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Paul Krugman devrait arrêter la politique

Publié le 21 janvier 2011 par Copeau @Contrepoints

Il était une fois un économiste qui se transforma en political pundit. Beaucoup fut perdu dans cette métamorphose car si le premier était brillant et pédagogue, le second apparaît plus renforcer les certitudes de son camp que faire avancer le débat. Car ce que décrit aujourd’hui Krugman lorsqu’il parle politique, c’est un monde en noir et blanc.

Paul Krugman devrait arrêter la politique

Une évolution

Paul Krugman est un op/ed au New York Times depuis l’année 2000. L’auteur de ces lignes a eu le plaisir de le lire pendant des années les leçons bien senties de Krugman. Mais avec Bush à la présidence, Krugman a saisi le flambeau de la critique de la droite et ne l’a plus laché. Et l’économiste a dès lors suivi une pente au terme de laquelle on a du mal à reconnaitre l’ancien Krugman. Une pente aggravée par les acclamations de ses supporters et l’attribution du prix Nobel en 2008.

Intellectuellement et sur le plan économique, Krugman a changé : de soutien pédagogue de la mondialisation à une critique raisonnée ; de moqueur des adversaires du libre-échange à soutien de l’action de l’État. Krugman remarque en effet (et en gros) que la théorie de l’avantage comparatif n’invalide pas la faculté de l’État de développer une industrie de façon à développer un avantage comparatif relatif dans des domaines parfois qualifiés de « domaine à haute valeur ajoutée ». Ce faisant, l’État favoriserait la constitution d’un bassin de compétence liés à une industrie qui font que cette industrie va dès lors bénéficie d’un avantage qui va s’auto-entretenir.

Ainsi quelques pays intervenant judicieusement dans le processus industriel pourraient se placer de façon plus avantageuse que les autres dans la mondialisation, et attirer à soi les cerveaux.

Soit. Cette évolution économique ne contredit pas frontalement le premier Krugman, ce bon Krugman qui se plaignait des lacunes du public en les fondamentaux de l’économie tel que la connaissance de la loi de l’offre et de la demande, l’avantage comparatif…

En réalité cette évolution économique ne justifie pas l’irrésistible ascension du professeur Krugman. La raison de cette évolution est politique : Krugman est devenu l’ardent critique des politiques économiques de Bush fils. Et il est resté sur la ligne d’une critique permanente de la droite.

Comment Krugman est-il devenu la star du NYT ? Pour des raisons prosaïques : les lecteurs du NYT, tout comme ceux des autres journaux, ne cherchent pas l’information mais la caution de leurs préjugés. En Krugman qui avait acquis son aura avant le combat politique et se voyait couronné du Nobel, le lectorat de gauche a trouvé ce qu’il demandait : un professeur qui reformule avec un certain raffinement et autorité des critiques plus frustres contre la droite.

Krugman s’est donc retrouvé héraut de l’anti-droite et la star du New York Times (les articles de son blog sont largement diffusés). Mais au prix de devenir partisan et donc de perdre la généralité de son autorité. Au prix également de s’exprimer dans un domaine politique, qui n’est pas à la base le sien, et exposer en fin de compte des conceptions simplistes si ce n’est en noir et blanc.

Un monde en noir et blanc

Témoigne du nouveau Krugman sa réaction à la fusillade de Tucson. Tout comme la blogosphère de gauche, Krugman a immédiatement attribué l’attentat de Tucson au Tea party. Or de deux choses l’une, ou bien on relie le tireur de la fusillade au Tea Party et on critique celles-ci en conséquence, on bien on ne peut faire ce lien et il faut s’abstenir d’accuser son adversaire politique dans un grand wishful thinking.

Étant désormais acquis que le coupable est un aliéné enfermé dans une haine démente du système, les critiques se sont redirigés – comme les premiers observateurs les plus avisés l’avaient immédiatement fait – sur le problème d’une polarisation excessive du débat politique américain. En conséquence on tente de réparer désormais la fracture politique et faire en sorte que droite et gauche se reparlent. Ceci est fort louable mais remarquons que la révélation des motivations du tireur auraient plutôt du conduire à s’intéresser non pas au clivage droite/gauche mais à celui entre les personnes intégrées dans des mouvements politiques et les personnes désintégrées, qui se réfugient dans le nihilisme, la haine de soi et des autres, les théories du complot.

Mais les critiques visent la polarisation politique, c’est un fait donc tenons-nous-y.

Dans un article du 13 janvier, « A Tale Of Two Moralities », Krugman mentionne que le président Obama a appelé les Américains a se comprendre et se rappeler de ce qui les unit. Saluant ces belles paroles, Krugman ne peut s’empêcher d’en remettre une couche, sans même s’en rendre compte.

L’extrait suivant révèle que pour Krugman, droite ou gauche, c’est noir ou blanc :

One side of American politics considers the modern welfare state — a private-enterprise economy, but one in which society’s winners are taxed to pay for a social safety net — morally superior to the capitalism red in tooth and claw we had before the New Deal. It’s only right, this side believes, for the affluent to help the less fortunate.

The other side believes that people have a right to keep what they earn, and that taxing them to support others, no matter how needy, amounts to theft. That’s what lies behind the modern right’s fondness for violent rhetoric: many activists on the right really do see taxes and regulation as tyrannical impositions on their liberty.

There’s no middle ground between these views. One side saw health reform, with its subsidized extension of coverage to the uninsured, as fulfilling a moral imperative: wealthy nations, it believed, have an obligation to provide all their citizens with essential care. The other side saw the same reform as a moral outrage, an assault on the right of Americans to spend their money as they choose.

Après avoir lu cet extrait, on doit conclure que Krugman ne peut percevoir le camp adverse que par le prisme de son propre camp. Il semble oublier que la politique est un combat de paradigme et qu’il est dès lors absurde de comparer le camps à l’intérieur de son propre paradigme sans savoir que l’on caricature l’adversaire.

Pour nous amuser, je propose de reprendre entièrement l’extrait en renversant le paradigme. Observez bien le passage ci-dessus, que je transforme en le suivant :

Une partie des politiques américains estime qu’une économie de marché – une économie dans laquelle la valeur créée par les entrepreneurs et grâce au sacrifice des épargnants se répercute sur toute la société – est moralement supérieure au socialisme qui était courant avant la chute du bloc soviétique. Il est juste, ce côté croit-il, que ceux qui réussissent aident les moins fortunés.

L’autre côté croit que l’État doit prendre l’argent chez ceux qui le gagnent pour le donner directement à ceux qui le réclament, et que l’argent gagné en rendant des services à autrui et en créant des produits et innovations est au fond du vol. Voilà ce qui se terre derrière l’attirance de la gauche moderne pour la rhétorique de la violence : de nombreux activistes de gauche voient vraiment le marché et la liberté d’entreprendre comme des forces tyranniques contre leur liberté.

Il n’y a pas de compromis entre ces deux opinions. Un côté voit la réforme santé, avec le financement extensif de services de santé par l’État, comme injuste : les nations riches, croient-ils, sont prospères parce que leur système économique est celui d’une économie de marché, la réforme santé, en plus d’être destructrice du lien sociale et donc aliénatrice, attaque le système à la source de la prospérité. L’autre côté perçoit la même réforme comme un bienfait incontestable, et son opposition comme seule manifestation de l’égoïsme.

Le lecteur constatera que l’argumentation de Krugman est entièrement réversible avec une argumentation contraire à la sienne. Ceci en montre le caractère profondément partisan – et plus que ça : fermé à la vision du monde de l’autre.

On peut donc être star des colonnes de pundit du NYT sans savoir qu’en politique, notre adversaire ne vivote pas de le même cadre intellectuel que nous. À moins que ce soit précisément parce qu’il ne le sait pas que son public lui accorde ses lauriers et ses faveurs. Peut-être Paul Krugman devrait-il cesser ses articles vindicatifs contre le camp adverse et revenir à sa discipline. La crédibilité ou les fans, il faut choisir.


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