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Guerre économique : un cas d'espèce

Publié le 17 février 2011 par Egea

Le lecteur habitué d'égéa aura senti que j'étais réticent au concept de guerre économique : en effet, je crains un trompe-l'œil intellectuel, une perspective qui décrit mal la réalité.

Guerre économique : un cas d'espèce

Et pourtant, l'économiste que je suis, et le géopolitologue itou, examine (comme vous) notre environnement. Et ce qui est en train de se passer, en RCI, me paraît extrêmement instructif. Derrière le cas d'espèce, on aperçoit des considérations stratégiques passionnantes, et nouvelles.

1/ En effet, dans un article du Monde d'hier, lisible ici (p. 3), Philippe Bernard explique que les entreprises françaises sont extrêmement gênées par le choix qu'on leur demande de faire.

2/ Il a déjà été signalé, dans ces colonnes, la double stratégie "du temps contre le temps" adoptée par les deux protagonistes, A. Ouatarra et L. Gbagbo.

3/ Cet angle stratégique voit surtout deux logiques :

  • l'une classique, politico-militaire (Gbagbo) ;
  • l'autre nouvelle, politique aussi mais surtout économique (Ouatarra). En fait, dans cet affrontement, A. Ouatarra a choisi une guerre "économique" au sens premier, pariant sur la maîtrise des circuits financiers pour étrangler son adversaire.

Face à une force brutale, on assiste en fait à une stratégie de contournement, à une guerre irrégulière : mais au lieu de se placer dans le registre de la violence, comme les autres guerres irrégulières, elle se place sur le terrain économique. Je ne crois pas que cette innovation stratégique a été assez remarquée.

4/ Venons en à "nos" entreprises. Notons que les sociétés américaines, visiblement, collaborent avec la stratégie Ouatarienne : Cargill, un des principaux acheteurs de cacao, vient ainsi de cesser ses activités en RCI (voir ici). Nos Bolloré et Bouygues tergiversent. C'est qu'ils ont beaucoup à perdre, car personne ne peut aujourd'hui leur dire qui va gagner. Comme quoi, des entreprises très éloignées des considérations stratégiques se trouvent subitement dans des embarras incroyables : si seulement elles prenaient conseil auprès des géopolitologues....! on a toujours besoin d'un vrai stratégiste auprès de soi (ce qu'il ne faut pas faire pour trouver des débouchés à tous nos jeunes étudiants en stratégie...8-)))

5/ Blague à part, on constate dans ce cas présent une limite de la géoéconomie de papa. En effet, celle-ci considérait que dans le monde mondialisé et fukuyamien (fin de l'histoire et triomphe du système libéral ), les rivalités subsistaient mais par le biais de la concurrence entre entreprises mondialisées (cf. Robert Reich, par exemple, que j'ai déjà cité l'autre jour). Le propos a heureusement gagné en profondeur, d'une part en incorporant l'accès aux ressources, puis, récemment, à l'issue de la crise et avec le déclin du modèle américain, en posant la question du retour d'une certaine régulation, et donc d'une coopération entre des puissances publiques et des entreprises nationales.

6/ Au point qu'on retrouve, derrière le slogan de patriotisme économique, des équations simples (simplistes ?) : ce qui est bon pour GM est bon pour l'Amérique, ce qui est bon pour Total est bon pour la France. Cela explique la transformation de tous les dirigeants des pays occidentaux en super VRP. Tous pour un, donc.

7. Mais cette équation est-elle une bijection, ou une simple injection? autrement dit, si cette "guerre économique" justifie le "tous pour un", justifie-t-elle également le "un pour tous" ? et plus précisément, Bouygues et Bolloré qui ont, en leur temps, bénéficié du soutien français, doivent-elles désormais suivre la ligne politique française (soutien à Ouatarra) au risque d'y perdre de l'argent et un marché ?

8/ Je confesse n'avoir aucune réponse claire à cette question de principe. A tout le moins me semble-t-il intéressant de poser le problème en ces termes, car ils renouvellent, me semble-t-il, l'appréhension de cette question de la guerre économique.

O. Kempf


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