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La France condamnée par la CEDH pour ses prisons

Publié le 25 janvier 2011 par Unpeudetao

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu hier, à l’unanimité, des décisions condamnant la France pour ses pratiques pénitentiaires dans deux procédures engagées par des détenus avec le soutien de l’OIP. Tant le régime disciplinaire que les fouilles corporelles, ainsi que l’absence de recours effectifs afférents se trouvent aujourd’hui sous le feu des critiques des juges de Strasbourg.

Dans un premier arrêt (Payet contre France), la Cour condamne la France quant à son régime disciplinaire, et ce sur plusieurs plans. D’abord, sous l’angle procédural, elle estime que le requérant, puni de 45 jours de cellule disciplinaire en octobre 2007, n’a pas pu bénéficier d’un « recours effectif » pour contester cette sanction dès lors qu’il « ne se trouvait plus en cellule disciplinaire avant qu’un juge ait pu statuer sur sa demande ». Précisant que pour être « effectif », un recours doit « présenter des garanties minimales de célérité », la CEDH pose que « compte tenu de l’importance des répercussions d’une détention en cellule disciplinaire, un recours effectif permettant au détenu de contester aussi bien la forme que le fond, et donc les motifs, d’une telle mesure devant une instance juridictionnelle est indispensable ». Une telle formulation renverse directement la jurisprudence actuelle du juge administratif selon laquelle « la modification temporaire du régime de détention qui résulte [d’un] placement en cellule disciplinaire […] ne peut, en l’absence de circonstances particulières, être regardée par elle-même comme constitutive d’une situation d’urgence ». Autrement dit, la CEDH ouvre aux détenus punis de cellule disciplinaire la voie du référé (recours juridictionnel en urgence) en aménageant une présomption d’urgence que le Parlement avait refusé de poser à l’occasion de l’adoption de la loi pénitentiaire en novembre 2009.

Par ailleurs, la Cour estime que le requérant n’avait pas été « détenu dans des conditions décentes et respectant sa dignité » et avait par conséquent été soumis à un « traitement inhumain et dégradant » lors de son maintien dans une cellule disciplinaire de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne).
Les juges retiennent que selon le requérant, « les locaux étaient très dégradés, très sales, partiellement inondés en cas de pluie », que « l’espace vital laissé au détenu était de 4,15 m² environ » en cellule, que « le sentiment d’oppression était accentué par l’absence d’ouverture extérieure donnant à l’air libre et que l’éclairage électrique insuffisant ne permettait pas de compenser le manque de lumière naturelle pour lire ou écrire » et qu’enfin, « le détenu ne pouvait sortir de sa cellule qu’une heure par jour pour une promenade qui, compte tenu de la configuration des lieux, ne lui permettait pas de faire de l’exercice physique ». Bien que le quartier disciplinaire en cause ait depuis lors été fermé, il est à noter que cette décision va à rebours de la conception du juge national qui avait, à plusieurs reprises, refusé d’admettre l’existence d’un traitement inhumain à raison de l’état de ce quartier disciplinaire.

Dans un second arrêt (El Shennawy contre France), la Cour européenne critique avec fermeté les modalités et la fréquence des fouilles subies par le requérant à l’occasion de son procès devant la cour d’assises du Gard du 9 au 18 avril 2008. Ces fouilles pratiquées successivement par les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) de l’administration pénitentiaire et par les forces du groupement d’intervention de la police nationale (GIPN) étaient « opérées quatre à huit fois par jour ». Au cours de celles-ci, « en plus de la dénudation, le requérant devait accomplir une flexion et, en cas de refus, le faire au moyen de la force ». Ces fouilles « étaient pratiquées par des hommes cagoulés d’une part » et « elles étaient filmées d’autre part, en tout cas les premiers jours du procès ». Quand bien même elle « partage l’avis du Gouvernement selon lequel le passé et le profil pénal du requérant justifiaient des mesures de sécurité importantes lors des extractions vers la cour d’assises » la Cour considère que ces mesures, réalisées dans de telles conditions, ne reposaient pas « comme il se doit sur un impératif convaincant de sécurité, de défense de l’ordre ou de prévention des infractions pénales ». Alors même que « ces fouilles se [sont] déroulées sur une courte période », la Cour estime qu’elles ont caractérisé un traitement inhumain et dégradant.

Dans le même arrêt, les juges de Strasbourg critiquent le port des cagoules par les personnels des ERIS, pratique récurrente lors des interventions de ces unités spéciales. Alors même que le Gouvernement justifie cette mesure au nom de la protection du « personnel pénitentiaire contre les représailles », la Cour rappelle qu’elle a « récemment considéré avec inquiétude cette « pratique intimidatoire » qui, sans vouloir humilier, peut créer un sentiment d’angoisse » et « ne voit pas de raison de s’écarter de ce constat en l’espèce ». Reprenant ainsi à son compte les observations du Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe (CPT) qui est « en principe, opposé au port d’une cagoule par le personnel pénitentiaire en raison de l’impossibilité d’identifier les personnes concernées en cas de mauvais traitement ».

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Observatoire International des prisons :

http://www.oip.org/


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