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« Quelques héros de romans »

Publié le 12 février 2011 par Jlhuss

On ne peut pas passer son temps à médire des économistes ou des climatologues. Pour changer voici  le pilote d’une série que j’intitule modestement : « Quelques héros de romans »
Chambolle

I - Il était trois capitaines

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Un Anglais, un Américain, un Espagnol et un Français, comme les mousquetaires mes trois capitaines sont quatre. Je dois bien ça au cher Alexandre Dumas dont on peut dire devant moi tout ce qu’on voudra, excepté qu’il n’avait pas le génie de douer ses personnages de souffle et d’humanité. Les quatre lascars que je vais vous présenter en sont abondamment pourvus. Chacun d’eux aurait pu, sans inconvénient, croiser le fer avec le brave Bussy près du château de Montsoreau, galoper, à la suite de d’Artagnan sur la route de Calais, partager un pâté d’anguilles avec le frère Gorenflot ou, en compagnie d’Ange Pitou, flanquer aux partisans de Barras la peignée qu’ils méritaient.
Les voici, tels que je vous souhaite de les rencontrer ou de les retrouver, au hasard d’une lecture. Trop occupés à  jouer les jeux de la guerre, de l’amour ou du hasard pour se gratter le nombril, il leur arrive de puer la sueur, le foutre et le sang, odeurs puissantes qu’emporte très vite avec lui, le grand vent de leurs aventures.
Je les aime tous également et l’ordre des présentations n’a rien à voir avec mes préférences qui, je l’avoue, varient si souvent qu’il ne serait pas raisonnable de s’y fier et puisqu’il faut commencer voici :

Capitaine Diego Alatriste.


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En temps normal, c’est à dire à la guerre, ce simple piquier dans les tercios de leurs Majestés catholiques Philippe III et IV n’a aucun droit au titre de capitaine. Ce grade lui a été décerné à titre officieux par des soldats sans emploi devenus gladiateurs professionnels. Comme eux, il occupe les loisirs que lui laissent les trêves, en exécutant, aux sens propre et figuré, les commandes qu’on lui passe. En effet, en ces temps d’honneur pointilleux et de justice sommaire, nombreux sont ceux, nobles ou bourgeois, qui n’ont ni le courage suffisant ni l’habileté nécessaire dans le maniement des armes blanches, pour expédier vers un monde meilleur l’objet de leurs haines ou de leurs vengeances. Moyennant réaux et maravédis pour indemniser les risques encourus dans des rencontres, généralement vespérales, ils sont sûrs de trouver sans difficulté un spadassin qui se chargera de le faire.
En vrai professionnel, Diego Alatriste ne se préoccupe pas de savoir pour quelle raison, il lui faudra provoquer Don Manuel ou poignarder Don Javier. Mais qu’on ne s’y trompe pas, si la question qu’il pose n’est jamais pourquoi, mais toujours combien, le capitaine n’est pas un vulgaire tueur à gages. Le décès d’un de ses compagnons d’arme l’a pourvu d’un fils adoptif prénommé Iñigo. Nous devons à ce garçon, le récit d’une vie mouvementée qui a conduit le capitaine des marais flamands, aux Presidios de la côte maghrébine en passant par Naples et les plateaux castillans. On y découvre un homme de nuances, accablé de nostalgie, mais auquel ses désillusions n’ont pas ôté le sens de L’humour et encore moins celui de l’honneur, de l’amitié et de l’amour. Suivez le dans les cachots de l’Inquisition, sous les murailles des places fortes flamandes, avec les corsaires du Levant ou dans les ruelles de Madrid. Reniflez l’odeur de cuir, de poussière et de gloire qui émane des pages écrites par Iñigo alias Arturo Perez-Reverte et, j’en suis certain, vous conviendrez que le Capitaine Alatriste mérite d’être accueilli à bras ouvert dans la taverne idéale où, étreint comme lui par la mélancolie, Athos vide des flacons de vin d’Alicante.

Capitaine Horatio Hornblower.


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Lui est bien capitaine. D’ailleurs il n’est pas que cela. Il a commencé dans la vie avec de lourds handicaps.  Un nom dont il sent tout le ridicule (une équivalence française d’Hornblower serait Latrompette ou Duclairon). Un physique, qui, du moins dans ses premières années ne l’avantagea guère (mais qui s’améliora très nettement avec les années) et une naissance qu’on qualifiera d’obscure. Malgré ce dernier et grave inconvénient dans la société de caste à laquelle il appartenait, Horatio fera une très belle carrière. Disons tout de suite qu’il l’a méritée. Même si pour l’essentiel, il gagna ses galons en bouffant de la grenouille napoléonienne, ce parangon des vertus maritimes anglaises force la sympathie. Son biographe, C.S. Forester, ne nous cache rien de ses hésitations, de ses pas de côtés et de ses erreurs.  Hornblower passe sa vie à être tiraillé par le doute et à n’en rien laissé paraître. Magnifique spécimen de la sous variété britannique d’humanité dont la devise est « never explain, never complain » les tempêtes qu’il affronte soufflent aussi souvent sous son crâne que dans les voiles de ses vaisseaux. A bord de la Lydia, du Hotspur ou du Sutherland, Horatio qui ne porte pas pour rien le prénom de Nelson, livre aux vagues, au vent et à ses propres faiblesses, une bataille permanente. On sait dès le départ qu’il en sortira toujours vainqueur, mais son créateur a le talent de nous faire croire qu’il pourrait tout aussi bien être défait. Accompagnez à son bord cet infaillible joueur de whist. A son école vous apprendrez à tout connaître des grands voiliers et de leurs équipages. Cachez comme lui votre vertige et montez à la pomme du grand-mât pour chercher, nord quart nordet, le minuscule carré blanc d’un corsaire  essayant de forcer le blocus de Brest. Partagez son étonnement gêné, en voyant la sœur de Wellington et la belle-fille du comte de Graçay succomber à un charme qu’il ne se soupçonnait pas. Regardez le, enfin, debout sur sa dunette, mort de peur et bouillant de rage. Il va bientôt se jeter à l’abordage et vous, vous allez courir derrière lui à l’assaut du Français, de l’Espagnol ou du Barbaresque qui, l’inconscient, est venu défier le meilleur des capitaines de la Royal Navy.

Capitaine Disko Troop.


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C’est le civil du quatuor.  Capitaine de la goélette Sommes ici de Gloucester, Nouvelle Ecosse, Kipling l’envoie pêcher la morue sur les bancs de Terre Neuve.
A la tête d’un équipage réduit dont il partage le labeur épouvantablement dur, son objectif est simple : remplir les cales de son bateau de poisson salé et être le premier à revenir au port pour  le vendre au meilleur prix. D’un abord aussi rébarbatif que la terre dont il porte le nom, il a, comme son collègue de la marine anglaise, le sens du devoir et celui de l’amitié virile. Comment il fera un homme d’un adolescent névrosé, complètement pourri par une mère évanescente et un père prisonnier de ses millions c’est ce que raconte un livre qui promène son lecteur dans les dangereux brouillards de l’Atlantique Nord entre icebergs et paquebots trop pressés. Si Disko n’a pas le même genre de richesse intérieure qu’Hornblower et Alatriste (ou alors, il la cache si bien qu’on ne la découvre jamais), il est d’une solidité de chêne. Si je devais à choisir quelqu’un avec qui partir à la grande pêche c’est avec lui que j’embarquerais. Un détail pour finir qui a son importance. Quand Disko compose son équipage, il ne se trompe jamais sur le coq. La cuisine servie à son bord est de toute première qualité. Sentez-vous l’arôme qui monte de la cambuse ? Une fois de plus, le cuisinier noir (doué du don de double vue, ce qui ne gâte rien) a préparé un de ses célèbres ragoûts. Bientôt la cloche du bord va piquer l’heure du dîner. Alors, épaule contre épaule, dans le carré du Somme ici les matelots vont remplir leur gamelle de morceaux de porc et de pommes de terre baignés d’une sauce onctueuse et odorante. Ensuite Manuel chantera un de ces airs qui font chavirer les jolies filles des îles. Dan sortira son accordéon. Tom Platt prendra son violon et, pendant qu’avec l’oncle Salters à la barre, le Sommes ici fera voile vers les brisants de la Vierge, vous vous sentirez le sommeil vous gagner en  regardant les rassurantes et larges épaules de Disko Troop, capitaine courageux, se balancer au rythme de la houle de l’océan.

Capitaine Jean-Roch Coignet.


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Un terrien ! Un vrai, et le seul qui ne doive rien à l’imagination sauf peut-être à la sienne. Bourguignon salé, né juste avant la grande révolution à l’ombre des tours en ruine du château de Druyes à une dizaine de lieues au sud d’Auxerre. Une enfance misérable où il joue, pour de vrai, au petit poucet et, à peine sorti de l’adolescence, il tire un mauvais numéro. Le voilà à l’armée. En avant pour plusieurs tours d’Europe, à pied, sac au dos, mousquet sur l’épaule et, enfoncé jusqu’aux oreilles, le bonnet d’ourson des grenadiers de la Garde Impériale. Quinze campagnes, cinquante batailles, l’aller retour Moscou Paris avec pour finir Waterloo et la honte du licenciement sur la Loire. Tout ça raconté dans son vieil âge sur des cahiers réglés à la main et qu’il remplissait page après page avec un grand respect des pleins et des déliés et un parfait mépris pour l’orthographe qu’il n’apprit qu’à trente trois ans, après Eylau, quand il reçut son galon de caporal. Sergent au retour d’Espagne et, pour finir et jusqu’à la fin de ses jours capitaine. Longtemps en demi solde et, par conséquent, obligé pour vivre de se faire épicier à l’ombre de la tour de Saint Eusèbe d’Auxerre. Regardez le  monter à l’assaut en chantant « On va leur percer le flanc, rantanplan tirelire… », galoper de toute la vitesse de son cheval pour porter les dépêches du Petit Tondu ou s’expliquer au sabre avec un des homards du Duc de fer. Jamais blessé, jamais malade sauf une tentative d’empoisonnement après que son Dieu l’ait décoré de la Légion d’Honneur. Foi de descendant du soldat Blanchard qui fit, lui aussi, le voyage Les Tuileries – le Kremlin, ces quelques centaines de pages écrites avec ses tripes de vieux de la vieille, valent toutes les autofictions du monde.


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