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Agir ou contempler ?

Publié le 23 janvier 2011 par Jlhuss

a0366.1295684211.jpg A seize ans, je les aimais tous les deux. L’un m’invitait à « rester en repos dans une chambre », et ça me disait bien ; l’autre, de sortir vaillamment « cultiver mon jardin », et ça me tentait pas mal aussi. Le plus drôle, c’était d’apprendre que Pascal avait commencé comme Voltaire : surdoué, remuant, ambitieux, mondain ; et soudain crac ! sa nuit du 23 novembre 1654, illumination, conversion, « Joie, joie, joie, pleurs de joie » : on ne tirerait plus grand chose de lui du côté du monde. Je trouvais cela, prodigieux, et, au sens propre, ça l’est. Mais le baptême d’Arouet, entendez son baptême d’insolence, en janvier 1726, devant le chevalier de Rohan, au prix de la bastonnade, de l’embastillement et de l’exil en Angleterre, ça a de la gueule aussi ! Bref les deux me plaisaient, cette hésitation dure encore. C’est drôle de ne pas nettement savoir, au seuil de la vieillesse, s’il est plus beau d’agir ou de contempler, plus sage de faire ou de laisser filer, plus noble de courir ou de s’asseoir.

Arion


Pascal :    D’où vient que cet homme, qui a perdu depuis peu de mois son fils unique, et qui, accablé de procès et de querelles, était ce matin si troublé, n’y pense plus maintenant ? Ne vous en étonnez point : il est tout occupé à voir par où passera ce sanglier que les chiens poursuivent avec tant d’ardeur depuis six heures. Il n’en faut pas davantage. L’homme, quelque plein de tristesse qu’il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là ; et l’homme, quelque heureux qu’il soit, s’il n’est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement qui empêche l’ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans divertissement il n’y a point de joie, avec le divertissement il n’y a point de tristesse. Et c’est aussi ce qui forme le bonheur des personnes de grande condition, qu’ils ont un nombre de personnes qui les divertissent, et qu’ils ont le pouvoir de se maintenir en cet état. Prenez-y garde. Qu’est-ce autre chose d’être surintendant, chancelier, premier président, sinon d’être en une condition où l’on a dès le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée où ils puissent penser à eux-mêmes ? Et quand ils sont dans la disgrâce et qu’on les renvoie à leurs maisons des champs, où ils ne manquent ni de biens, ni de domestiques pour les assister dans leur besoin, ils ne laissent pas d’être misérables et abandonnés, parce que personne ne les empêche de penser à eux.
Voltaire :    Qu’est-ce qu’un homme qui n’agirait point, et qui est supposé se contempler ? Non seulement je dis que cet homme serait un imbécile, inutile à la société, mais je dis que cet homme ne peut exister : car que contemplerait-il ? son corps, ses pieds, ses mains, ses cinq sens ? Ou il serait un idiot, ou bien il ferait usage de tout cela. Resterait-il à contempler sa faculté de penser ? Mais il ne peut contempler cette faculté qu’en l’exerçant. Ou il ne pensera à rien, ou bien il pensera aux idées qui lui sont venues, ou il en composera de nouvelles : or il ne peut avoir d’idées que du dehors. Le voilà donc nécessairement occupé ou de ses sens ou de ses idées ; le voilà donc hors de soi ou imbécile. Encore une fois, il est impossible à la nature humaine de rester dans cet engourdissement imaginaire ; il est absurde de le penser ; il est insensé d’y prétendre. L’homme est né pour l’action, comme le feu tend en haut et la pierre en bas. N’être point occupé et n’exister pas est la même chose pour l’homme. Cet instinct secret de l’occupation étant le principe et le fondement nécessaire de la société, il vient plutôt de la bonté de Dieu, et il est plutôt l’instrument de notre bonheur qu’il n’est le ressentiment de notre misère . N’est-il pas plaisant que des têtes pensantes puissent imaginer que la paresse est un titre de grandeur, et l’action, un rabaissement de notre nature ? La dissipation est un remède plus sûr contre la douleur que le quinquina contre la fièvre ; ne blâmons point en cela la nature, qui est toujours prête à nous secourir.
* Le texte de Voltaire, qui vise directement Pascal, est originellement réparti en plusieurs notes,  ici rassemblées par commodité.

Blaise Pascal, Pensées, 1670

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