce serait une petite révolution.
Restent des différences qui sont culturelles autant qu’idéologiques. Voici quelques années lors de nos traditionnelles rencontres PS-SPD, les socialistes français avaient relaté dans le détail, avec fierté, les combats menés contre la régression de la présence postale sur les territoires. Nos camarades allemands avaient écouté avec sympathie, avant de nous dire qu’ils avaient mené quelques années auparavant le même combat, en vain, et que les usagers se trouvaient finalement plutôt satisfaits de commerces conventionnés pour remplir une partie des missions de la Poste. D’ailleurs en Suède le système est généralisé, comportant parfois des ouvertures 7 jour sur 7 avec de grandes amplitudes horaires.
Il reste aussi des différences, mais qui s’atténuent, sur la concurrence et les entreprises. Pour dire les choses simplement, les socialistes français sont plus critiques vis à vis de la concurrence que les allemands et plus généralement les sociaux-démocrates européens. Mais la crise a encore rapproché les points de vue sur la nocivité du capitalisme financier et sur les impasses de la régulation par le marché.
Même différence historique sur l’entreprise. Ni le PS ni le SPD ne voient évidemment l’entreprise comme le pur lieu de la lutte des classes. De même, ni le PS ni le SPD ne sous-estiment la nécessité de l’esprit d’entreprise ou ne méconnaissent le risque pris par les créateurs d’entreprise ou les entreprises innovantes. Mais le curseur était placé différemment, jusqu’à une date récente. En schématisant encore, on peut dire que le SPD est sans doute plus sensible aujourd’hui qu’hier à l’affrontement sur le partage de la plus-value et le PS français beaucoup plus conscient des impératifs de la compétition économique mondiale. Ce rapprochement n’est pas spectaculaire, mais je crois qu’il est profond.
Dernière différence : le service public. Ni les uns ni les autres ne méconnaissent l’importance du service public comme élément indispensable de solidarité et de justice. Mais pendant longtemps le PS français a eu tendance à identifier systématiquement service public et emplois publics. D’une manière générale, le PS « sacralise » beaucoup plus la notion de service public que ne le fait le SPD.
Néanmoins, à l’initiative en particulier des députés européens socialistes françaiss, un très gros travail a été fait depuis quelques années pour rapprocher les points de vue à l’intérieur de l’ensemble du PSE sur les « services d’intérêt général » (appellation européenne des services publics, d’ailleurs contestée par une partie de la gauche). Ce travail a abouti le 30 mai 2006 à une proposition de directive sur les services publics dans l’Union européenne.
Sur les services privés, le débat à propos de la fameuse directive « services » proposée par Frits Bolkenstein, avait bien montré le chemin qui restait à faire. Pour la très grande majorité de la gauche française (et un peu au-delà) la directive services représentait l’horreur absolue. Ce qui n’était pas le cas au même degré ailleurs en Europe. L’histoire est d’autant plus intéressante que c’est Evelyne Gebhardt, eurodéputée SPD d’origine française, qui comme rapporteur au Parlement européen a accompli un énorme travail pour améliorer le texte et trouver un compromis. Elle limitait le champ de la directive et en excluait les services d’intérêt général.
Le compromis finalement adopté n’a pas été aussi bien loin que le proposait Evelyne Gebhardt. La très grande majorité des socialistes français comme les socialistes belges ont voté contre le texte estimant que la directive pouvait s’appliquer à une partie des servives d’intérêt économique général (eau, assainissement) et à une partie des services éducatifs. Seul Gilles Savary s’est abstenu et Michel Rocard a voté pour.
Au total, PS et SPD se rejoignent peu à peu. Reste qu’il y a aujourd’hui, au PS comme au SPD, un débat larvé qui n’apparaît pas toujours clairement. S’agit-il pour les socialistes de corriger l’économie de marché ou de promouvoir un autre modèle de développement ? Dans le discours, le PS, pressé par sa base et par les autres forces de gauche, se déclare fortement pour la deuxième tenue de l’alternative. Dans la pratique passée, c’est beaucoup moins net. Qu’en sera t’il en France en 2012, au delà des postures ?
Il y a la pourtant un enjeu essentiel. Est-il possible, sans faire des promesses qu’on ne pourra tenir, de garder l’espérance « qu’un autre monde est possible » ? Je le crois. Pour y parvenir il faudra prendre des mesures qui tout en exigeant une forte volonté politique ne sont pas nécessairement coûteuses.
1/ Le pouvoir des travailleurs dans l’entreprise, à travers une information et une consultation en amont des des décisions stratégiques.
2/ La réorientation de la fiscalité en diminuant l’impôt sur les bénéfices réinvestis, en diminuant la taxation du travail et en accroissant la taxation du capital et de la rente.
3/ La réduction dans tous les domaines des inégalités les plus scandaleuses.
PS et SPD convergeront tout à fait lorsque l’un et l’autre auront réussi à porter une vision ambitieuse de la société et des propositions nouvelles qui correspondront au véritable socialisme du vingt-et-unième siècle. Pour cela, ma conviction est qu’il nous faut réaliser un effort d’imagination radical. Notre « nouveau modèle de développement » doit être d’abord politique au sens le plus fort du terme. Ici, la question de la démocratie est centrale. Elle conditionne l’implication des citoyens, la pleine mobilisation des énergies et, en définitive, notre capacité à changer. Je fais donc le pari que la démocratie jusqu’au bout, à tous les étages, sera la stratégie commune de changement, pour le PS comme pour le SPD. »

 


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