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Pourquoi on aime tant les joues chez Janacek et Proust ? (”Jenufa”, opéra crée en 1904)

Par Jazzthierry

Crée en 1904 et joué douze ans plus tard à Prague, il a fallu attendre seulement 1981, pour voir enfin “Jenufa” à l’Opéra de Paris. Il va donc sans dire que Proust, grand admirateur de musique et d’opéra, ne connaissait pas “Jenufa” et pourtant, j’ai beaucoup pensé à lui en découvrant cette oeuvre… Dans la vidéo publiée, nous sommes à la fin du premier acte; deux dialogues se succèdent qui ont Jenufa pour pivot: un premier avec son amant Steva et le second avec le demi frère de celui-ci, Laka, lui aussi amoureux et surtout très jaloux. Ces deux moments s’enchaînent brutalement, c’est-à-dire sans transition, à l’image de la musique de Janacek. D’abord contrariée, car Steva est certes beau mais il est volage et souvent ivre, Jenufa ne peut s’empêcher de tomber sous le charme de ses yeux bleus et au premier sourire, de tout lui pardonner. Steva de son côté, ne se lasse jamais de caresser les joues irrésistibles de Jenufa, “rouges dit-il, comme deux pommes”.

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C’est ici que nous croisons Proust puisque chez le narrateur de la “Recherche du temps perdu”, on peut véritablement parler d’une obsession des joues… Lorsqu’il évoque son enfance, celui qui longtemps s’est couché de bonne heure, associe déjà dans une métaphore, les joues à son oreiller: “j’appuyais tendrement mes joues contre les belles joues de l’oreiller qui pleines et fraîches, sont comme les joues de notre enfance”. Remarque qui me rappelle le portrait de Kate Moss par Lucian Freud en 2002, nous montrant le célèbre mannequin en train de s’appuyer sur un oreiller qui avec ses plis, est une métaphore évidente de la peau. Ensuite, le narrateur va nettement plus loin: dans “Un amour de Swann”, les joues ne représentent plus seulement la douceur, un sentiment de quiétude, de bien-être ou de confort mais est plus directement associé au désir du corps féminin. C’est d’ailleurs le critère fondamental pour estimer la beauté d’une femme ou sa laideur… Par exemple quand Swann rencontre Odette, qui deviendra plus tard Mme Swann, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne la trouve pas du tout à son goût. Le narrateur évoque “la plus où moins bonne qualité de ses joues”, ou encore ses cheveux le “long de joues fatiguées”. Il explique que pour trouver jolie sa figure, Swann était dans la nécessité de “limiter aux seules pommettes roses et fraîches, les joues qu’elle avait si souvent jaunes, languissantes, parfois piquées de petits points rouges…”.

Fort heureusement, Chez Janacek, les joues ne sont pas jaunes et Jenufa se plait à les caresser elle-même en songeant probablement aux mains douces de son amant. C’est justement le moment que choisit Laka, l’homme jaloux, pour lui faire une scène et armé de son couteau, la défigurer. Dès lors la vie ne sera plus comme avant pour Jenufa dont les joues ressemblaient à des pommes…


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