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Exposition : Photos du ghetto de Lodz

Publié le 22 janvier 2011 par Savatier

 De tous les ghettos de Pologne, c’est celui de Lodz qui aura connu la plus longue existence. Etabli dès février 1940, il ne disparaîtra qu’à l’automne de 1944. Par comparaison, le plus peuplé, celui de Varsovie, ne survécut pas à l’insurrection d’avril 1943. Des essais, des romans et des films de fiction ont rendu compte du quotidien des habitants des différents ghettos, mais peu de documents présentent un caractère plus saisissant que les 41 clichés rassemblés par le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon, dans le cadre de l’exposition Photos ensevelies du ghetto de Lodz qui se tient jusqu’au 13 février prochain.

Toutes ces photographies furent prises par Henryk Ross, l’un des rares survivants qui faisait fonction de photographe officiel du ghetto. Il profita de cette position unique pour réaliser clandestinement un grand nombre de prises de vue qu’il dissimula sous terre pour ne les exhumer qu’après l’arrivée des troupes soviétiques. Le choix opéré par le CHRD offre un témoignage glaçant de ce qu’était la vie – ou plutôt la survie –au sein de cet espace clos dans lequel s’entassaient 160.000 personnes. Le parcours muséographique propose ainsi plusieurs thèmes aussi complémentaires que significatifs.

Viennent d’abord des scènes extérieures, prises sur le vif : ici, des habitants au travail, transportant des machines à coudre (rappelant l’importance de l’industrie textile de la ville) ou portant les rouleaux de la Thora ; là un groupe d’enfants fouillant la terre à la recherche de débris de charbon, là encore, trois hommes posant devant un tas de pommes de terre, un groupement de la police juive marchant au pas. Parmi ces clichés, l’un montre un enfant tombé d’inanition gisant sur le trottoir dans l’indifférence générale ; à côté de lui, un autre enfant, à peine plus âgé, regarde l’objectif.

Plus loin, sont présentées des photos de déportés marchant vers les trains qui les conduiront aux chambres à gaz de Chelmno ou, plus tard, d’Auschwitz. Saisis en plein mouvement, ils portent des valises, des baluchons ; d’autres attendent, derrière la clôture d’une prison.

Le visiteur découvre ensuite de curieuses scènes quotidiennes, une mère embrassant son enfant, un couple d’amoureux surpris derrière un buisson. Si elles ne faisaient pas partie de l’exposition, on n’imaginerait pas leur provenance, tant elles semblent appartenir à la « normalité » et non à ce mouroir à ciel ouvert. Pas plus que cette autre prise de vue où trois jeunes hommes se jouent de la perspective devant le photographe, l’un semblant porter les deux autres au creux de ses mains. On remarque encore un étrange épouvantail installé dans les jardins de l’hôpital, qui ressemblerait assez à Roudoudou, le personnage qu’avait construit Antonin Artaud à l’asile de Rodez, si la veste qui le recouvrait ne portait pas l’étoile jaune.

Ces clichés ne sont pourtant pas les plus dérangeants. Une poignée, sélectionnée parmi beaucoup, sans doute, le sont bien davantage ; ils montrent les dignitaires du ghetto et leurs familles, insouciants et faisant ripaille tandis que ceux qu’ils étaient chargés d’administrer mourraient de faim. Se servir plutôt que servir… Même dans cette antichambre surpeuplée de la mort où tous étaient voués à un destin identique, deux classes cohabitaient, celle du commun, réduite à moins que le minimum, et celle d’une élite en sursis qui se préoccupait avant tout de son bien-être.

Etait-ce ainsi dans tous les ghettos d’Europe ? Si l’on en croit un incident qui eut lieu lors du procès d’Adolph Eichmann lors de la déposition de Pinchas Freudiger, un membre du Judenrat de Budapest, c’est fort possible. Des survivants hongrois reprochèrent en effet au témoin d’avoir, avec les autres membres du Conseil, sacrifié sciemment leurs coreligionnaires pour mieux protéger les leurs. Avec cette différence, peut-être, qu’à Lodz, le président du Judenrat, Mordechai Chaïm Rumkovski, joua un rôle encore plus controversé. Pour les uns, on lui devrait la longévité exceptionnelle du ghetto, dans la mesure où il avait forcé sa communauté à travailler pour les Nazis dans les usines qu’il y avait installées, ce qui militerait en partie en sa faveur, puisqu’il pensait que les Juifs de Lodz se rendraient ainsi indispensables.

Mais des témoignages de survivants, notamment Lucile Eichengreen (Rumkovski and the orphans of Lodz, Mercury House, 192 pages, 18 €), font surtout état de la mégalomanie d’un homme autoritaire à l’excès, faisant imprimer des timbres à son effigie, parcourant les rues en calèche, envoyant à la mort ses adversaires personnels et abusant sexuellement des jeunes filles qu’il était supposé protéger. Despote dérisoire d’un royaume éphémère. Sans doute n’est-ce pas un hasard si le surnom qu’on lui donnait alors était « Chaïm le Terrible ».

Si une seule photo de cette exposition représente sa devise « Unser Weg ist Arbeit » (Notre salut, c’est le travail), les médiateurs du centre, au cours des parcours guidés qu’ils organisent, tiennent à la disposition des visiteurs plusieurs photos de Rumkovski et quelques documents complémentaires du plus grand intérêt. Les tirages présentés au public ont parfois souffert, ils n’en restent pas moins un témoignage exceptionnel qui mérite d’être vu.

Illustrations : La ghettoïsation, dès le mois de mai 1940, s’accompagne de la mise au travail forcée, Lodz (Pologne) – Scène de déportation, le « quota de Juifs du jour » est conduit à la voie de garage du chemin de fer de Marysin, ghetto de Lodz (Pologne) – Mère embrassant son enfant, ghetto de Lozd (Pologne) – Enfants du ghetto réunis à l’occasion d’une réception organisée par les parents des plus riches d’entre eux, Lodz (Pologne) © Exhibition Henryk Ross/ Courtesy Archive of Modern Conflict/Chris Boot Ltd/ Agence VU.


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