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« Des gens très bien » Alexandre Jardin.

Par Manus

 « Des gens très bien » Alexandre Jardin.

                                         Photo du blog sblivres.free

Cher Alexandre,

Cela fait environ dix jours que j’ai lu votre carnet de bord, voire votre journal intime ou votre autobiographie.

Il arrive que, souvent, je dirais une fois sur trois, je ne chronique pas sur mon blog certains livres lus qui, probablement, me rejoignent dans les profondeurs et m’incitent à vouloir les garder pour moi.  Le vôtre fut sur le point d’appartenir à cette catégorie.

J’ai attendu avant de prendre une décision.  Chroniquerai-je « Des gens très bien » éd. Grasset, 2010, ou pas ?

Le recul m’était nécessaire.  Votre livre étant principalement émotionnel, je ne souhaitais y répondre à mon tour sur le même ton, par un émotionnel …  négatif.

De fait, en terminant sa lecture par les remerciements, je fus assez troublée.  Par l’évocation de la rafle du Vél d’Hiv, le 16 juillet 1942 qui coûta la vie à 12 884 personnes (dont 4051 enfants) (p11) mais aussi pour d’autres raisons.

Celles, notamment, d’éprouver une immense indignation et une terrible colère de vous lire de la sorte.  Un écœurement que le petit-fils de Jean Jardin, dit le Nain Jaune (directeur de cabinet de Pierre Laval du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943), et le fils de Pascal Jardin put, à ce point, trahir son propre ADN, sa lignée familiale, son sang, la mémoire de ses morts, en montrant d’un doigt accusateur et vengeur le criminel que serait le Nain Jaune, ou pas.

Si j’avais chroniqué ce livre plus tôt, c’aurait été pour y répondre à un niveau identique, à savoir, ne pas être en mesure de surmonter cet émotionnel le plus primaire et instinctif dénué de toute raison salvatrice.

Ce recul me fit entrevoir la possibilité de vous écrire une lettre – courrier envoyé par la poste à l’adresse de la maison d’édition de votre bien-aimé Jean-Paul Enthoven.  J’avais une chance sur 5000 que celle-ci soit lue par cette voie.  J’aurai peut-être une chance sur 3000 que ce billet, écrit sur le blog, glisse sous vos yeux.  Le Net a ses mystères.

Ma décision fut prise.  Je vous écrirai ici.

Quelques jours plus tard, mes premières réactions impulsives laissèrent place à la réflexion et à l’analyse.  Je pus commencer à approfondir cette grille.

Le premier point concerne Pierre Assouline.  Eh oui !  Je démarre par lui puisque votre livre l’évoque abondamment en ayant de cesse de nous rappeler l’amitié qui vous lie à lui, tout en terminant ce récit par un chapitre le concernant.

Justement.  Je serai brève sur ce sujet mais au nom de cette amitié, comment ne vous est-il pas venu à l’esprit que nous, lecteurs, en lisant sur plusieurs chapitres où vous mettez à mal ses qualités de biographes (p255 à 260 notamment), comment voulez-vous que nous lecteurs, comprenions cette amitié si vous le descendez publiquement ?

En tant que biographe d’ « Une éminence grise » paru en 1986 (p255) où il présente votre grand-père Jean Jardin, il semblerait, vu ce que vous lui reprochez, qu’il n’avait pas jugé l’homme, tel qu’il vous répond lors du dialogue (privé dans un restaurant) que vous nous avons la joie (ou le dégoût) de  lire :

(p 258)  « Parce que j’écris mes biographies en me mettant à la place de mes personnages ; en signalant les choses déplaisantes qu’il m’arrive parfois de trouver.  Or pour Jean Jardin, la rafle du Vél d’Hiv n’a pas été un événement important.  Il ne l’a certainement pas notée dans son agenda.  Conserver un chapitre à quelque chose de secondaire à ses yeux eût été un anachronisme. »

L’entretien continue.  Vous persistez en tant que petit-fils ; vous voulez qu’il avoue ; qu’il confesse que, oui, votre grand-père était un salopard.

Il ne le fera pas.  Son billet en réponse à votre livre appuie encore une fois les propos de jadis.

Outre l’agacement que l'on peut y déceler, on y perçoit également une déception.  Sans doute l’avez-vous blessé.  Il y a de quoi.  Vous mettez en doute à la face du monde ses capacités de biographe et sa lâcheté puisque lui aussi aurait hérité de la cécité (p259) de votre grand-père, de votre père et du peuple français.

Le second point, cher Alexandre, concerne votre colère, voire votre haine, que vous manifestez tout au long de ce carnet de bord.

Elle est contagieuse la colère.  Gare !  Mais si elle est contagieuse et dans votre cas sans doute nécessaire dans un premier temps, elle est aussi destructrice.

Le lecteur ne peut s’empêcher, en refermant la dernière page, de songer à un processus de deuil.

  1. Choc ou déni ; 2. Colère (et questionnements) ; 3. Marchandage ; 4. Dépression ; 5. Acceptation.

Vu sous cet angle le lecteur vous catalogue dans la deuxième étape de ce processus …

Nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, confrontés à notre passé, au poids de l’identité familiale, aux fautes de nos parents, et ce, à différents degrés.

En lien avec le transgénérationnel, certainement, mais aussi plus directement par la présence, morte ou vivante, de ceux qui ont jalonnés notre vie.

Rompre les liens, pour ne plus souffrir, pour se délier et retrouver une identité propre afin d'être en mesure de revenir en homme  neuf auprès de nos vivants ou de nos morts est le lot de tout à chacun.

Cette colère serait le processus sain d’une régénérescence en devenir.  D’une compréhension et de l’acceptation sans jugement aucun de cet autre.

Dépasser la colère (et donc la souffrance) pour admettre que tout être est doté de parts d’ombres et de lumières.

Comprendre les hommes qu’ils furent, mais que nous sommes également, à leur image.

Soit de manière universelle et singulière, nous sommes capables du meilleur comme du pire.

C’est en cela que Pierre Assouline a raison lorsqu’il évoque son métier de biographe.

Endosser la peau d’un autre signifie ne pas juger les zones d’ombres ni de lumières.

Car, l’expérience de la vie nous indique que nous aussi, nous aurions pu commettre l’irréparable.

Cet irréparable, où les gestes quotidiens - non-confrontés à une situation majeure ou difficile - dénotent pourtant des nuances de gris, aucunement totalement sombres. 

Actes quotidiens qui sont l’expression de notre inconscient et de notre conscience.

Ainsi, votre grand-père a-t-il peut-être eu connaissance de la rafle du Vél d’Hiv en tant que chef de cab.  Peut-être.  Rien n’est sûr car ni vous, ni les historiens n’ont pu jusqu’à ce jour prouver une quelconque culpabilité de Jean Jardin.  A part quelques entretiens que vous aviez eu avec votre ami Zac.

L’impossibilité de le condamner semblerait être de mise parmi les hommes.  Ce réquisitoire est une épée frappant une eau … profonde.

C’est oublier que Jean Jardin dit le Nain Jaune possède une conscience.  Et c’est lui, lui seul qui, à la lumière de Dieu aura à répondre de ses actes.

L’homme est ainsi fait que la complexité de son être ne peut souvent être comprise de lui-même.  D’où, qui sait, cette cécité que vous évoquez.

Il ne vous revient pas de juger vos morts, votre grand-père (et votre père).  Nul ne sait comment il aurait agi à sa place.

J’ai toujours cru que si j’avais vécu en 40-45, j’aurais fait partie de la résistance.  J’aurais fait preuve de bravoure.  J’aurais été une héroïne.  Aujourd’hui, j’en suis moins convaincue.  Je connais tant mes profondeurs abyssales sombres tout comme les lumineuses que j’ignore, à mon plus grand regret, si j’aurai été une collabo ou une résistante.  J’aimerais croire en la seconde hypothèse.

L’humanité est ainsi faite.

Cher Alexandre, votre livre ne repose que sur des « si » sans que rien ne puisse attester de la culpabilité de Jean Jardin.

Cher Alexandre, votre colère le lecteur l’a perçue, mais il pense que vous valez mieux que cela : allez au-delà de celle-ci.

Vous dites, lors d’une émission télévisée, à Tariq Ramadan :

« Oui.  Il y a comme un décalage entre ce que vous dites et ce que vous êtes, entre vos mots doux et la violence qui émane de vous.  J’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup d’amour en vous. » (p252)

Je passerai les coups de griffes radicaux et sans appel que vous adressez à l’égard des catholiques (p198) car vu la caricature que votre entourage vous a offerte, votre réaction est somme toute logique.  Mais je  ne peux que vous encourager, puisque vous nous confiez que vous trouvez un intérêt au Talmud et à la Torah, à persister dans cette voie.  Penchez-vous, si vous en avez le temps, sur la Kabbale… et j’oserais encore vous suggérer, de lire, un jour, le Nouveau Testament.  Le message qui y est véhiculé est lumineux.  La Kabbale tout comme le mysticisme catholique ont d’ailleurs de nombreux points communs : celui de l’amour de Dieu sans autres considérations.  C’est la spiritualité à l’état pure.

En conclusion, peut-on taxer ce livre de courageux et de nécessaire ?  J'en doute, même si la démarche de l'auteur aura incité à la réflexion sur les complexités de chacun et surtout, du Nain Jaune jusqu'à sa descendance encore vivante aujourd'hui.

Jacques Derrida :

« Le pardon requiert la mémoire absolument vive de l’ineffaçable, au-delà de tout travail de deuil, de réconciliation, de restauration, au-delà de toute écologie de la mémoire. »

v. Article de l'Express

v. Article de Pierre Assouline 

v. Article du Bibliobs.

v. Article du Monde.

Savina de Jamblinne.


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