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Patricia Laranco (Île Maurice/France).

Par Ananda

Le grand Homme se matérialisa en haut. Son corps, ses bras étaient prolongés d’immenses pans, d’amplissimes membranes de soie qui chatoyaient et battaient, telles des ailes, avec un étrange bruit.

Oui, un son profondément étrange, dérangeant.

Je m’aperçus bientôt que c’était le bruit de la mer et le scintillement du Temps, entrelacés ensemble.

Un poids se faisait sentir, de plus en plus insistant, de plus en plus pesant, me broyant la poitrine.

La mer cherchait à se substituer à mon souffle.

Le grand Homme emplissait le ciel tout entier de son vol immobile- j’avais si mal aux tempes !

Je m’aperçus qu’une pierre tombale pesait sur moi. Une lumière indéfinissable montait de derrière les ailes déployées du grand Homme.
Cette lumière était gorgée de senteur, de souffle. Elle dansait, allait et venait à son gré, cela, je le savais- quoique rien ne me permît, pour être honnête, de le voir- ce qui s’appelle « voir ».

Il me sembla soudain que l’épreuve était finie.

L’instant d’horreur parut décalé, voire passé. Et cependant, inexplicablement, non ! j’étais encore, plus que jamais immergée en lui, en son absurdité bestiale et confondante, qui hachait ma respiration abrupte, oppressée.

Puis, soudain, l’air vibra, lourd d’intuitions humides.

Ces intuitions me disaient, clairement, que c’était l’avenir.

Pas de doute, elles vibraient comme seul, l’avenir peut le faire !

Brusquement, je me sentis rétrécir, rétrécir…dans le même temps que j’étrécissais, je me fluidifiais.

A la fin, je ne fus plus qu’une flaque d’eau toute mince. Je perçus ma voix qui voletait, indépendante. C’est vrai, qu’avait à faire une flaque d’eau d’une voix ?

Ce phénomène m’apparut logique, et acceptable.

L’Homme fouettait toujours furieusement de ses énormes ailes. Plus désormais de la soie, mais un tissu épais.

Ma voix non seulement voleta, mais s’enfuit. Prise en charge par des sortes de rails immatériels qui avaient, ce nonobstant, le pouvoir de rayonner. Et ils ne s’en privaient guère !

Ma voix maintenant orpheline de mon corps était assaillie d’une nostalgie térébrante…la nostalgie des chairs d’au dessous de la peau- la nostalgie d’une obscène, immonde machinerie.

Elle allait, comme un insecte tâtonne, butine. Se heurtant à des murs convexes, méandriques. Happée, ici et là, par quelque alvéole pâle qui, très vite, s’avérait tourbillonnant vortex.
Et puis elle descendit. Interminablement. Sous la surveillance des soleils noirs à l’affût, des fameux soleils noirs aux six jambes tordues, aux six jambes velues- qui palpitaient doucement comme s’ils étaient des ventres…mais c’étaient des soleils-ou des cristaux de suc, postés à la verticale, à califourchon sur des morceaux de toile usés jusqu’à la corde. Terrifiants de silence et d’immobilité…de potentielle menace.

…Et puis elle remonta. Le vortex la vomit. Non plus trou noir à présent, mais fontaine blanche.

Elle échappait au monde argileux et suintant. Elle surgit, se haussa près des champs, à l’air libre.

Manque de bol pour elle, il n’y avait plus de couleurs. Rien que des vagues échelonnées- et pétrifiées…à moins qu’il ne s’agît plutôt d’étagements de crêtes de glaise durcie (par la chaleur ?)

Le ciel était d’encre au dessus de ces gris morts, aussi bulleux, croûteux que des peaux que le zona ravage. Une lune à l’horizontale s’enchâssait.

Ma voix volante ensuite- et ce sans transition- se transporta dans les entrailles d’une vaste demeure, qu’elle entreprit de parcourir de pièce en pièce.

Il y eut des odeurs. Des odeurs circulaires. Qui attestaient le chaud. Quoique les meubles fussent froids, mais doux à embrasser-tels la truffe d’un chien…ou la joue d’un enfant.

Il y avait du soleil. Du linéaire soleil. Réparti par bandes (rares ).

Des masses de sombre miel. De caramel ambré.

De résine vitreuse. Opaques. Indélogeables.

Un cœur battit. Quelque part. Comme un profond tam-tam. Ma voix, sollicitée, se lança à sa recherche.

Il continuait de battre. D’où ce battement provenait-il ? A chaque fois qu’elle pénétrait une pièce, elle avait l’impression que c’était de la pièce suivante.


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