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Total Khéops - Jean-Claude Izzo

Publié le 11 février 2011 par Berenice

Je ne connais pas Marseille. Mes premiers contacts avec cette ville datent de la primaire, alors que j'ânonnais en cours les noms des plus grandes villes de France. Mais jamais, petite, je ne suis allée dans le Sud. Jusqu'à peu, j'avais toujours évité le quartier sud-est de l'Hexagone. Fille de l'Atlantique, je me sentais peu concernée par la Méditerranée, hormis pour ses grands récits et son histoire plus tumultueuse que ses flots.

J'ai retrouvé Marseille à vingt ans, toujours en classe - d'architecture cette fois-ci. Nous devions voir la ville dans les romans, avec des classiques comme Nantes et La Forme d'une ville de Julien Gracq, mais aussi Total Kheops de Jean-Claude Izzo. Adieu langue classique, bonjour polar. Le prof aimait ce livre, c'était visible, si bien que je mis la référence dans un coin de ma tête jusqu'au jour où je le dénichais chez le bouquiniste.


Le ferry pour Ajaccio quitta la darse 2. Le Monte-d'Oro. Le seul avantage de mon bureau miteux de l'Hôtel de Police est d'avoir une fenêtre ouvrant sur le port de la Joliette. Les ferries, c'est presque tout ce qu'il reste de l'activité du port. Ferries pour Ajaccio, Bastia, Alger. Quelques paquebots aussi. Pour des croisières du troisième âge. Et du fret, encore pas mal. Marseille demeurait le troisième port d'Europe. Loin devant Gênes, sa rivale. Au bout du môle Léon Gousset, les palettes de bananes et d'ananas de Côte-d'Ivoire me semblaient être des gages d'espoir pour Marseille. Les derniers.
Le port intéressait sérieusement les promoteurs immobiliers. Deux cents hectares à construire, un sacré pactole. Ils se voyaient bien transférer le port à Fos et construire un nouveau Marseille en bord de mer. Ils avaient déjà les architectes et les projets allaient bon train. Moi, je n'imaginais pas Marseille sans ses darses, ses hangars vieillots, sans bateaux. J'aimais les bateaux. Les vrais, les gros. J'aimais les voir évoluer. (...)
Le ferry s'était engagé dans le bassin de la grande Joliette. Il glissa derrière la cathédrale de La Major. Le soleil couchant donnait enfin un peu de chaleur à la pierre grise, lourde de crasse. C'est à ces heures-là du jour que La Major, aux rondeurs byzantines, trouvait sa beauté. Après, elle redevenait ce qu'elle a toujours été : une chierie vaniteuse du Second Empire. Je suivis le ferry des yeux. Il évolua avec lenteur. Il se mit parallèle à la digue Sainte-Marie. Face au large. Pour les touristes, qui avaient transité une journée à Marseille, peut-être une nuit, la traversée commençait. Demain matin, ils seraient sur l'île de Beauté. De Marseille, ils garderont le souvenir du Vieux-Port. De Notre Dame de la Garde, qu'elle domine. De la Corniche, peut-être. Et du palais du Pharo, qu'ils découvriraient maintenant sur leur gauche.
Marseille n'est pas une ville pour touristes. Il n'y a rien à voir. Sa beauté ne se photographie pas. Elle se partage. Ici, il faut prendre partie. Se passionner. Être pour, être contre. Être, violemment. Alors seulement, ce qui est à voir se donne à voir. Et là, trop tard, on est en plein drame. Un drame antique où le héros, c'est la mort. À Marseille, même pour perdre, il faut savoir se battre.

Et moi aussi je me mis à aimer Marseille. Des mots brûlants, la violence de la vie, la tristesse de la mort et des amitiés enfuies.

Mais je ne connaissais toujours pas Marseille.

Cela changea en 2009. Suite à mon stage chez Mindscape, je trouvai un poste dans le Sud, à Hyères. Mon premier contact fut de neige et de palmiers. Indéniablement, j'étais ailleurs''.

Je dus un jour me rendre à Marseille pour le travail. Je partis avec une collègue dans ma Twingo. Voyage sans encombre, et même une place de stationnement proche du lieu de notre rendez-vous, du côté de la gare, à la Belle-de-Mai, une ancienne friche industrielle en reconversion. Nous étions en avance, et décidâmes d'aller prendre un morceau. Nous descendîmes la rue encombrée de voitures des deux côtés (les vertus du stationnement gratuit), tournâmes à droite, fîmes encore quelques deux-cents mètres jusqu'à un kebab. Attente, commande, attente... Et là, coup de fil : "Bonjour, je viens de retrouver votre sac dans la rue". En moins de 15 minutes, des voyous avaient remonté la rue entière, fracassant les vitres, forçant les portières et rayant les carrosseries.

De Marseille, finalement, je ne connais qu'un commissariat et qu'un réparateur auto. Et la gentillesse de certaines personnes.
Et une littérature noire, amère comme un café avalé à petites gorgées, qui arrache des grimaces mais réchauffe quelque part.


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