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De “Woyzeck” à “Wozzeck”

Par Jazzthierry

Lorsqu’on découvre “Wozzeck”, l’opéra d’ Alban Berg crée en 1925 à partir de la pièce de Georg Büchner (1813-1837), on est à la fois stupéfait par cette musique extraordinaire composée par ce disciple de Schoenberg, laquelle oscille savamment entre consonances et dissonances, puis le texte de Büchner, ce dramaturge allemand surdoué, souvent comparé à Rimbaud, qui fut médecin, poète, philosophe, révolutionnaire et que le typhus emporta à l’âge de 23 ans seulement. En si peu de temps, Büchner, en dehors de textes philosophiques sur Spinoza ou Descartes, des traductions d’Hugo et un récit consacré à Jacob Lenz, nous laissa trois pièces: “La mort de Danton” (1835), “Leonce et Lena” (1836) et “Woyzeck” (1837).

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J’apprends en lisant le merveilleux livre d’Alex Ross (”the rest is noise”), que Berg s’était évidemment rendu compte assez vite de l’erreur d’imprimerie qui transforma le patronyme “Woyzeck” en “Wozzeck” mais qu’il prit la décision de conserver malgré tout son titre. Je retiens également que Büchner s’inspira en réalité d’un fait divers tragique: l’histoire en 1821, d’un soldat devenu barbier, avant de tuer sa maitresse à Leipzig. L’écrivain eut accès également aux comptes rendus d’examens psychologiques de l’accusé pour se documenter et compléter le portrait de son personnage. Enfin anecdote très amusante, Ross nous révèle que pour le personnage particulièrement négatif et inquiétant dans la pièce du Docteur, Berg pensa fortement à son maître… Schoenberg lui-même !

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En général, on voit dans cette pièce une dénonciation patente de la guerre. Le parallèle est d’ailleurs frappant avec “Full metal Jacket” (1987): exactement 150 ans avant Kubrick, Büchner fait apparaître comment la discipline militaire détériore l’état mental du personnage principal. Mais ce que montre très bien le “Wozzeck” de Berg, c’est également le hiatus constant entre un discours moralisateur tenu par les puissants et la réalité de leurs actes. Pour preuve, dès la première scène, nous assistons à un dialogue entre Wozzeck et le capitaine. Celui-ci lui fait grief d’avoir eu un enfant hors mariage avec Marie et par conséquent de vivre au mépris de la morale chrétienne. Wozzeck lui répond tout en lui rasant la barbe, en invoquant un épisode du Nouveau testament qui décrit justement Jésus Christ, accueillant à bras ouverts et sans distinctions, tous les petits enfants autour de lui. En outre, il ajoute que seuls les riches peuvent s’offrir la moralité conventionnelle. Encore plus frappant, lorsqu’à la scène 4 de l’Acte I, il se trouve chez le médecin, celui-ci lui reproche d’uriner dehors comme un chien, alors que l’argent qu’on lui donne devrait, en tout cas feint-il de le croire, lui permettre de vivre un peu plus décemment. Ainsi de nouveau, Wozzeck doit subir un discours moralisateur, tenu par un homme certes très respectable puisqu’il s’agit d’un médecin, mais dont le comportement est en réalité cent fois plus immoral: contre un maigre salaire, il se livre à des expériences sur le corps de Wozzeck.

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Enfin pour terminer, on a l’habitude d’invoquer la pièce historique de Büchner, “la mort de Danton”, pour montrer l’influence patente de Shakespeare et en particulier de la tragédie d’Hamlet sur l’écrivain allemand, mais la même remarque pourrait s’appliquer selon moi, à la pièce ou l’opéra qui nous occupe. Tout d’abord, Wozzeck est gagné par la  mélancolie comme beaucoup des personnages shakespeariens mais pour des raisons essentiellement sociales: il est pauvre et subit maintes humiliations sans d’ailleurs vraiment se révolter. Ensuite, il semble progressivement perdre la raison: dès la scène 2, alors qu’il taille des bâtons dans un champs avec son ami Andres, il divague, persuadé qu’il se trouve dans un lieu hanté, croit que le sol va s’ouvrir sous ses pieds, prononce des paroles incongrus sur les francs-maçons, etc. Büchner exploite donc ce thème de la folie, cher à Shakespeare, et des visions surnaturels ou fantastiques. Enfin, lorsque Wozzeck, choisit d’assassiner Marie qui le trompe avec le Tambour-Major (Acte III, scène 2), sa main droite est pleine de sang. Ce sang rouge qui témoigne de son crime; ce sang que des danseurs absolument horrifiés, verront à la scène suivante (voir vidéo); ce sang qu’il tentera d’enlever en marchant dans l’eau de la mare; ce sang qui formait une tâche indélébile sur la main de Lady Macbeth (voir photo); ce sang qui finalement provoquera la noyade de Wozzeck …


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