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Olivier Despouys

Publié le 18 février 2011 par Jul

Alors que la photographie s'est démocratisée à vitesse grand V ces dernières années, pour le meilleur et souvent pour le pire, certains résistent encore aux sirènes du marketing, au profit d'une passion sincère et simple de la photo. Ingénieur de formation, découvert lors du Salon de la Photo 2010 où il était exposé en tant que lauréat du concours Ilford, Olivier Despouys est un de ceux-là. Il accepté d'en dire plus à travers une interview.

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Les géométries ordinaires #12 © Olivier Despouys

Comment en êtes-vous venu à la photo?

Je ne sais pas dessiner... il me fallait donc un palliatif! Plus sérieusement, je ne sais pas très bien comment s'est fait le déclic, mais ce dont je suis sûr, c'est qu'arrivé à trente ans, j'ai ressenti un manque lorsque j'ai mis entre parenthèses mes anciennes activités en photo-club. C'est là que j'ai appris à faire des tirages en N&B sous l'agrandisseur. Cela m'a permis aussi de rencontrer des gens sympas qui aiment transmettre leur savoir-faire et leurs connaissances en photo. Mais pour être honnête, le manque que j'ai ressenti lorsque j'ai arrêté de fréquenter le photoclub provenait du manque de photo, plus que du club. Quant à définir ce manque, ou ce qui a provoqué cette passion à un moment donné pour la photo, je ne le sais toujours pas: cela reste très confus dans mon esprit.

Quel appareil utilisez-vous?

Après avoir utilisé des réflex argentiques puis numériques, j'ai fini par me fixer sur des appareils moyen-format en argentique : d'abord un Mamiya C330 que je conserve précieusement, et à présent un Hasselblad 501CM. J'utilise des focales fixes souvent courtes (l'objectif 65mm est mon favori, ce qui correspond à un 35mm au format 24x36). Différentes raisons au choix de ces deux appareils: le modelé et la progression du flou qu'offre le moyen format par rapport au 24x36 cm; ensuite, les agrandissements, que permet le moyen-format, sont aussi un autre gros avantage à mes yeux; la possibilité de cadrer au format carré, mon format de prédilection; et pour finir, parce que ce sont de beaux objets, inusables, lourds, en métal et cuir, vintage, indémodables... bref, j'y suis bien plus attaché que je ne le serai jamais avec un appareil numérique, dont les performances sont dépassées après six mois d'existence!

Ces appareils vous apportent aussi sur le plan esthétique?

En effet, et c'est un des points les plus importants. Je pratique une photo "lente", c'est-à-dire qu'il me faut un long moment passé à tourner autour d'un sujet ou d'un lieu, partir, y revenir, imaginer un agencement qui produirait une image forte, attendre que les différents éléments constitutifs de la photo se mettent en place comme je le souhaite. En général, je mets à contribution des passants sans qu'ils ne s'en aperçoivent! Il m'est impossible de déclencher en moins de quelques minutes. Et le temps qu'il me faut pour faire une photo avec ces vieux appareils est du même ordre, compte tenu de tous les réglages manuels à réaliser; ils m'imposent donc cette lenteur qui m'est salutaire pour chercher une composition appropriée. Enfin, pour ce qui est du format carré, j'avais naturellement tendance à recadrer en carré mes images. La composition d'une photo, l'équilibre des masses, leurs correspondances sont pour moi les éléments prépondérants d'une bonne image; je trouve que ce format est celui qui se prête le mieux à une composition solidement bâtie. Mais en contre-partie, il ne pardonne pas les approximations!

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Portraits impromptus #3 © Olivier Despouys

Qu'est-ce que la photographie pour vous? Qu'exprimez-vous à travers ce médium?

Quand je prends une photo, je recherche souvent face à un sujet des compositions singulières, des points de vue radicalement différents du point de vue habituel. L'idée est de montrer les choses autrement que telles qu'on les voit habituellement: on les envisage alors différemment, en leur prêtant à nouveau attention comme s'il s'agissait d'une nouveauté. Cette conception de la photographie m'est venue la première fois que j'ai vu "Wind swept beach, Calais, France" de Michael Kenna (1999): un simple filet au sommet d'une dune, un élément en plastique que le regard cherche normalement à fuir, comme toute autre trace humaine qui dénature un paysage, est ici magnifié, révélateur d'un certain modelé, transformé en une voile graphique plantée dans le sable. Cette photo a joué pour moi un grand rôle dans ce que peut faire la photographie: une capacité à transformer le réel, mais aussi, pour le photographe, à trouver de la beauté dans l'anodin voire dans ce qui est communément considéré comme inesthétique. La photo devient alors une forme de sensibilisation du spectateur, lui ouvre les yeux sur des détails anodins par le biais de techniques propres à la photo: contrastes, saturation, brillance, pauses longues. Mais je ne prétends pas que mes photos inciteront les gens à adopter un regard esthétisant sur le monde... même si quelqu'un m'a avoué une fois que mes photos et nos discussions l'y avait aidé: j'ai alors éprouvé une certaine fierté, mais c'est probablement l'exception qui confirme la règle! Je vois aussi la photo comme une manière de rendre tangibles des choses imaginées, à travers une activité plus accessible et facile d'usage pour le grand public que peut l'être la peinture, par exemple. C'est un moyen de se mettre temporairement hors du monde tel qu'il est: ce que je cherche à montrer à travers mes images n'est pas la réalité telle qu'elle nous apparaît, mais telle que j'ai voulu la voir.

Sur votre site, on remarque que dans vos photos récentes, la plupart sont en noir et blanc, alors que dans les anciennes séries, il y a plus de photos en couleur. Méfiance vis-à-vis de la couleur, ou goût pour les contrastes du N&B?

Disons qu'il y a eu une évolution: les anciennes galeries regroupent des photos réalisées avec un réflex numérique, qui m'a permis d'apprendre et d'expérimenter diverses choses bien plus facilement que je ne l'aurais fait en argentique, ne serait-ce que parce qu'une fois le matériel acheté, on peut mitrailler n'importe comment sans avoir à penser au coût de développement... Parallèlement à l'apprentissage technique, j'ai commencé à m'orienter vers mes thèmes actuels (architecture, paysages, solitude urbaine, graphisme) et vers la tonalité associée à mes photos. Cette évolution esthétique résulte des différentes expositions, des livres, des sites de photo que j'ai vus et qui m'ont petit à petit orienté vers un certain type de photo, et donc vers un rendu qui lui est associé et qui s'exprime mieux en noir et blanc. Ce choix permet, à mon sens, de mettre en avant ce à quoi je suis le plus sensible: la composition, le graphisme et la lumière de la scène. Pour moi, faire des photos en couleurs n'est pas nécessairement plus dur, j'en fais aussi par moments, mais se justifie beaucoup plus difficilement, compte tenu de ce que je veux donner à voir.

Quelles sont vos influences?

En premier lieu, Michael Kenna, pour les raisons citées plus haut. Viennent ensuite des photographes "d'errance", tels Josef Koudelka; d'architecture (Walter Niedermayr, Lucien Hervé, Sugimoto); de rue (Ray K. Metzker); de l'imaginaire (Roger Ballen, Francesca Woodman); je citerai aussi André Kertesz. J'ai un intérêt très prononcé pour l'architecture moderne, qui est l'un de mes thèmes favoris. Certains architectes m'inspirent par leurs réalisations et par leur façon d'envisager l'espace, les volumes, les perspectives: mes favoris sont Santiago Calatrava, Oscar Niemeyer, Frank Gehry et Le Corbusier. Si j'avais assez quelques mois de temps libre et assez d'argent, je partirais faire un tour du monde dont le fil conducteur serait la photographie de leurs oeuvres...! J'apprécie aussi Schuiten, architecte de formation et auteur de BD, dont les univers graphiques m'ont fortement impressionné. Enfin, la musique joue un rôle très important pour moi, dans la mesure où elle contribue à créer une ambiance en adéquation avec l'état d'esprit que je recherche lorsque je me promène avec mon appareil photo; dernièrement, c'est le morceau "Nantes" du groupe Beirut qui revenait dans ma tête lors de mes vagabondages photographiques.

Les photographes que vous avez cités sont quasiment tous des adeptes du noir et blanc... Vous n'aimez donc pas la couleur?

Si, si... je l'apprécie! Je n'ai pas de problèmes avec la couleur, et j'aurais d'ailleurs pu donner quelques noms de photographes de la couleur (Saul Leiter, par exemple)... Mais la couleur nous rapproche trop souvent du monde réel, tel qu'il est, tandis que le N&B permet de mettre en avant un côté souvent plus poétique, ou des éléments auxquels on est naturellement moins attentifs (la qualité d'une lumière, par exemple, une texture, ou une matière). C'est le N&B qui est généralement (mais pas exclusivement!) le mieux adapté à ce que je veux retranscrire, et c'est donc auprès de photographes N&B que j'ai tendance à aller chercher mes influences.


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Souvenirs imaginaires #7 © Olivier Despouys

Avez-vous déjà exposé votre travail?

Ma première exposition remonte à 2006: il s'agissait du prix remporté lors du concours Jeunes Talents, maintenant disparu. J'ai également participé à plusieurs expositions collectives avec mon photo-club, notamment dans le cadre du festival Photo Divers de Levallois-Perret. J'ai également pu préparer des expositions personnelles à la Galerie Daguerre (Paris) et dans la sympathique librairie La Boîte à lettres (Asnières). Enfin, il y a eu le concours Ilford. Lorsque le Prix du Jury N&B a été relancé, je disposais d'un stock assez significatif de photos N&B. La première année, je n'ai pas osé candidater, attendant de voir le niveau et surtout quels types de photo seraient retenues; au résultat, j'ai trouvé que les goûts du jury était suffisamment variés pour que j'aie ma chance... J'ai donc candidaté deux années consécutives, en 2009 et 2010, et ai été lauréat ces deux années-là. Mais je ne postulerai sans doute pas en 2011, d'abord parce que j'ai un peu laissé mes activités photographiques en plan depuis un an; et puis, je ne vais quand même pas harceler le jury une troisième année consécutive avec les mêmes photos! Il faut aussi dire que je suis extrêmement lent à produire des photos. Les bonnes années, il m'arrive d'en sortir une dizaine au maximum... Je ne peux donc pas exposer très souvent! Mais lorsque j'en ai la possibilité, c'est un formidable moyen d'avoir un retour sur son travail, avec un point de vue parfaitement extérieur à ma vision d'auteur. Il en résulte parfois des points de vues très différents de ce à quoi je m'attendais, mais ce sont précisément ces réactions et ces avis externes qui sont intéressants, et peuvent amener l'auteur à reconsidérer certaines images différemment.

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Nature morte #1 © Olivier Despouys


Pour en savoir plus sur Olivier Despouys :

http://www.carpelucem.fr/


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