Magazine Musique

Don't be a Coconut

Publié le 15 février 2011 par La Trempe
  Julian Casablancas n’a jamais eu grand-chose à dire. On ne peut rien y faire, c’est ainsi. Seulement après en avoir été désolé pendant un certain temps, il faut un jour se résoudre à essayer de comprendre le pourquoi du comment. Pourquoi un type qui n’a rien -ou si peu- à « dire » nous « parle » tant, à moi comme à des millions d’autres jeunes gens un peu partout sur le globe? Serait-ce un symptôme générationnel? Avant toute chose, une légère mise au point s’impose. OK, le temps n’est plus aux rockstars utopistes souhaitant « crever avant de devenir vieux », les épingles à nourrices ne font plus flipper personne et l’esprit teen a depuis longtemps cessé de diffuser le parfum subversif d’antan. Autres temps, autres moeurs. That’s All Right (Mama). Toujours est-il que le rock des 00′s -s’il fut souvent plaisant- ne poussa personne à donner sa vie pour la « cause ». Qu’on se comprenne: je ne souhaite la mort de personne… Simplement je constate: le rock’n'roll n’est plus ce qu’il était. Compte tenu de son grand age, c’est d’ailleurs plutot bon signe. Manque seulement quelque-chose d’un peu exaltant, stimulant, prompt à nous tirer de notre lassitude post-moderne… Regardez par le hublot: le Titanic est à la verticale. Pourtant l’Orchestre continue à jouer comme si de rien n’était. J’exagère… mais à peine.   Faites entrer l’accusé A n’en pas douter, Julian Casablancas est l’une des plus grandes stars du rock de la décennie écoulée, peut-être meme la seule, assurément le leader charismatique de l’un des groupes les plus importants de ces dernières années. Car les Strokes, c’est Lui. « Les Strokes sont une démocratie et j’en suis le Président» se plait-il à répéter. Voilà qui a le mérite d’être clair. Il est difficile d’en dire autant du personnage…   Fils de John Casablancas, brillant entrepreneur d’origine catalane fondateur de l’agence de mannequins Elite(bronzage et sourire étrangement suspects) et d’une ex-miss Danemark, Jeanette Christensen, blonde élancée aux faux airs de femme fatale, le petit Julian grandit à New-York durant les années 80. Jusque là, rien a signaler. Viennent ensuite les 90′s et l’adolescence. Dès lors, toutes les extrapolations sont permises. De mon coté, j’ai grand plaisir à imaginer le jeune Casablancas égaré parmi le gotha du Manhattan mondain, baignant dans une atmosphère digne de Sofia Coppola: un brouillard esthétique où la vacuité prend des allures de luxure… L’intéressé, lorsqu’il s’agit de parler de sa jeunesse, évoque quant à lui plus volontiers le « Kids » de Larry Clark. Quoi qu’il en soit, le non-sens et la débauche finissent toujours par revenir sur la table. Le gamin développe d’ailleurs très jeune une profonde addiction à l’alcool. Pas de doute, on tient le genre de boutonneux prêt à inscrire « Je néant vide rien » sur un coin de son sac à dos. Passée l’adolescence, tout s’accélère et l’histoire du new-yorkais va faire le tour du monde -Wikipédia est là pour vous la raconter- de la naissance des Strokes en 1998 à leurs récents différends, en passant par le carton critique et public de leur premier opus, Is This It, d’ores et déjà célébré comme un incontournable de l’Histoire du rock. Oui, chez les Strokes, il y a un talent évident. Des parties de ping-pong guitaristisque incroyables de fluidité auxquelles s’adonnent Albert Hammond Jr et Nick Valensi à la frappe sèche et millimétrée de Fabrizio Moretti, leurs chansons s’écoulent parfaitement, sans accrocs, réglées comme du papier à musique. A l’origine d’une telle réussite se trouve sans conteste Julian Casablancas, compositeur hors pair et frontman irrésisistible au magnétisme proprement impressionnant… mais vain?   Hard to explain Jadis, les choses étaient limpides. Au siècle dernier, on pouvait en effet compter sur un archétype bien établi, celui de la rockstar générationnel représentant bien plus qu’un simple type chargé de beugler dans un microphone: John Lennon, Jim Morrisson, Sid Vicious, Ian Curtis, Kurt Cobain et tant d’autres… Ces rockeurs, consciemment ou non, incarnaient à merveille les craintes et les espoirs d’une bonne partie des kids de leur époque. A partir de là, les maisons de disque se baffraient, les critiques critiquaient, les groupies hurlaient, les gens sérieux parlaient de « phénomène de société » et tout le monde était content. Mais désormais, tout porte à croire que ce modèle n’est plus guère envisageable. Comme si les leaders éléctriques étaient passés de mode… Casablancas le confesse à sa façon: « That’s all I am, I’m just a simple guy who talks when you put a microphone in front of him », au risque de récolter les critiques… Alors qu’en définitive, tout est probablement beaucoup plus subtil. Et si ce fameux « rien » valait d’être entendu? Prenez ces quelques lignes, écrites en 2003: « I don’t want to change your mind, I don’t want to change the world. I just want to watch it go by, I just want to watch you go by. » (Under Control)   Casablancas n’est certes pas Leonard Cohen, n’empêche qu’il capte le malaise des années 2000 comme personne. Seulement il avance masqué, pointant le vide qui nous entoure par bribes diffuses, ça et là, au détour d’un couplet, d’une punchline l’autre: « I want to be forgotten, and I don’t want to be reminded » (What ever happened?), « I’ve got nothing to say » répété tel un mantra sur Ask me anything, « I got a mind full of blanks » (11th Dimension), « An entire generation that has nothing to say » (Red Light), ), « To me my life it just don’t make any sense » (Barely Legal),… C’est ainsi, sous des allures de poseur artificiel, qu’il incarne magnifiquement l’ère du rien. Croulant sous le poids des grandes figures new-yorkaises d’un autre temps, perspicace quant à la faible portée de ses propos au milieu du flux incessant d’informations caractérisant notre époque, Julian n’a eu de cesse de miser sur l’apparence, sur le panache, en un mot sur le style. Trop conscient qu’il faut désormais une belle coquille pour chanter le vide. Simple spectateur, il n’y a chez lui, contrairement à d’autres, aucune ardeur particulière à se revendiquer du nihilisme ou d’un quelconque mouvement de pensée. En fin de compte, c’est simple: tout doit glisser sur son enveloppe, rouler négligemment sur sa « surface glacée », commencer et finir en un coup sec de guitare distordue. Et si la coquille se fissure, si elle craque? Il en sort alors quelque-chose d’étrange, une sentence amère, à méditer, un drôle d’ultimatum à l’intention de toute une génération: « Harmless children / We named our soldiers after you / Don’t be a coconut / God is trying to talk to you»    

Retour à La Une de Logo Paperblog